Ivre de vengeance dans Avengers: Endgame, Wanda Maximoff a défié le tout-puissant Thanos qui lui a rétorqué: «Je ne sais même pas qui tu es.» Aujourd'hui, Wanda n'est plus la combattante qu'on ne reconnaît pas. Toujours incarnée par Elizabeth Olsen, elle est désormais l'épouse modèle de Vision (le suave Paul Bettany) dans une sorte de parodie de sitcom.
Diffusée d'abord en noir et blanc avant de sauter de génération en génération, WandaVision s'inspire des séries américaines telles que I Love Lucy ou Ma Sorcière bien-aimée. Déconcertante au début, elle essaye par petites touches de s'accrocher au Marvel Cinematic Universe. Assez vite, le malaise s'accroît autant que les références aux autres productions de la franchise.
Sommes-nous dans un rêve? Est-ce la réalité, une télé-réalité ou mieux, un complot dans l'air du temps? Voilà plus d'un an et demi qu'est sorti Spider-Man: Far From Home, le dernier film du MCU en date, et les fans se demandent dans quelle direction Disney veut les embarquer. Wanda Maximoff, dont rappelons-le, le nom de code «Scarlet Witch» n'est pas prononcé une seule fois au cours de tous les films du MCU, a connu un parcours tumultueux en comics, un destin très particulier qui a de quoi faire peur pour la suite de la série.
Comme souvent avec les super-héros Marvel de l'ère hollywoodienne, les scénaristes ont voulu conserver le plus d'éléments possible de leurs origines décrites dans les comics. Cela n'exclut pas la possibilité de se garder un droit d'inventaire. Ainsi, Tony Stark a bien été un fabricant d'armes sans scrupule, mais il n'a jamais sombré dans l'alcoolisme comme dans le mémorable arc Le Diable en bouteille.
Cependant, la dépression qu'il traverse dans Iron Man 2 et 3 y ressemble fortement. Parfois, le studio choisit de faire table rase et de faire à sa sauce, comme c'est le cas pour Captain Marvel. Pour Scarlet Witch, c'est bientôt soixante ans d'histoire que Marvel essaye de ciseler pour la rendre plus accessible au grand public. Et c'est ce qui nous vaut une série avec son prénom dans le titre.
Une adversaire particulièrement redoutée
Que cela soit sur écran ou dans les pages des comics, Wanda Maximoff a toujours commencé dans le camp du mal. Sa vie est le fruit d'une succession de scénaristes qui ont écrit et réécrit l'héroïne. Créée en 1964 par Stan Lee et Jack Kirby, elle apparaît dans les rangs de la Brotherhood of Evil Mutants, littéralement la Confrérie des Mauvais Mutants.
Le commandement de cette organisation terroriste est assuré par Magneto et, évidemment, ça tourne mal. C'est grâce à une main tendue par Captain America qu'elle rejoint les Avengers en compagnie de son frère Pietro Maximoff, alias Quicksilver. C'est alors la première fois que l'équipe change ses membres actifs, en laissant une chance aux criminels repentis. C'est également le cas de Hawkeye, autre personnage important du MCU.
Les toutes premières années de son existence, les scénaristes n'ont pas vraiment cherché à développer ni à expliquer ses pouvoirs. Au début, ils se limitent à déplacer des objets et à repousser des gens. En la rendant un peu plus «sorcière élevée dans la froideur des pays de l'Est du monde Marvel», ses pouvoirs ont pris de l'ampleur. Elle ne contrôle plus seulement les variables de la chance. À son summum, elle réussit carrément à créer des réalités alternatives.
Cela lui vaut d'être une adversaire particulièrement redoutée. Au détour des accords et désaccords entre la 21st Century Fox et Disney, elle redevient non-mutante puis mutante. C'est d'ailleurs à cause de ces bisbilles que deux versions de QuickSilver existent en même temps au cinéma. Il y a celui qui se sacrifie dans Avengers: l'ère d'Ultron et l'autre, celui qui court avec moults effets spéciaux dans les X-Men.
