Sciences

Pour trouver une forme extraterrestre, il faut revoir notre définition de la vie

Temps de lecture : 8 min

Nous ne pourrons pas faire de découverte décisive tant que nous ne changerons pas notre manière de chercher.

Einstein a jeté les bases d'une nouvelle théorie expliquant la physique gravitationnelle en établissant un lien contre-intuitif entre les propriétés de la lumière et celles de la gravité, remodelant par là même nos notions d'espace et de temps. | Daniel Olah via Unsplash
Einstein a jeté les bases d'une nouvelle théorie expliquant la physique gravitationnelle en établissant un lien contre-intuitif entre les propriétés de la lumière et celles de la gravité, remodelant par là même nos notions d'espace et de temps. | Daniel Olah via Unsplash

La découverte de possibles traces de vie extraterrestre sur Vénus a été l'une des nouvelles les plus importantes de 2020, dans le domaine de l'astronomie, mais à peine quelques jours plus tard, elle ne faisait déjà plus les gros titres. Ce n'était pas la première fois que ce type d'événement se produisait: en 1996, Bill Clinton, alors président des États-Unis, avait tenu une conférence de presse sur la pelouse sud de la Maison-Blanche pour annoncer la découverte possible de micro-organismes extraterrestres fossilisés dans une météorite martienne. Mais quelles que soient les découvertes annoncées, actuelles ou futures, elles font toujours l'objet d'une controverse, puis disparaissent rapidement, car nous sommes dans l'incapacité de confirmer que nous avons réellement découvert l'existence d'une vie extraterrestre.

La communication entourant la découverte de septembre 2020 n'a en rien différé de la médiatisation habituelle. Des chercheurs ont annoncé que la découverte de phosphine sur Vénus pourrait être une preuve de l'existence d'une forme de vie extraterrestre, soulignant toutefois que ce gaz pourrait être produit dans l'environnement vénusien en l'absence de vie, même si les scientifiques se sont efforcés de balayer cette possibilité. Cependant, certains détracteurs ont rapidement souligné que les traces de phosphine étaient faibles, et le monde scientifique s'accorde désormais à dire que cette découverte était probablement une fausse alarme.

Photo de molécules de phosphine prise le 14 septembre 2020 par l'Observatoire du sud de l'Europe. | M. Kornmesser, L. Calcada / European Southern Observatory / AFP

Mais même s'il était possible de confirmer une véritable découverte de phosphine, celle-ci serait suivie d'un débat plus approfondi pour savoir si elle devait être associée ou non à une forme de vie. Ce débat –ou celui qui éclatera la prochaine fois que le battage médiatique fera rage– a peu de chances d'être résolu dans un avenir proche, car les moyens employés actuellement pour chercher la vie en dehors de la Terre sont insuffisants.

Vide théorique

Les astrobiologistes recherchent essentiellement des traces de vie, ou biosignatures, en fonction de la vie telle qu'on la connaît sur Terre. L'un des exemples les plus courants est la recherche d'oxygène dans les atmosphères exoplanétaires. L'oxygène dans l'atmosphère de la Terre est produit par la photosynthèse et notre atmosphère ne serait pas aussi riche en oxygène s'il n'y avait pas de vie sur Terre. Et, point tout aussi important pour la détection sur des mondes éloignés, l'oxygène est observable à des distances interplanétaires.

Pour toutes ces raisons, les astrobiologistes pensaient que la découverte d'oxygène dans l'atmosphère d'une exoplanète semblable à la Terre serait un indicateur solide de la présence de vie. Cependant, les modèles simulant des exoplanètes dans diverses conditions ont montré à plusieurs reprises comment l'oxygène pouvait être produit en abondance sur des planètes sans vie. Il est également connu que la phosphine est produite dans les atmosphères de Jupiter et de Saturne malgré l'absence de vie. Si la présence de phosphine était confirmée dans l'atmosphère de Vénus, nous n'aurions toutefois pas la certitude que le gaz n'est pas produit par des mécanismes non vivants encore inconnus.

L'oxygène peut être produit en abondance sur des planètes sans vie.

