Une bête mythique appelé le «cheval des herbes boueuses» est devenue un phénomène de l'Internet en Chine. Le New York Times a rapporté jeudi que le nom mandarin de la créature, qui ressemble à un alpaga, est un jeu de mots très obscène. Les règles déontologiques du Times empêchent le journal de rendre plus explicite la blague mais des sources moins tatillonnes expliquent que la phrase Cao ni ma est un homonyme pour «nique ta mère» en chinois. Trouve-t-on des variantes de «nique ta mère» partout dans le monde?
Plus ou moins. Bien que cette insulte ne soit pas tout à fait universelle, des variations de cette injonction à commettre l'inceste avec sa mère existent dans le monde entier. Des anthropologues notent que, dans toutes les cultures, il y a des thèmes récurrents dans les insultes les plus graves : la famille de votre adversaire, sa religion, le sexe, et la scatologie. Puisque nique ta mère (motherfucker) fait référence à deux de ces domaines - en plus, l'inceste est un tabou presque universel - il est populaire un peu partout.
Dans le mandarin, on trouve des dérivations comme Cao ni ma ge bi, «baise le con de ta mère», et «Cao ni da ye», «baise ton oncle aîné.» Si on considère le culte des ancêtres chez les Chinois, «Cao ni zu shong shi ba dai», ou «baise tes 18 dernières générations d'ancêtres», est peut être le plus corsé à ces appels à l'inceste.
Les invectives liées à l'inceste ne sont qu'une façon d'insulter la mère d'autrui, en contestant l'intégrité sexuelle de la mère comme dans la phrase italienne «Si les rues étaient pavées de bites, ta mère marcherait sur son cul» ou encore en suggérant que l'interlocuteur va lui-même violer la mère de son auditeur (Par exemple, la formidable injure turco-mongole, «J'urine sur la tête de ton père et j'ai des rapports sexuels avec ta mère!»).
Dans les cultures méditerranéennes, où le rapport entre mère et fils est particulièrement sacré, les insultes qui impliquent l'inceste ont une portée spéciale. Les pires jurons grecs, par exemple, sont «gamo ti mana sou», «gamo tin Panagia sou», et «gamo to Khristo sou» -«baise ta mère», «baise ta madone» et «baise ton Christ.»
Selon le classique de G. Legman Rationale of the Dirty Joke (la Psychanalyse de l'humour cochon), «Va foutre ta mère» (Idy v kibini matri) est «l'ultime insulte russe.» D'autres cultures qui vénèrent la maternité utilisent aussi des variations de cette phrase. Les Mexicains aiment bien lancer l'invective «chinga tu madré» à leurs rivaux. Pendant la guerre du Viêtnam, l'exclamation vietnamienne du me - au sens littéral, «baise mère» - s'est transformée pour devenir doo-mommie (fais-le avec maman) dans l'argot de l'armée américaine.
Les cultures africaines fournissent quelques contributions retentissantes au chapitre du «nique ta mère». L'anthropologue Philip Mayer, dans un article de 1951 sur les blagues des Gusii du Kenya, a noté que de bons amis se taquinaient avec la directive, «Va manger l'anus de ta mère!» Les Igbo du Nigeria emploient la phrase O-ra nna ye!, «baiseur de sa mère!»
La première apparition dans le langage écrit du terme anglais «motherfucking» figure dans un document légal datant de 1889. Dans un procès en Cour d'Appel de l'Etat du Texas, il a été rapporté que le défendant s'est fait appeler « that God damned mother-f-cking, bastardly son-of-a-bitch!" (« ce putain de baiseur de sa mère, salaud de fils de pute »). La phrase a été considérée comme tellement ignoble dans l'Amérique de la fin du dix-neuvième siècle, que dans un autre cas devant une Cour du Texas, un homme qui s'était fait traiter de « baiseur-de-sa-mère-fils-de-pute » par une personne qu'il avait tuée par balles en représailles « ne s'était vu incriminé que pour homicide involontaire," étant donné la gravité de l'insulte.
En remontant encore dans l'Histoire, la littérature arabe médiévale est une véritable source de nique-ta-mère, le plus souvent sous la forme de duels d'insultes ritualisés. Par exemple, Al-Nu'man ibn al-Mundhir, un roi d'Al-Hirah au VIe siècle, s'est fait ridiculisé dans un poème comme «un roi qui caresse sa mère et ses esclaves / Ses joints sont flasques, son pénis a la taille d'une aiguille de khôl. » Bashshar ibn Burd, un poète perse du VIIIe siècle, a attaqué un autre poète, Hammad Ajrad, en écrivant, «Ajrad saute sur sa mère: un suceur qui tète une truie.» Ce à quoi Hammad a répondu « On t'appelle le fils de Burd, mais tu es celui d'un autre. Et même si tu es le fils de Burd, fils de pute, qui est Burd?».
Remerciements à Reinhold Aman du journal Maledicta, Timothy Jay de la Massachusetts College of Liberal Arts, Jesse Sheidlower du dictionnaire Oxford English, et Robert Vanderplank du centre linguistique de l'Université Oxford.
Nina Shen Rastogi
Nina Shen Rastogi est écrivain et éditeur à Brooklyn, New York.
Cet article, traduit par Holly Pouquet, a été publié sur Slate.com le 12 mars 2009.
Image de une: Vincent et Jules prisent le «motherfucker» dans «Pulp Fiction». DR