Le destin de Wanda a été soumis aux auteurs mais aussi à des conflits éditoriaux. Disons que, pour simplifier, même sa genèse a été compliquée et qu'elle s'est découverte fille du terroriste Magneto pendant une trentaine d'années. C'était avant de s'apercevoir récemment que tout n'était que supercherie après des décennies de filiation canonique. On ne sait pas encore si le statut de Fox, racheté en 2019 par Disney, entraînera de nouveaux changements dans la famille des Maximoff.
Le premier coup d'éclat de Scarlet Witch est de tomber amoureuse puis d'épouser Vision, son compagnon d'armes. Petit scandale auprès de son frère, car Vision est un cyborg ou plus exactement un synthézoïde. Créé par le robot maléfique Ultron, son destin dans le MCU s'est conclu de manière assez tragique pour tous ceux qui ont vu Avengers: Infinity War. Apparemment en état de fonctionnement dans WandaVision, il vit avec Wanda dans un environnement de banlieue pavillonnaire américaine tranquille.
Cette vision idyllique très parodique est inspirée directement de Vision, une série de comics de Tom King et Gabriel Hernandez où le héros se fabrique littéralement une famille. Robots tout comme lui, épouse, enfants et chien vivent dans une utopie dérangeante où chacun cherche à exister avec le plus de normalité possible. Mais contrairement à la BD, c'est bien Wanda qui est ici le centre de toutes les attentions.
La famille de Vision et leur chien Sparky, qui apparaît dans l'épisode 5 de WandaVision. | Couverture du Tome 1 et Tome 11 de La Vision / Marvel
Un amour de sorcière
À la fin des années 1980, Wanda et Vision deviennent parents. Des petits jumeaux tout mimi baptisés Tommy et William. Bien que Vision soit synthézoïde, ce miracle se réalise grâce aux pouvoirs de Wanda. Sa capacité de manipuler la réalité devient de plus en plus difficile à définir. Quelle est vraiment sa limite sinon celle de l'auteur qui écrit les aventures? «Un héros est aussi puissant que le nécessite l'histoire»: ce slogan, attribué à Stan Lee, beaucoup l'ont repris à leur compte. Sous la plume de John Byrne, la descente aux enfers va commencer.
La sorcière sombre dans une dépression à la suite du démantèlement de son mari Vision par le gouvernement qui voyait en lui une menace. Ils le reconstruisent quand même, mais vidé de toute émotion et amnésique de tout ce qui s'est passé. Pire encore, Wanda doit faire face à la disparition de ses enfants. C'est là que ça devient compliqué, accrochez-vous: Thomas et William sont en fait des fragments d'âme d'un démon nommé Master Pandemonium à la solde de Mephisto qui cherchait par tous les moyens à les récupérer.
Il finit par absorber les deux mouflets en lui, ce qui a donné une des images d'Épinal les plus connues du monde, deux bébés en guise de main du démon. Choquée, Wanda a même recours à un sortilège d'amnésie temporaire pour affronter la douleur. Pas une bonne idée, mais écoutez, c'est le monde des comics.
Voilà peut-être l'histoire la plus étrange de cette descente aux enfers, très connue des cercles de fans de Marvel. Affaiblie par la destruction de son mari et la perte de ses enfants, elle est à la merci de Magneto, alors son propre père, qui en profite pour la retourner contre les Avengers. À la manière de Dark Phoenix, Wanda devient vraiment maléfique, change d'apparence pour devenir visiblement machiavélique et s'en prend à ses propres amis.
Elle torture Wonder Man dans une page restée dans la légende car censurée au dernier moment. Sur la planche originale, John Byrne, scénariste et dessinateur des West Coast Avengers, sous-entend que Wanda fait quelque chose «d'horrible et d'humiliant» au personnage. Sexe oral ou castration, la page a juste le temps de passer à la photocopieuse pour se faire corriger. L'épisode est relaté en détail dans les Comic Book Legend Revealed de Brian Cronin.
About Byrne and Wanda though. The real horror show was about to go down. She lost her husband, became Body Snatched, lost her childeren, had some daddy issues and... well... that last panel got censored.
— Chris Buse (@buse_chris) July 30, 2018
"No!" Poor Wonder Man!
WEST COAST AVENGERS # 42-57#horror #johnbyrne pic.twitter.com/gkflPFKbR7
L'ambiguïté est levée sans laisser place à l'imagination voulue de Byrne qui quitte la série prématurément.
