Santé / Société

Habiter près d'un aéroport, une vie de bruit et de pollution

Temps de lecture : 6 min

Aujourd'hui 1,2 million de personnes vivent dans le périmètre sonore des plus grands aéroports français.

Le gouvernement regarde ailleurs. | Dominik Scythe via Unsplash
Le gouvernement regarde ailleurs. | Dominik Scythe via Unsplash

La guerre du terminal 4 n'aura pas lieu. Le gouvernement vient d'abandonner le projet contesté d'extension de l'aéroport parisien de Roissy-Charles de Gaulle jugé «obsolète» par la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili. Nommée en juillet dernier, cette dernière entend marquer le coup et demande au gestionnaire des aéroports de Paris, le groupe ADP dont l'État est actionnaire majoritaire, «d'abandonner son projet [de construction d'un terminal 4, ndlr] et de lui en présenter un nouveau, plus cohérent avec ses objectifs de lutte contre le changement climatique et de protection de l'environnement».

La suspension du projet est certainement aussi un soulagement pour les riverains. Car vivre à proximité d'un aéroport peut tourner au cauchemar, principalement en raison du bruit des moteurs. «Quand je séjourne dans ma famille, je constate que l'inconvénient majeur reste bien sûr le bruit», explique Bernard G. de Fay dont la sœur habite Saint-Quentin-Fallavier à une dizaine de kilomètres des pistes de l'aéroport international de Lyon-Bron. «C'est très gênant, surtout lorsqu'un avion atterrit toutes les trois minutes, ce qui est fréquent dans la soirée, les atterrissages de nuit étant réduits voire interdits, même si ce n'est pas toujours respecté.»

Et d'ajouter tristement: «Le bruit est nettement majoré lorsque les avions décollent, suivant la direction des vents. Le soir, la personne rentrant du travail qui veut se détendre pourra par exemple difficilement écouter de la musique même avec des fenêtres à double ou triple vitrage fermées, en raison du bruit et des vibrations. Le niveau sonore des conversations est obligé d'être élevé. Chaque fois que je rencontre ma sœur et mes neveux, je trouve qu'ils parlent en criant.»

Côté jardin, le quotidien n'est guère plus appétissant. «Quelquefois, des taches brunâtres viennent souiller le linge étendu dehors, d'autres fois on retrouve des traces d'hydrocarbures à la surface des réserves d'eau d'arrosage, témoigne Bernard G. de Fay. Les avions se délestent parfois du carburant. Il y a des zones pour le faire, mais sont-elles vraiment respectées ou alors les résidus sont-ils transportés par les vents?»

450 avions par jour

Aujourd'hui 1,2 million de personnes vivent dans le périmètre sonore des plus grands aéroports français. Et 515.000 riverains entrent dans le Plan de gêne sonore (PGS) qui permet de bénéficier d'une aide à l'insonorisation de son logement. Mais ce plan n'épargne pas celles et ceux qui vivent proches de la limite officielle.

«Le bruit est nettement majoré lorsque les avions décollent, suivant la direction des vents.»
Bernard G. de Fay dont la sœur habite Saint-Quentin-Fallavier

Chaque jour, la maison de Catherine, située à Roissy –visitée par une équipe de l'émission «Envoyé Spécial» l'année dernière– est survolée par 450 avions. Pour «ne pas devenir folle», elle a dû installer une chambre insonorisée au niveau de sa cave dans laquelle elle dort depuis douze ans. «Il a fallu bétonner, protéger, isoler» à hauteur de 5.000 euros tirés de sa seule poche pour retrouver le sommeil. Catherine n'a pas voulu vendre sa maison, puisqu'elle est attachée à sa valeur familiale. Elle vit juste à côté du PGS et n'est pas indemnisée. Elle a pourtant dû essuyé les plâtres, il y a plus de vingt ans, avec l'ouverture d'une seconde piste Sud à l'aéroport de Roissy.

Une perte de trois ans d'espérance de vie

Au-delà des fumées toxiques, le bruit des avions nuit à la santé. «Les personnes qui vivent près des aéroports subissent des nuisances croissantes et d'un niveau reconnu par l'OMS comme dangereux pour la santé, explique Françoise Brochot, la présidente de l'Advocnar, une association de défense contre les nuisances sonores. La majorité était déjà installée avant la création ou l'essor des aéroports. Les autres s'installent par méconnaissance des nuisances, par manque d'information ou parce que leur finances ne leur laissent pas d'autre choix que d'être hébergées dans ces zones paupérisées.»

