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Le Covid-19 bouscule les traditions millénaires du Nouvel An chinois

Temps de lecture : 7 min

Pour éviter un retour en force du virus, les autorités veulent restreindre le vaste brassage de population qui se produit chaque année au moment du Chunjie.

Une femme pose derrière deux statues masquées, le 11 février 2021, à Pékin. | Noel Celis / AFP
Une femme pose derrière deux statues masquées, le 11 février 2021, à Pékin. | Noel Celis / AFP

Il n'y a sans doute pas dans l'histoire de la Chine un Nouvel An qui ait ressemblé à ce 12 février. Et les nombreux devins que compte le pays semblent ces derniers temps avoir du mal à préciser à quoi vont ressembler les mois qui viennent. La fête du Printemps (Chunjie, en chinois) ne tombe pas à date fixe: elle change chaque année en fonction du calendrier traditionnel, luni-solaire, basé sur les cycles de la Lune et du Soleil. Comme tous les douze ans, le monde chinois a quitté l'année du Rat pour entrer dans celle du Buffle. Si le Rat symbolise le renouveau, l'astrologie chinoise présente le Buffle comme méthodique, lucide et amenant à travailler avec ardeur vers des projets innovants.

Cependant, en ce début 2021, la principale préoccupation des autorités chinoises est d'empêcher un retour en force de l'épidémie de Covid-19. Depuis deux mois, il y a eu des alertes. En janvier, un foyer d'infection a été découvert dans la région du Hebei, au sud de Pékin, contraignant les autorités à confiner vingt millions d'habitants. Puis, le 4 février, cinq cas ont été détectés dans le pays. Le 12 février, la contamination a atteint douze nouvelles personnes. Certains de ces malades n'ont pas récemment voyagé à l'étranger, ce qui intrigue le personnel médical chinois. Et même si les chiffres de personnes atteintes sont très inférieurs à ceux qui sévissent en Occident, les autorités chinoises veulent restreindre le vaste brassage de population qui se produit chaque année au moment du Chunjie.

Aussi, à l'occasion de ce Nouvel An 2021 et de la semaine de congé qui l'accompagne, le gouvernement recommande aux Chinois de rester chez eux et de ne pas voyager. Les autres années, plus de trois cents millions de personnes se déplaçaient à cette occasion. Certaines –quelques dizaines de millions, une minorité en Chine– s'offraient une semaine de vacances à l'étranger, principalement dans des pays asiatiques. Mais le plus grand nombre retournait dans leur région d'origine, rejoindre leur famille. C'est notamment le cas des travailleurs migrants, ces habitants des campagnes venus seuls travailler en ville et pour qui la fête du Printemps est l'unique occasion de l'année de voir leur famille.

La tradition des pétards

En 2021, les déplacements ne sont pas interdits mais ils sont officiellement déconseillés. Pour montrer l'exemple, les dirigeants du Parti communiste ont fait savoir qu'ils ne quitteront pas la ville où ils sont en fonction. De très nombreux vols intérieurs ainsi que des parcours en train ont été annulés et les pré-réservations remboursées. Par ailleurs, pour décourager les candidats aux voyages vers de lointaines provinces, de grands panneaux sont apparus dans les villes: «Si vous revenez malades, vous manquez à la piété filiale» ou encore: «Si vous contaminez vos parents, c'est que vous êtes complètement inconscient.»

Ces restrictions aux déplacements font naître du mécontentement dans la population urbaine, principalement parmi les travailleurs migrants. D'où quelques avantages offerts par certaines municipalités. Ce peut être un carnet de réduction sur des achats dans de grands magasins ou, comme à Shanghai, des gratuités sur les soins médicaux. Dans quelques cas, en fonction de l'ancienneté du travailleur dans la ville, il lui est carrément proposé de régulariser sa situation administrative et d'obtenir un permis de résidence qui lui permettra de profiter des nombreux avantages sociaux.

La gare de Pékin, presque vide, le 11 février 2021. | Noel Celis / AFP

Quant à ceux qui, malgré tout, ont décidé de prendre un train ou un avion, ils doivent obligatoirement se soumettre au préalable à un test PCR. Puis, en réaliser un autre dans leur lieu de destination. Ensuite, quand ils reviendront en ville, ils devront se soumettre à un confinement très strict et ne pas sortir du tout pendant une quinzaine de jours. Résultat, depuis le 8 février, il y aurait 60% de départs en moins. Les trains, d'habitude bondés lors du Chunjie, sont à moitié vides cette année. En 2019, environ trois milliards de déplacements s'étaient produits, les prévisions pour 2021 ne sont que de 1,15 milliard.

Pour ce Nouvel An, la tradition des pétards n'a pas repris en Chine. Jusqu'en 2015, ils éclataient en bruyantes pétarades le soir du réveillon et pendant toute la semaine suivante. De vieilles superstitions affirment que le vacarme fait fuir les monstres, en particulier le terrible Nian qui a la réputation de dévorer troupeaux et villageois. Lancer des salves de pétards assourdissants permettait de montrer sa richesse. À Pékin, des habitants sortaient du coffre de leur voiture des cartons contenant des bâtonnets qui retentissaient et illuminaient le ciel à la façon de mini-feux d'artifice.