L'incertitude engendrée par la phosphine de Vénus est un résumé de la crise à laquelle les astrobiologistes vont être confrontés dans les décennies à venir, une crise d'annonces controversées et de désaccords permanents. La découverte d'une forme de vie sur une autre planète devrait être un événement capital pour l'humanité, mais toute annonce de découverte d'une biosignature faite sans attendre tiendra plus de la foire d'empoigne que de l'avancée marquante, car les scientifiques ne seront pas tous d'accord sur le fait qu'il s'agit ou non d'une réelle découverte. Sur Terre, la vie n'est pas déterminée en fonction des gaz que l'on trouve dans l'atmosphère. En réalité, aucune de nos biosignatures actuelles ne peut répondre à cette question fondamentale: Qu'est-ce qui fait de nous des êtres vivants? Nos biosignatures ne sont pas des preuves de vie définitives, parce que nous n'avons pas de théorie cohérente sur ce qu'est la vie.

Pour éviter cette crise, les astrobiologistes doivent se poser une question que nous avons, jusqu'à présent, toujours éviter de nous poser: qu'est-ce que la vie? Nous ne pourrons pas répondre à cette question en découvrant une vie extraterrestre, parce que nous ne pourrons pas découvrir de vie extraterrestre sans avoir tenté auparavant de répondre à cette question. Nous devons y répondre en comprenant les principes abstraits qui gouvernent la vie sur Terre. Ensuite seulement, la recherche de vie extraterrestre pourra servir à mettre à l'épreuve la réponse que nous aurons élaborée.

Expliquer la vie à défaut de la définir

Jusqu'à présent, nos chances de progresser semblaient plus importantes si nous passions cette question sous silence et que nous nous contentions de définitions symboliques. A priori, il peut paraître facile de définir ce qu'est la vie; pourtant, quelle que soit la définition proposée, on s'aperçoit toujours que des formes de vie se retrouvent exclues, et que des objets non vivants correspondent aux critères composant la définition. Carl Sagan a montré qu'adopter une définition incluant la capacité de manger, de métaboliser, d'excréter, de respirer, de se mouvoir et de répondre à des stimuli extérieurs –des critères qui semblent non équivoques– pourrait pousser n'importe quel extraterrestre arrivant sur Terre à considérer les automobiles comme la forme de vie dominante.

La définition très répandue selon laquelle «la vie est un système chimique autonome capable d'évolution comme l'entend Darwin» exclut tous les organismes qui ne peuvent pas se reproduire, car ils ne sont pas capables d'évoluer –par conséquent, si l'on prend la définition au pied de la lettre, les mules et de nombreux seniors n'entrent pas dans cette catégorie. Cette difficulté à définir ce qu'est la vie a conduit certains spécialistes à déclarer que la vie n'existe pas, ou du moins, que les tentatives pour la définir sont complètement inutiles à la science. Mais si définir la vie est complexe, car cela touche à des limites immuables et problématiques entre ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas, formuler une théorie qui explique la vie ne doit pas obéir à nos attentes naïves et peut, au contraire, élargir notre compréhension.

Pour l'instant, nous n'avons aucune théorie qui puisse guider nos recherches.

D'autres disciplines reposent sur ce genre de principe théorique. En astrophysique, les prédictions fondées sur les lois mathématiques explicatives et les tendances observées ont joué un rôle important en guidant notre recherche de phénomènes supposés exister, mais qui ne possédaient pas encore de preuves empiriques substantielles. Par exemple, en publiant sa théorie de la relativité générale en 1915, Albert Einstein a jeté les bases d'une nouvelle théorie expliquant la physique gravitationnelle. Il est parvenu à ce résultat en établissant un lien contre-intuitif et incroyablement perspicace entre les propriétés de la lumière et celles de la gravité, remodelant par là même nos notions d'espace et de temps. Parmi les nombreuses nouvelles prédictions de sa théorie figurait l'existence des ondes gravitationnelles, découvertes un siècle plus tard, en 2015.

C'était une découverte révolutionnaire, mais elle n'a été rendue possible que grâce au fondement théorique qu'Einstein avait élaboré un siècle plus tôt. Elle a également nécessité le développement durant des décennies d'instruments extrêmement sensibles et d'analyses statistiques sophistiquées; il faudra probablement autant d'acharnement pour parvenir à une véritable découverte d'une forme de vie extraterrestre. Il est fort possible que toute théorie que nous échafauderons pour expliquer ce qu'est la vie aura aussi un fondement contre-intuitif et mènera à des idées encore plus révolutionnaires sur le fonctionnement de notre univers. Après tout, la vie est bien plus complexe que la gravitation. Mais pour l'instant, nous n'avons aucune théorie qui puisse guider nos recherches. Tant que nous n'aurons pas de théorie de la sorte, même les cent ans qu'il a fallu attendre pour finalement découvrir les ondes gravitationnelles paraîtront d'une extrême brièveté en comparaison avec le temps qu'il nous faudra pour découvrir une forme de vie extraterrestre. S'il y a réellement quelque chose à découvrir.