Le manque de sommeil se décline alors en dégâts collatéraux. Selon un rapport de Bruitparif, «au-delà des effets sur le système auditif constatés à des niveaux sonores élevés, plusieurs effets extra-auditifs ont ainsi été identifiés: en particulier les perturbations du sommeil, les troubles cardiovasculaires et la baisse des capacités d'apprentissage. Les études ont également montré que le bruit est un facteur qui renforce les inégalités sociales, les populations les plus exposées étant aussi généralement les plus défavorisées.» La proximité d'un aéroport équivaut, selon Bruitparif, à perdre trois ans d'espérance de vie.

Comme dans une scène culte du film d'Yves Robert Nous irons tous au Paradis, en bien moins rigolo, où des amis persuadés d'avoir fait une bonne affaire découvrent que leur maison de campagne est installée dans l'axe d'une piste aéroportuaire, le bruit des avions et leurs vibrations écornent aussi les portefeuilles.

«Les propriétaires de logements situés dans des zones aéroportuaires où le bruit est considéré comme dangereux pour la santé doivent pouvoir vendre leur bien sans subir de préjudice financier», observe dans un rapport annuel l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa). «S'il est interdit de construire de nouveaux logements dans les zones du Plan de gêne sonore, les familles y résidant déjà se retrouvent piégées par la perte de valeur de leur bien, en plus des conséquences sanitaires de leur exposition au bruit.»

Problème, le gouvernement regarde ailleurs. «L'État applique a minima les règles de restriction d'urbanisme autour des aéroports, et fait du transport aérien une exception permanente aux contraintes imposées aux autres secteurs nuisants ou polluants», résume Françoise Brochot. Entre les intentions écologistes affichées vent debout par le gouvernement et la pollution de terrain, la contradiction se banalise.

Un facteur de pollution

La France pollue essentiellement par ses transports –voitures individuelles et avions–, son parc immobilier ancien –avec 38% de logements construits avant 1948 comme autant de passoires thermiques–et son agriculture, avec des engrais à base d'azote mélangés aux excréments du bétail. Le gouvernement relance actuellement les trains de nuit. C'est joli comme tout, mais l'État peine à sortir d'un dilemme récurent: accélérer la transition ferroviaire sans nuire au business aéroportuaire. Selon le magazine Géo, un trajet en avion est pourtant 1.500 fois plus polluant qu'un voyage équivalent en TGV.

L'extension du Covid au silence confiné aura permis à de nombreuses personnes de mieux dormir près des aéroports. Dans la foulée épidémique, bon nombre d'entreprises cherchent aujourd'hui à économiser sur le prix des transports. Là où l'avion s'affichait en must universel du voyage d'affaires, des logiciels comme Zoom ou Facetime se sont révélés plus économes en euros et kerozen. Pour les boîtes, c'est moins de dépenses en billets d'avion et une image écolo/high tech renforcée, donc tout bénef pour l'aura et la marge nette.

En attendant l'hydrogène...

Les avions devraient pourtant reprendre un trafic normal dans l'air francilien. Près de 800.000 personnes vivent actuellement en Île-de-France, survolées par des avions à l'arrivée ou au départ des aéroports d'Orly, de Roissy et du Bourget. Quelque 600.000 personnes seraient survolées à moins de 1.000 mètres d'altitude près de Roissy. De nombreux maires dénoncent la dureté d'un tel phénomène. La municipalité de Saint-Prix –dans le Val d'Oise– située dans un couloir aérien à 15 kilomètres de l'aéroport de Roissy en fait partie.

Des exceptions au trafic aérien existent pourtant: il est interdit aux avions de ligne de survoler Paris en dessous de 2.000 mètres. Des zones militaires sensibles comme à Brest, Toulon, Mont-de-Marsan et l'île du Levant sont interdites au survol. Idem pour les centrales nucléaires de Fessenheim, la Hague et Flamanville. Comme s'il n'y avait d'ennemi que volant et que le bruit des avions était un son normal pour des riverains survolables à merci.

Quelque 600.000 personnes seraient survolées à moins de 1.000 mètres d'altitude près de Roissy.

En attendant l'avion Airbus à hydrogène –le principal constituant de l'eau, du Soleil et des étoiles– qui pourrait décoller sans bruit à l'horizon 2035, il est urgent d'entendre les acteurs de terrain.

«Nous poursuivons les actions juridiques sur la base de la règlementation européenne pour la réduction du bruit et de la pollution autour des grands aéroports de l'Union, explique Françoise Brochot. Nous continuerons à participer à la fois aux instances officielles et aux actions contre l'augmentation du trafic aérien et son cortège de nuisances.»

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