France

L'armée française n'est pas joueuse

Temps de lecture : 6 min

Les jeux vidéo font partie du décor militaire américain. En France, il y a encore de la marge.

Un fond d'écran camouflage. Une barre de chargement, qui affiche «Data XML loading». Des sons d'ambiance, le cliquetis d'un fusil d'assaut. «Background intro [...] GradienTradal1, 63%.» Contrairement aux apparences, vous n'êtes pas dans la dernière mouture d'un jeu vidéo de guerre à la mode. Vous êtes sur le site de recrutement de l'armée de Terre française, lancé en 2009 avec le slogan «Devenezvousmeme.com».

Passé le design épuré de son animation, le site tricolore propose d'écouter les témoignages de soldats fraîchement enrôlés. Pour guider le visiteur, le ministère de la Défense a sorti l'artillerie lourde: une carte, un radar, toute l'interface est conçue pour donner l'impression de naviguer dans un niveau de Call of Duty: Modern Warfare, ou de n'importe quel autre avatar.

Est-ce à dire que l'armée française recherche des gamers ?

La question est revenue dans l'actualité après la publication de la vidéo d'une bavure de l'armée américaine en Irak par le site Wikileaks. Il y a dix jours, les voix courroucées se sont élevées un peu partout pour dénoncer le cynisme des pilotes impliqués dans l'assaut. Chez certains, leur vocabulaire («bien joué», «je l'ai eu», «canarde-le») a provoqué un sentiment de malaise, celui d'une guerre climatisée où la manette remplace la gâchette. D'après Christopher Beam, qui l'a écrit ici-même, les jeux vidéo ne doivent pas être déclarés coupables. Ils pourraient même «contribuer à prévenir» d'autres dommages collatéraux. Qu'en est-il?

Du sport, pas des chars d'assaut

Depuis quelques années, les «serious games», ces variantes pédagogiques du jeu vidéo lambda, essaiment un peu partout, et particulièrement chez les militaires. Pour le lancement de sa nouvelle interface, le ministère de la Défense proposait une gamme de 10 jeux téléchargeables, autant de défis à relever pour des gamers rompus aux ordres de mission. La succession d'objects, c'est le ressort immuable du FPS -First Person Shooter, tir à la première personne-, profondément scénarisé:

Vous pourrez mettre à l'épreuve vos aptitudes sur le terrain virtuel [...] le démineur examinera votre capacité à protéger vos hommes. Le simulateur testera votre aptitude à conduire les véhicules de l'armée de Terre. Vous devrez éviter les tirs, les obstacles et détruire vos cibles dans le cadre de la mission qui vous sera confiée.

Dans le même temps, l'armée a joué la carte virale en intégrant sa réclame dans le décor de certains jeux. En conduisant votre Peugeot WRC dans Colin McRae Dirt 2, ou en taquinant le cuir dans le jeu de football PES 2010, vous risquez ainsi de croiser des affiches de l'armée vous enjoignant à «devenir vous-mêmes». Point commun des titres ciblés, il s'agit uniquement de simulations de sport, du hockey au basket, du snowboard au tennis. A l'horizon, on n'aperçoit pas l'ombre d'un char d'assaut, pas plus qu'on n'entend le bruit de bottes d'un GI dopé aux stéroïdes. En se positionnant sur le segment, l'état-major capte le public des jeux plus qu'il ne cherche des compétences. Le but est moins de débusquer les fines gâchettes de demain que de capter l'attention d'une audience jeune. Jusqu'à jouer un rôle social?

Reflet de la réalité

Dès 2006, le Centre d'études en sciences sociales de la Défense (C2SD) publiait un opuscule de 26 pages, sobrement intitulé «les jeux vidéo à caractère militaire». «Le phénomène fait l'objet d'encore peu d'études complètes en sciences sociales, alors même qu'il prend une dimension nouvelle, pour de nombreuses raisons [...] Le nombre de personnes impliquées, parmi lesquelles de nombreux jeunes qui aspirent à un métier militaire», peut-on lire. «Les derniers logiciels parus, de par leur sophistication, sont d'un grand réalisme et d'une grande précision, au point de faire figure de véritables simulations, parfois utilisées par les armées elles-mêmes. Le téléchargement possible des paramètres de terrains de conflit les plus récents (et même actuels, comme l'Afghanistan et l'Irak), la représentation précise des armées en présence ou de leurs ennemis, l'ajout de bruitages, voix, ou autres détails, ont désormais pour but de refléter fidèlement des réalités parfois encore en cours.» Plus loin, le rapport de l'armée cite l'exemple américain. Aux Etats-Unis, où l'industrie du divertissement a rejoint le terrain militaire il y a déjà plusieurs années, «l'armée consacrerait 4 milliards de dollars au développement de jeux vidéo ou de simulateurs».

De son côté, le DARPA, le Département de recherche chargé d'élaborer les arsenaux de demain, a toujours frayé avec la réalité augmentée du combat. Apogée de cette dématérialisation de la guerre, les drones de l'US Air Force pullulent aujourd'hui dans les ciels afghans et pakistanais. Selon les dernières estimations, on en compterait plus de 6.000. Beaucoup d'entre eux sont pilotés par des soldats basés à... Creech, une base du Nevada, très loin du front.

Comme le montre ce reportage de CNN, les compétences requises se rapprochent énormément de celles d'un jeu de guerre. A cela rien d'étonnant, puisqu' l'arme des opérateurs de drones Predator ou Reaper est un joystick. En France? On recense moins de 100 avions sans pilote. C'est un peu le combat perdu d'avance d'une console nouvelle génération face à la Super Saturn de votre enfance.

L'armée me recruterait-elle?

Il y a quelques mois, les multirécidivistes d'Action Discrète avaient endossé le costume de joueurs compulsifs, candidats à l'uniforme. En caméra cachée, ils avaient tenté de convaincre les officiers de recrutement, mettant en avant leurs pouvoirs surhumains à World of Warcraft. Le résultat, hilarant, risque de truster les zappings de fin d'année pour un moment:

Armé de ma détermination et de bonnes capacités à Counter-Strike acquises lors de soirées en réseau pendant l'adolescence, j'ai poussé la porte du Cirfa de Paris, le centre d'information et de recrutement des forces armées. Sans grossir le trait (je ne traverse pas encore les murs), j'ai prétendu que j'étais étudiant en informatique, fin connaisseur des jeux de guerre. Benoîtement, j'ai demandé si ces compétences pouvaient être utiles. La réponse ne s'est pas fait attendre, dans le plus pur style militaire: «Ah non, monsieur, les jeux vidéo, c'est pas la vraie vie.» On ne sait jamais, il vaut mieux le dire. Avant d'avoir pu remplir le moindre document, j'ai tourné les talons, comme un vrai déserteur. Je n'avais pas encore passé la porte que les quolibets pleuvaient déjà. «Je commence à en avoir marre de ces petits mecs complètement déconnectés de la réalité», entendais-je en tendant l'oreille.

A la Dicod, le service d'information de l'armée, même ambiance. On manie le sujet des jeux vidéo avec précaution. «L'état-major estime qu'il a déjà suffisamment communiqué à ce sujet, explique le capitaine Raphël Pouyadou. Nous n'avons pas vraiment de spécialiste de la question, mais je vais essayer de vous trouver quelqu'un. Tout ce que je peux vous dire, c'est que l'armée française n'utilise pas les jeux vidéo, ni dans le recrutement, ni dans la formation, ni sur le plan opérationnel.» Game over.

Olivier Tesquet

Photo: Joystick / CC farnea, Flickr License by

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