Un vacarme modéré

À partir de 2015, la pratique des pétards a été interdite par le gouvernement chinois. Outre les accidents, qui entraînaient de nombreux blessés graves et parfois des morts, l'accumulation des fumées était en totale contradiction avec une politique d'environnement sain. Sans parler du bruit assourdissant qui atteignait son maximum au moment du passage à la nouvelle année. En 2021, ce vacarme est modéré. Les achats de pétards ne sont pas interdits mais leur utilisation reste limitée. Les journaux signalent cependant qu'un vaste incendie a partiellement détruit un village de la province du Hebei.

En tout cas, partout en Chine, le réveillon, veille du Nouvel An, est l'occasion de banquets avec raviolis, poissons et gâteaux de riz glutineux. Les jours suivants, les familles vont dans les temples où chacun peut faire des vœux en brûlant des bouquets d'encens. Un peu partout, mais en nombre limité cette année, des réjouissances sont organisées, en particulier des danses du lion où, aux sons de tambours, des figurants, recouverts d'une immense tête de lion et d'un costume à longues franges jaunes et rouges, font toutes sortes d'acrobaties.

Des habitants brûlent de l'encens au temple de Man Mo, à Hong Kong, le 13 février. | Peter Parks / AFP

À Pékin, au Temple du Ciel, un spectacle reconstitue avec des acteurs costumés la venue de l'Empereur et de sa suite au XVIIIe siècle. Les journaux télévisés chinois ont aussi montré des milliers d'habitants de Wuhan, le premier épicentre du coronavirus en Chine, qui fêtaient le Nouvel An au centre de la ville.

Le pouvoir communiste, officiellement athée et hostile aux superstitions, ne s'oppose pas à tous ces rituels de Nouvel An. Au contraire, les réjouissances collectives qui illustrent une Chine grande et unie sont mises en valeur. Xi Jinping, le président de la République et secrétaire général du Parti communiste chinois, se doit d'accompagner la nouvelle année en s'adressant à la population. Le 4 février, lors d'une visite d'inspection dans la province du Guizhou, au sud-ouest du pays, il présente un bilan favorable de l'année passée: «L'année 2020 a été extraordinaire. Il y a eu une violente tempête et nous l'avons combattue avec courage et succès.»

Puis le 10 février, à Pékin, lors d'une réception au Palais du peuple, le président Xi Jinping célèbre la fête du Printemps et présente ses vœux aux Chinois dans un discours télévisé. Il souligne que «la Chine est l'un des premiers pays au monde à maîtriser l'épidémie de Covid-19 et à réaliser une croissance économique positive». Ce qui l'amène à affirmer: «Les faits ont de nouveau prouvé que le système du socialisme à la chinoise possède une vitalité et une créativité incomparables. Tant que le Parti et les Chinois se rassemblent étroitement autour du comité central du PCC, il n'existe aucune difficulté insurmontable.»

Le secrétaire général du parti n'oublie pas de mentionner les anniversaires qui seront fêtés en 2021: «Après avoir accompli un glorieux voyage sur 100 ans, le PCC est devenu le plus grand parti marxiste au monde et est au pouvoir depuis plus de soixante-dix ans dans le plus grand pays socialiste du monde.» Et de conclure, dans la même logique, que «le parti restera invincible aussi longtemps qu'il sera à l'avant-garde de l'époque, qu'il mènera la charge pour surmonter les difficultés et les défis et qu'il prendra racine parmi le peuple à la gloire du parti communiste».

900 millions de téléspectateurs

Le 11 février, soir du réveillon, un programme unique est diffusé sur près de quelque 1.500 chaînes de télévision. Les Chinois peuvent y voir des vedettes de la chanson, de nombreux sketchs et quantité de danses aussi bien classiques que représentant les différentes minorités ethniques des confins du pays. Pendant des années, la célèbre chanteuse Peng Liyuan venait dans ce programme interpréter quelques chansons patriotiques. Elle a totalement arrêté de se produire en 2013 lorsque son mari, qui n'est autre que Xi Jinping, est devenu secrétaire général du Parti communiste chinois.

Sur le plan technique, la télévision chinoise (CGPN) a largement innové cette année pour sa soirée de fête du Printemps. Une technologie en réalité virtuelle et réalité augmentée a été utilisée avec une retransmission en 4K/8K. Au total, près de 900 millions de Chinois ont regardé la soirée du Nouvel An, sur leur téléviseur ou sur leur smartphone, un peu plus que le nombre habituel pour ce genre de soirée.

Les journaux chinois ont multiplié les articles qui décrivent le «Nouvel An sur place», cette année 2021 particulière où les Chinois ont très peu voyagé. Certains économistes y voient un avantage: l'économie ne va pas avoir à attendre pendant plusieurs semaines le retour des ouvriers. Mais d'autres s'inquiètent. Cette année, la consommation est au plus bas alors que d'habitude, pendant la période du Nouvel An, la production est faible tandis que la consommation est au plus haut. Cette année, les alcools, l'alimentation ou les produits de luxe sont beaucoup moins offerts qu'habituellement. Sans parler des chiffres du tourisme. Seule semble se maintenir la tradition des «enveloppes rouges» dans lesquelles on offre de l'argent. Mais, les familles n'étant pas réunies, ces étrennes sont envoyées par smartphone.

La période d'entrée dans l'année du Buffle va durer jusqu'à la fête des Lanternes le 26 février. Le souci des décideurs chinois sera alors de maintenir un taux de croissance voisin de 6%, le chiffre auquel l'économie du pays était déjà en train de revenir en janvier dernier. En Chine, cet objectif chiffré est partagé par le monde de la politique et de l'industrie. En attendant que, le 31 janvier 2022, le monde chinois montre les griffes en entrant dans l'année du Tigre…

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