Mais le calvaire de Wanda n'est pas encore terminé. Elle est aussi la pierre angulaire d'Avengers Disassembled, le plus gros échec de l'équipe sous la plume de Brian Michael Bendis. Grand artisan de la reconstruction des Avengers, il décide de semer le pire chaos afin de fonder la nouvelle équipe sur des ruines. Et pour cela, rien de tel que Wanda. Elle cause la mort directe de plusieurs de ses compagnons dont Hawkeye et Vision, détruits à nouveau.
Son pouvoir de magie Hex capable d'influer sur les probabilités est maintenant hors de contrôle. Parachuté dans l'histoire comme par magie, Dr Strange apporte le diagnostic à ce fiasco mais aussi un remède temporaire: il plonge Wanda dans le coma pour éviter que les catastrophes ne s'aggravent. Elle devient, du même coup, presque littéralement, la sorcière que certains veulent brûler.
«No more mutants»
Que manque-t-il à Scarlet Witch pour devenir un personnage? Peut-on faire pire que tuer ses compagnons? Hé bien, tuer un peuple entier peut-être. Alors que les X-men et les Avengers discutent pour savoir si Wanda Maximoff mérite de vivre après les crimes qu'elle a commis, son pouvoir prend encore une tournure inattendue. Menacée, elle va inconsciemment créer une réalité toute entière où Magneto est souverain, les mutants sont rois, et ses deux enfants sont bien entendu vivants.
Les X-Men et les Avengers sont alors prisonniers de cette utopie où tous leurs souhaits sont réalisés. Spider-Man y vit par exemple marié à Gwen Stacy dans un monde où son oncle Ben est encore vivant. Cette fois-ci, c'est Pietro Maximoff, le propre frère de Wanda, qui l'a manipulée pour créer cette réalité alternative.
Fou de colère, Magneto tue son propre fils, ce qui a pour effet de provoquer Wanda. Poussée dans ses retranchements, elle ramène son frère à la vie et dans une ultime colère lâche calmement: «No more mutants.» Fondu au blanc, tout redevient normal à un détail près, les millions de mutants qui peuplaient le monde sont ramenés à un nombre incongru, à peine 200. Wanda a, comme par magie, éteint toute chance de survie de l'espèce dans ce que les gens ont baptisé le jour M.
Même si la formule «No more mutants» a été annulée depuis, Scarlet Witch est encore jusqu'à aujourd'hui considérée comme une traîtresse à son espèce, incarnant à elle seule le deuxième plus grand fléau à s'être abattu sur la race mutante. Coupable de génocide et de la disparition de 986.420 mutants, elle a quand même droit à quelques moments de pur héroïsme où elle affronte le Phoenix venu dévorer la Terre toute entière. Mais son houleux passé revient régulièrement la hanter. C'est là que le chaos éditorial causé par le conflit entre la Fox et Marvel arrive, lui faisant perdre son statut de mutante et sa qualité de fille de Magneto.
Il s'est quand même passé quelque chose de positif dans la vie de Maximoff: ses deux enfants disparus se sont en fait réincarnés. Découverts une vingtaine d'années après leur tragique disparition, Tommy et Billy sont deux ados qui ont manifesté des pouvoirs très similaires à Wanda et son frère. L'un est sorcier, l'autre est doté d'une super-vitesse et de cheveux argentés comme Pietro. Ce sont leurs portraits crachés. Ce passage de la vie de Wanda est une des inconnues de WandaVision.
Les pontes de Disney oseront-ils aller dans une telle noirceur plutôt que de céder au «tout ceci n'est qu'un rêve» un peu paresseux? Le ton si caustique du Marvel Cinematic Universe peut-il mieux réussir que les comics qui se sont reposés sur la folie supposée d'une protagoniste pour tout justifier? Et si ces jumeaux étaient la porte d'entrée d'une nouvelle génération de super-héros du MCU? Peut-être que la force des studios Marvel est de réussir à intéresser le public grâce à un personnage à la genèse si complexe.
WandaVision est clairement une œuvre très différente de tout ce qui a fait la recette de Marvel à ce jour. Reste à savoir quel est leur endgame ce coup-ci.