Tout démarre dans une superbe villa de vacances à Palm Springs, flanquée d'une piscine ensoleillée au milieu du désert californien –le genre d'endroit idyllique et loin de tout, dont la plupart d'entre nous rêvons en vain depuis près d'un an. Pourtant, Nyles (Andy Samberg) n'a aucune envie d'être là. Invité à un mariage où il ne connaît personne, visiblement épuisé par sa petite amie (l'excellente Meredith Hagner qui nous fait hurler de rire dans Search Party), Nyles traîne des pieds et parcourt sa journée avec un flegme déconcertant. Il enchaîne les canettes de bière tout seul dans la piscine et se balade en short de bain et chemise hawaïenne en pleine réception.
Son regard s'illumine enfin lorsqu'il croise la route de Sarah, la sœur de la mariée, qui semble elle aussi broyer du noir. Quiconque a déjà vu une romcom sait que les destins de ces deux adorables misanthropes vont bientôt s'entremêler, pour notre plus grand plaisir. Mais après quinze minutes, Palm Springs, disponible sur Amazon Prime Video depuis le 12 février, prend un tournant inattendu.
[Pour ceux qui souhaitent le découvrir avec le moins d'informations possible, ceci est le dernier arrêt avant les spoilers.]
Si Nyles semble si détaché, c'est parce qu'il a en réalité déjà vécu cette journée des centaines, voire des milliers de fois. Coincé dans une boucle temporelle, le héros est condamné à revivre la même journée ad vitam eternam: les remarques désobligeantes de sa petite amie, les banalités échangées avec les invités, l'insoutenable médiocrité des discours de mariage.
Le cadre paraît familier, et pas seulement parce que depuis le début de la pandémie, notre quotidien ressemble à une répétition monotone de journées identiques et sans saveur. C'est aussi parce que la boucle temporelle est un procédé narratif bien connu dans la fiction.
Relecture d'un classique
Dans le classique Un jour sans fin, Phil Connors, incarné par un Bill Murray au sommet, est forcé de revivre la pire journée de sa vie encore et encore, et de remettre en question sa vision cynique du monde. Des années 1960 à aujourd'hui, les histoires de boucle temporelle ne cessent d'apparaître à l'écran, de Source Code et Edge of Tomorrow à des séries comme La Quatrième Dimension, Buffy contre les vampires, X-Files et Poupée russe. Si bien que, même sans avoir vu toutes ces œuvres, n'importe quel téléspectateur est désormais familiarisé avec les conventions du genre. Et Max Barbakow et Andy Siara, le réalisateur et le scénariste de Palm Springs, le savent parfaitement.
Alors que la soirée du mariage touche à sa fin, Sarah se retrouve malencontreusement absorbée dans la même boucle temporelle que Nyles. C'est à travers son regard à elle que l'on découvre cette nouvelle réalité dont Nyles, lui, connaît déjà tous les codes.
Grâce à cette dynamique entre novice et initié, et à l'aide de répliques méta parfaitement exécutées, Palm Springs évacue rapidement les ressorts classiques du genre: non, devenir plus altruistes ne les fera pas sortir de la boucle (prends ça, Bill Murray). Non, se tuer à répétition ne marchera pas non plus –impossible de ne pas rire lorsque Nyles déclame, l'air songeur: «Je me suis beaucoup suicidé... Tellement de fois.» Peu importent les raisons qui ont poussé nos deux héros à se retrouver coincés dans cette boucle. L'essentiel est surtout de voir comment le duo va désormais se comporter.
Une vraie réflexion philosophique
Comme la série The Good Place l'avait admirablement fait dans ses premières saisons, Palm Springs ponctue son humour et ses références méta de légères réflexions philosophiques. Certes, le duo est condamné à répéter la même journée, avec quelques légères variations, mais n'est-ce pas ce que la plupart d'entre nous, coincés dans une dynamique métro-boulot-dodo, vivons également?