Une théorie universelle de la vie

À quoi pourrait bien ressembler une théorie universelle de la vie? Elle devra prendre en compte des caractéristiques de systèmes vivants qu'aucune loi de la physique et de la chimie actuelles ne peut expliquer. En d'autres termes, elle devra mettre en évidence les processus de l'univers que seule la vie peut produire. L'une des directions que cette approche peut prendre est d'aller vers la complexité. La physique, par exemple, ne peut expliquer à elle seule la capacité qu'a la vie à construire des objets complexes par le traitement de l'information –c'est-à-dire des objets qu'il est statistiquement impossible de produire en l'absence d'informations ou d'instructions sur la façon de les construire.

Si nous trouvions un tournevis ou tout autre objet complexe –une protéine, par exemple– sur Mars, nous aurions un indice de vie, parce que nous ne nous attendons pas à ce que seules les lois de la physique fassent évoluer ces objets pour qu'ils existent.

La découverte de l'existence d'une vie extraterrestre exige que nous le fassions d'une manière qu'aucun domaine de la science n'a encore eu à expérimenter.

Ces idées sont formalisées dans de nouvelles façons d'aborder les biosignatures agnostiques qui ne nécessitent pas la même biochimie que la vie sur Terre, mais qui se concentrent plutôt sur la quantification des propriétés des molécules qui portent les marques de l'histoire de l'évolution.

Les ensembles de molécules qui sont trop complexes pour s'être formés par hasard nécessiteraient un système physique comportant des informations sur la manière de les assembler (c'est-à-dire que les molécules complexes sont des indicateurs statistique d'une présence de vie; cela serait une preuve plus définitive que les biosignatures actuelles), alors que le mieux que nous puissions dire de l'oxygène dans l'atmosphère d'une exoplanète serait que «nous n'avons pas encore compris comment cela peut exister sans la vie telle que nous la connaissons», les biosignatures agnostiques nous permettraient d'évaluer les probabilités mathématiques que ce que nous avons trouvé a été créé par un système de traitement de l'information vivant sélectionné par un procédé évolutif, menant à des hypothèses de plus en plus claires sur les principes universels qui sous-tendent la vie.

Comprendre quelle est notre place dans l'univers

Bien que les approches théoriques de l'astrobiologie n'en soient qu'à leurs balbutiements, elles semblent pouvoir promettre de répondre à la question qui nous taraude depuis des siècles «Sommes-nous seuls?», à la fois en qui concerne la découverte scientifique elle-même et la réaction qu'aura la communauté internationale. Tant que nous n'aurons pas su appréhender, à l'aide de notre propre imagination, l'étendue de ce qu'est la vie, nous ne serons pas émus par les affirmations de sa découverte grâce à des indicateurs de biosignature qui ne donnent aucun indice de la forme de vie qui les génèrerait. Une découverte qui confirmerait des théories poussées sur ce qu'est la vie serait bien plus significative que l'annonce de la découverte d'un sous-produit métabolique. La découverte d'une vie extraterrestre ne se résume pas au «Aha!» que l'on pousserait après avoir trouvé un signal provenant d'un monde distant: c'est un processus de découverte de nous-mêmes et de ce que nous sommes dans l'histoire de l'univers. Comme pour d'autres grandes avancées dans notre compréhension de l'univers, il nous faudra creuser profondément et lancer des théories sur la nature de l'espèce humaine.

Mais la découverte de l'existence d'une vie extraterrestre exige que nous le fassions d'une manière qu'aucun domaine de la science n'a encore eu à expérimenter, car il ne s'agit pas seulement de tenter de comprendre l'univers, mais surtout de comprendre quelle y est notre place. Ce n'est que lorsque nous serons capables de cela que nous aurons un espoir de découvrir réellement s'il existe une vie extraterrestre, et de comprendre toutes les manières dont cette découverte changera notre façon de comprendre la vie sur Terre, autrement dit, de nous comprendre nous-mêmes.

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