Monde

La revanche des dieux volcaniques

Temps de lecture : 3 min

L'éruption du Eyjafjöll ne sera pas sans conséquences économiques mais aussi politiques pour l'Europe.

Saviez-vous que les cendres volcaniques peuvent faire s'écraser les avions? Moi, non. Pas plus que je ne savais qu'il existait en Europe des volcans capables de vomir une telle quantité de choses dans l'atmosphère. Mais depuis la semaine dernière, depuis que les aéroports en Grande-Bretagn - puis en Allemagne, en France, en Pologne, en Autriche, en Suisse et en Scandinavie - ont commencé à être fermés à cause des cendres rejetées par le Eyjafjöll, un volcan dont le nom est imprononçable, une armée d'experts est apparue pour expliquer pourquoi des particules de poussière de lave peuvent endommager les réacteurs.

Crise d'expertisme et de mysticisme

Soudain, presque tout le monde semble être devenu un expert. Un ami qui jusque-là n'avait jamais manifesté le moindre intérêt pour la mécanique aérienne m'expliquait au téléphone comment deux avions avaient déjà été endommagés. Un autre donnait une description détaillée du processus scientifique qui fait que les cendres entrent dans le moteur, fondent avec la chaleur et se transforment en pierre - pas vraiment ce qu'on souhaite voir dans un réacteur d'un avion en vol.

D'autres sont même devenus mystiques. Un ami britannique voit tout cela comme «la sentence pour les choses mauvaises que nous avons faites à la terre». Un autre pense que c'est le début de plusieurs années de grande activité volcanique et le début de la fin de la civilisation. Les Polonais, sans surprise, sont frappés par la coïncidence du nuage de cendres et des funérailles de leur président et autres dirigeants morts dans un étrange et triste accident d'avion la semaine dernière. L'éruption du volcan islandais a empêché, entre autres, le président des Etats-Unis d'assister aux obsèques dimanche dernier de Lech Kaczynski à Cracovie. La chancelière allemande Angela Merkel a appelé pour faire part de ses condoléances par téléphone tandis qu'elle rentrait péniblement en voiture d'Italie.

Même si cela est troublant, je comprends pourquoi certains veulent des explications scientifiques à ce phénomène improbable et d'autres y voient la revanche des dieux volcaniques. Je vis en Pologne et j'ai donc passé les derniers jours à assister à des funérailles et des enterrements, écoutant des personnes tenter de donner un sens à une tragédie aérienne parfaitement banale. Ce nuage de poussière n'est pas comparable à cette tragédie. Néanmoins, l'éruption du Eyjafjöll peut se poursuivre jusqu'à la semaine prochaine, jusqu'au mois prochain ou jusqu'à l'année prochaine. Cela ferait de ce volcan l'un de ces évènements naturels inexplicables qui, comme les tremblements de terre et les tsunamis, bouleversent l'environnement économique et politique de toute une région. Pas étonnant, si soudain nous ressentons le besoin de nous plonger dans la signification scientifique et mystique des vents, du magma et de la poussière.

D'ores et déjà, les évènements des derniers jours nous ont révélé que nous dépendions bien plus du transport aérien et pour bien plus de choses que nous l'imaginions. Des choses comme les fruits frais dans les supermarchés et les fleurs. Des choses comme les concerts symphoniques, les matchs de football professionnels et les relations internationales.

Qui a dit que l'Europe n'était pas mobile?

En fait, «l'intégration européenne» comme nous la comprenons, est fortement dépendante d'un transport aérien fiable. Au cours des deux dernières décennies - sans que personne ne s'en aperçoive vraiment - les Européens ont commencé à vivre, au moins partiellement, comme des Américains. Ils partent travailler à l'étranger, vivent pour un temps dans un pays et ensuite vont dans un autre, revenant ou non chez eux. Ils font des affaires dans des pays dont ils ne parlent pas la langue, partent en vacances sur les rives de la Méditerranée ou de la Baltique, rendent visite à leur mère lors des week-ends. Les sceptiques qui pensent que le marché unique européen ne fonctionnera jamais car il n'y a pas de mobilité du travail en Europe ont tort.

Mais si, comme certains le pensent aujourd'hui, le transport aérien devient peu sûr pour une période indéfinie, tout cela va changer. La Manche et l'Atlantique vont sembler soudain plus profonds et le continent européen plus large et plus long, presque comme si nous étions revenus un siècle en arrière.

De mémoire d'homme, les choses ont été très différentes. Par coïncidence, j'ai visité très récemment avec mon fils Ellis Island (une île au large de Manhattan où transitaient les émigrants arrivant aux Etats-Unis). J'ai été frappée par les photographies présentées dans ce qui est devenu un musée de l'immigration. Ces images montrent le courage, la peur et la détermination sur les visages de gens qui sont arrivés ici en 1890 ou 1900 d'endroits aussi éloignés que Varsovie sachant qu'ils ne pourraient sans doute jamais y retourner. Quelques jours plus tard, nous avons pris un avion pour Varsovie sans avoir la moindre pensée de ce genre. Quel monde différent ce serait, si ce genre de voyage devenait soudain impossible ou peu sûr, à nouveau.

Anne Applebaum

Traduit par Eric Leser

Photo: Berlin, 18 avril 2010. REUTERS/Thomas Peter

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