Déjà résigné alors que le film démarre, Nyles arbore une position fataliste et nihiliste: rien ne sert de lutter, car l'existence n'a aucun sens. Sarah, quant à elle, a une approche beaucoup plus volontariste, et se démène pour trouver une solution et soumettre ce nouveau destin à sa volonté. Le principe de la boucle permet aussi de soulever de nombreuses questions d'ordre moral: là où d'autres auraient choisi la voie du sadisme récréatif (puisqu'après tout, plus rien n'a de sens), Nyles, par exemple, refuse d'infliger la moindre souffrance physique à d'autres personnes.
Enfin, l'opposition entre les philosophies des deux protagonistes fournit la question la plus épineuse du film: sortir de la boucle temporelle est-il vraiment souhaitable? Ni Sarah ni Nyles ne semblent éprouver beaucoup d'affection pour leur vie d'avant, et peut-être que revivre cette journée pour toujours est en fait la meilleure option possible. C'est en arrivant à cette acceptation que les deux héros se lancent dans une exploration jouissive et hilarante de toutes les possibilités offertes par cet univers. L'occasion pour le scénariste d'ajouter sa petite patte d'absurdité au genre, avec entre autres un second rôle savoureux incarné par J.K. Simmons, et même... des dinosaures.
Alors que beaucoup d'histoires de boucles temporelles jouent sur un environnement anxiogène –une petite bourgade étouffante dans Un jour sans fin, un train sur le point d'exploser dans Source Code, une boutique poussiéreuse dans Buffy– Palm Springs opère à ciel ouvert, dans l'immensité ensoleillée du désert californien (et parfois au-delà, comme lorsque Sarah passe sa journée à rouler jusqu'au Texas, avant d'atterrir de nouveau à Palm Springs le matin suivant).
Résignés à leur sort, les deux personnages poussent à l'extrême leur quête d'hédonisme, à coups de jeux de rôles, de virées oniriques en voiture, de prises de drogues récréatives et de chorégraphies merveilleusement loufoques, nous offrant non pas une mais deux des scènes de danse les plus réjouissantes de ces dernières années. Au lieu du sentiment d'oppression souvent associé au genre, c'est plutôt une évasion bienvenue que Palm Springs nous procure.
Une histoire d'amour égalitaire
La meilleure innovation du film est son duo comique et romantique. Oui, le fait que les deux personnages tombent amoureux est une évidence. Mais le film parvient à éviter tous les pièges des genres dans lesquels il opère, et surprend à chaque tournant. Même son humour très noir et caustique laisse percer de beaux moments de sincérité et d'émotion.
Si le tout fonctionne si bien, il faut le dire, c'est aussi grâce à l'alchimie électrique d'Andy Samberg, que l'on connaît surtout pour ses géniales parodies musicales au sein du groupe Lonely Island, et de Cristin Milioti, qui s'est fait connaître en incarnant la mère dans How I Met Your Mother. Les deux acteurs apportent au film une nonchalance et un charme irrésistibles, et chacun est indispensable à l'équilibre de l'histoire.
Dans Un jour sans fin, le héros passe le film à séduire l'héroïne à son insu. Si Phil est omniscient et a l'occasion de se perfectionner à répétition pour devenir l'homme parfait aux yeux de Rita, elle, de son côté, est complètement dans le noir, et par définition impuissante. La nouveauté dans Palm Springs, c'est que Sarah et Nyles partagent la boucle. Disposant rapidement des mêmes informations, les deux personnages se retrouvent ainsi sur un pied d'égalité. Sarah, beaucoup plus entreprenante et active que Nyles, n'a de cesse de déclarer –et surtout prouver– son autonomie. Son personnage offre ainsi au plus grand classique du genre un twist moderne et égalitaire.
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En une petite heure et demie, Palm Springs réussit sur tous les tableaux: comédie, romance, science-fiction et fable philosophique. Film optimiste mais pas cucul, il prouve que la créativité, la joie et le dépassement sont possibles, même lorsque notre quotidien se retrouve rétréci.