Économie

A qui profite le nuage?

Temps de lecture : 9 min

Si le chaos aérien rime avec galère pour certains, d'autres tirent leur épingle du jeu.

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En paralysant les aéroports du nord de l'Europe, ce «volcan-au-nom-imprononçable» a révélé notre dépendance au transport aérien. Mais dans cette histoire, il y a, comme souvent, ceux qui pâtissent de la situation et ceux qui en ressortent gagnant. Etats des lieux des losers et des winners d'Eyjafjöll.

LES PERDANTS

Les sept millions de passagers cloués au sol, selon Airports Council International. Ce désordre handicape fortement l'activité économique. Le Medef a mis en place une cellule de crise «chargée d'évaluer la situation secteur par secteur et de proposer des solutions pour faire face aux conséquences sociales et économiques» de la fermeture de l'espace aérien. Si certains se retrouvent bloqués en vacances, d'autres salariés n'ont pas pu participer à des voyages professionnels.

Bloqués aussi, des centaines d'élèves partout dans le monde, après un voyage scolaire. Difficile de prévoir qui aura la charge des frais supplémentaires engendrés.

Les compagnies aériennes et les aéroports

L'IATA (association internationale du transport aérien) estime que la paralysie du transport aérien coûte chaque jour près de 150 millions d'euros au secteur aérien, dont 35 millions pour le seul groupe AirFrance-KLM. Du côté des aéroports, le chômage technique n'a pas encore été décrété pour les 7.000 employés de Paris et «si l'activité est ralentie, nous espérons une reprise prochainement», indique un porte-parole des aéroports de Paris. En revanche, du côté des sociétés de sécurité en charge des contrôles avant l'embarquement ou du tri des bagages, la plupart des équipes ont été renvoyées à leur domicile, faute de passagers.

De nombreux corps acheminés par voie aérienne restent bloqués pour une durée indéterminée dans les aéroports (il existe des morgues dans les aéroports). C'est le cas notamment à l'aéroport de Bruxelles, ville de transit entre de nombreuses régions européennes.

Les premières critiques de ce qui commence à ressembler à une catastrophe économique ont émané de l'IATA. L'organisation qui rassemble 230 compagnies aériennes a fustigé lundi matin, via un communiqué, l'attitude des gouvernements dans leur gestion de la «crise». Elle considère que ceux-ci n'auraient fait preuve «d'aucune consultation, aucune coordination, et aucun leadership». La Commission européenne a annoncé lundi qu'elle n'excluait pas l'attribution d'aides aux compagnies aériennes qui auraient subi d'importantes pertes financières.

Les grands-messes diplomatiques

A l'enterrement du président polonais Lech Kaczynski dimanche, manquaient à l'appel Nicolas Sarkozy, Barack Obama, Angela Merkel, Silvio Berlusconi...

Annulée faute de déplacement possible, la réunion qui devait réunir les responsables du gouvernement grec, du FMI et de la Commission européenne a été reportée. La Grèce devra patienter jusqu'à mercredi pour connaître les aides financières qui lui seront attribuées.

Pour contourner l'impossibilité de voyager, la vidéoconférence apparaît comme une solution pour poursuivre les discussions. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a convoqué dans les prochains jours une discussion par webcams interposées entre les différents ministres des Transports «pour faire face à cette situation sans précédent». Mais certains ministres, pourtant a priori portés sur les technologies, n'apprécient pas forcément le recours à ce plan B.

Les fruits tropicaux et les fleurs coupées

10% des cargaisons de fruits et légumes (principalement des fruits «tropicaux») arrivent par voie aérienne. Mangues, ananas ou fruits de la passion finiront par manquer si le trafic ne reprend pas rapidement. Le Kenya, premier exportateur de fleurs coupées, est de fait un des premiers à pâtir des effets du nuage. Touché de plein fouet, le village de Naivasha qui vit presque exclusivement des fermes horticoles, a dû se résoudre à détruire des centaines de milliers de fleurs -essentiellement des roses- devenues inexportables.

Les compétitions sportives

Les footballeurs aussi sont privés d'avion et ce, à l'occasion d'une riche semaine européennes (demi-finales aller de Ligue des Champions et d'Europa League). L'UEFA a pourtant annoncé dimanche que les perturbations du trafic aérien n'empêcheront pas la tenue des deux demi-finales aller. Ajoutant que, «dans le cas où les arbitres ne pourraient pas se rendre sur les lieux des matchs, des arbitres de remplacement ont été prévus.» Les équipes ont pris les devants: le FC Barcelona est parti en bus pour un trajet de 1.000 km avant son match contre l'Inter Milan mardi. Même traitement pour l'Olympique lyonnais (qui a pris des mini-vans) qui jouera mercredi contre le Bayern Munich.

Le Grand Prix moto du Japon, prévu du 23 au 25 avril, a d'ores et déjà été reporté au... 3 octobre. La course cycliste de l'Amster Gold Race, qui a débuté dimanche aux Pays-Bas, a vu son schéma un peu modifié par le forfait contraint de plusieurs coureurs, à commencer par le favori espagnol Alejandro Valverde. A Vienne, la participation au traditionnel marathon s'est écroulée: ce sont près de 2.000 concurrents qui n'ont pas pu se rendre sur la ligne de départ dimanche dernier.

Les dons d'organes

Les transports d'organes se voient très limités par la suspension des vols. La société 360° services qui s'occupe de l'acheminement d'équipes chirurgicales en province pour le prélèvement d'organes destinés à l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) constate une «certaine pénurie». Yvon Boivin, coordinateur en charge du transport d'organes, explique «qu'il est quasiment impossible de trouver des alternatives par la route». Face à cette situation, l'Agence de biomédecine a décidé de suspendre la liste de priorité des malades. Comme le raconte Yvon Boivin, un foie disponible à Nantes ce week-end qui revenait en temps normal à un malade d'Ile-de-France prioritaire a été transplanté à quelqu'un de la région car il était impossible de l'acheminer à temps.

LES GAGNANTS

Les transports alternatifs

Les sociétés de transport routier et maritime font très certainement partie de ceux qui n'espèrent pas que le vent tourne. Eurolines affichait dans la rubrique «News» de son site «Nuage de cendres: voyagez avec Eurolines»!

L'Eurostar entre Paris et Londres a lui aussi été complètement pris d'assaut dès le jeudi et a dû mettre en place 10 trains supplémentaires durant tout le week-end. Il a indiqué lundi que tous ses trains étaient complets jusqu'à vendredi prochain inclus.

SeaFrance, compagnie de ferries entre Calais et Douvres, peut également remercier le volcan-au-nom-imprononçable. Selon sa porte-parole, la société a rouvert les réservations aux passagers piétons face à l'augmentation de la demande. Son trafic a «plus que doublé ce week-end» et 10.000 passagers auraient ainsi été transportés durant cette réouverture exceptionnelle.

Le covoiturage s'est vendu comme l'alternative n°1 ce week-end. Les usagers qui ont cherché la moindre solution pour se déplacer sur le territoire se sont rués sur cette «option communautaire». Selon une représentante du site covoiturage.fr, celui-ci aurait enregistré vendredi une explosion de fréquentation et d'inscriptions. Le site a d'ailleurs lancé un appel aux conducteurs voyageant seuls dans leur voiture pour pouvoir répondre à une demande de passagers qui a augmenté de 100% entre jeudi et vendredi, passant de 300.000 à 600.000. «Nous avons sauvé le week-end de plein de personnes et jusqu'au mariage d'une jeune femme qui a pu se marier grâce au covoiturage.»

Les sans-papiers

En attendant la reprise du trafic aérien, les expulsions aussi connaissent un temps mort. A raison de près de 29.000 expulsions par an pour 2008 et 2009, ce sont, au prorata, quelque 480 sans-papiers qui ont vu leur départ forcé reporté par la suspension des vols aériens de ces six derniers jours. Pour Jean-François Duboste, responsable du service réfugiés à Amnesty International, les personnes en attente d'éloignement sont néanmoins contraintes à des mesures d'enfermement prolongées. Ce qui devrait amener l'Etat, considère Jean-François Duboste, à «reconsidérer sa politique en matière de privation de liberté et privilégier l'assignation à résidence». A l'heure de la reprise des vols, les sans-papiers ne seront certainement pas prioritaires face aux Français bloqués à l'étranger. Et vu la durée maximale de la détention (32 jours), certains pourraient bénéficier du chaos aérien et retrouver la liberté.

Les Islandais

Pour certains Islandais, le volcan prend un air de revanche en faisant enfin parler de leur petite île pour un autre motif que sa banqueroute financière. Synonyme de puissance, Eyjafjallajökull en deviendrait presque un symbole national et, dans les rues de Reykjavik, les jeunes arborent des t-shirt entre fierté et pied-de-nez à ceux qui, en Europe, les ont montrés du doigt : «Don't fuck with Iceland! We may not have cash, but we've got ash!»

La visioconférence

«Le volcan entrave le trafic aérien, Regus offre la solution.» La société spécialiste en visioconférence qui propose la location de 2.500 studios et 1.000 centres d'affaires dans 450 villes dans le monde a enregistré une explosion de ses commandes entre jeudi et lundi. Selon un porte-parole, la suspension des vols a garanti à la compagnie d'enregistrer une hausse moyenne de la demande de réunions virtuelles de 56% en France, 453% en Angleterre, pour une augmentation globale de 139% en Europe. L'expérience introduite pour les conseils des ministres européens devrait en revanche rester sans suite.

Les opérateurs de téléphonie

Bloqués, en galère et en recherche d'informations, les usagers concernés par les reports de vol ou leurs effets collatéraux ont permis aux opérateurs de téléphone d'être dans le camp des winners du week-end. A Orange, «on enregistre une hausse de 15% du trafic le vendredi et le samedi par rapport à la semaine précédente», et ce, évidemment grâce aux appels passés à l'international.

Les vacanciers du Club Med

Coup de bol pour les 8.000 personnes qui se trouvaient déjà dans un centre de vacances Club Med: l'organisateur de voyage a annoncé que ceux qui ont souscrit un «package Club Med» comprenant avion et séjour pourraient poursuivre leur séjour gratuitement. Ceux qui n'avaient souscrit l'option avion ont pu s'offrir, à moitié prix, quelques jours de soleil en plus. D'autres enseignes telles que Framissima ou Nouvelles Frontières ont proposé des gestes commerciaux similaires.

Bilan mitigé pour l'hôtellerie

Pour Laurent Duc, membre du directoire de l'Union des métiers et des Industries de l'Hotellerie(UMIH), il y a deux effets sur l'hôtellerie. Un «immédiat» dû aux annulations de vol et aux personnes qu'il a fallu reloger à proximité des aéroports. Les réservations auraient augmenté de 20 à 40% depuis les suspensions de vols. Mais les conséquences sur le long terme pourraient mettre en péril cet effet d'aubaine des hôteliers: l'annulation des séjours des vacanciers. Pour le moment, le balancier s'en sort à bon compte, juge Laurent Duc et «si ça redémarre bientôt, pas de problème pour nous». Lui-même propriétaire d'un établissement à Lyon a vu ses réservations afficher complet ce week-end au lieu du taux de remplissage à 50% habituellement observé cette saison. «On a vu des gens quitter leur chambre pour prendre leur avion, revenir puis repartir pour tenter l'option train.»

Le courrier traditionnel s'en sort bien

Si la distribution a été légèrement perturbée, les compagnies d'acheminement du courrier ont pu limiter les retards par leur faible dépendance au fret aérien. Pour le groupe La Poste, les dégâts collatéraux d'Eyjafjöll sont minimes, car seul 3% du courrier est acheminé par voie aérienne et cette part est équivalente pour les colis. Le service Chronopost qui assure l'envoi et le suivi de colis est lui effectué à 5% par avion. «De nouveaux camions ont immédiatement été mis en place et le chargement des trains a été optimisé au maximum.» Selon un porte-parole, La Poste qui s'orientait déjà vers une réduction de la distribution par avion «ne peut qu'être confortée dans son choix» au vu de la situation actuelle.

Margaux Collet

Photo: Des coulées de lave à Eyjafjallajokul.REUTERS/ L. JACKSON

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