Santé / Monde

Le monde observe l'OMS observer la Chine

Temps de lecture : 8 min

La délégation de l'Organisation mondiale de la santé envoyée à Wuhan à la recherche d'une explication sur l'origine du Covid-19 est attendue au tournant.

Les experts de l'OMS enquêtant sur les origines du coronavirus visitent le marché de Huanan, le 31 janvier 2021 à Wuhan, en Chine. | Hector Retamal / AFP
Les experts de l'OMS enquêtant sur les origines du coronavirus visitent le marché de Huanan, le 31 janvier 2021 à Wuhan, en Chine. | Hector Retamal / AFP

En Chine populaire, il n'est pas toujours facile d'avoir de véritables informations sur les questions de santé. En 1972, à l'époque de la Révolution culturelle, une délégation française de jeunes polytechniciens en visite en Chine avait été invitée dans un hôpital de Nankin à assister à une opération sous acupuncture. La particularité de cette pratique médicale, que vantait la propagande maoïste, était que le patient n'était pas anesthésié. Officiellement, la manipulation d'aiguilles suffisait à supprimer la douleur quand les bistouris entraient en action.

Les jeunes Français devaient monter un escalier jusqu'à un balcon au troisième étage de l'hôpital pour voir l'opération. Mais l'un d'eux, en retard sura le groupe, avait pris l'ascenseur dans lequel se trouvait un chirurgien chinois. Celui-ci lui avait glissé en un français parfait: «Ne croyez rien de ce à quoi vous allez assister...» Quelques minutes plus tard, le même chirurgien était dans l'équipe qui incisait le ventre du malade, qui pour sa part, souriait à la délégation.

Encadrement maximum

Un même souci d'opacité et de manipulation semble entourer les dirigeants chinois qui viennent de recevoir à Wuhan une équipe de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Pékin a attendu plus de onze mois avant d'autoriser ce groupe international de treize scientifiques à venir dans la ville où le virus semble avoir commencé à se développer. Parmi eux se trouvent notamment un virologue, un immunologue, des biologistes, un spécialiste de santé publique, ou encore de santé animale.

Plusieurs autres scientifiques avaient été pressentis par l'OMS pour faire partie de la mission. Ils ont été récusés par les autorités chinoises. Ceux qui finalement se sont vu accorder un visa d'entrée en Chine sont étroitement surveillés. Leur objectif, défini par l'OMS, est de «trouver les réponses sur les origines de la pandémie et sa voie de transmission à l'homme», afin de prévenir d'autres épidémies. À leur arrivée à Wuhan, chacun a dû se soumettre à la quarantaine imposée à tout voyageur venant de l'étranger, soit deux semaines d'isolement dans une chambre d'hôtel.

Le 29 janvier, le groupe peut enfin entamer son travail d'inspection. Pour commencer, ses membres sont conduits en bus dans un vaste bâtiment où ils sont invités à visiter une exposition récemment installée et qui détaille le combat contre la pandémie à Wuhan. Les chiffres et les photos insistent sur les efforts déployés à la fois par le personnel médical, la municipalité et les dirigeants locaux du Parti communiste.

Ensuite, les experts de l'OMS sont amenés à l'hôpital Jinyintan où des médecins leur racontent avoir été les premiers à accueillir des malades atteints d'un virus inconnu, qui s'est révélé être le SARS-CoV-2. Peter Daszak, un zoologiste anglais qui fait partie du groupe d'experts, tweete: «Première visite extrêmement importante. Nous sommes dans l'hôpital qui a traité certains des premiers cas connus de Covid-19. Nous rencontrons les médecins et le personnel qui ont travaillé là-dessus, avec une discussion franche sur les détails de leur travail.»

Le lendemain, dans des voitures aux vitres teintées, le groupe de scientifiques est conduit au marché de gros alimentaire de Huanan. C'est là qu'en décembre 2019, un premier foyer de contamination au coronavirus a été repéré à proximité d'étals d'animaux vivants. Depuis un an, ce marché est totalement fermé et seuls les experts et leurs accompagnateurs chinois sont autorisés à y entrer ce 30 janvier. Devant les portes de l'établissement, des policiers surveillent les barrières qui tiennent à distance les journalistes, chinois ou étrangers. Lorsque certains d'entre eux lancent des questions en direction des voitures, les vitres sont rapidement remontées.

Le 4 février, la délégation se rend à l'Institut de virologie de Wuhan où se trouvent les laboratoires de haute sécurité P3 et P4 qui manipulent –entre autres– des coronavirus. L'équipe internationale va y passer près de quatre heures au cours desquelles les visites d'installations vont alterner. Des entretiens avec le personnel médical et administratif sont aussi au programme. Là encore, Peter Daszak va se montrer positif. Le lendemain, à propos des personnels rencontrés dans ce laboratoire P4, il déclare sur Sky News: «Ils partagent avec nous des données que nous n'avons jamais vues auparavant –que personne n'a jamais vues auparavant. Ils nous parlent ouvertement de toutes les voies possibles. Nous arrivons vraiment à quelque chose.»

Une étude aussi scientifique que possible

Comment a-t-on parlé, lors de ces rencontres, de la possibilité d'une manipulation imprudente qui aurait permis à un virus de s'échapper? Ce virus était-il présent sur des chauves-souris qui servaient à des expériences? Est-ce que, mal protégé, un employé du laboratoire l'aurait transporté jusqu'au marché alimentaire voisin? La contamination se serait alors faite avec un animal d'une autre espèce. Si ce ne sont pas des pangolins, ce pourrait être des visons. Et après être passé par l'un de ces animaux, le virus s'est transmis à l'humain.

Ces hypothèses étaient mises en avant par Donald Trump. Avant de laisser ses fonctions de secrétaire d'État, Mike Pompeo a même affirmé détenir «un nombre significatif de preuves» indiquant qu'un laboratoire de Wuhan est à l'origine de la pandémie. Cependant, le groupe d'experts de l'OMS qui a visité le P4 le 4 février ne semble pas partager ces affirmations. Le 7 janvier, Peter Ben Embarek, le scientifique danois qui dirige la délégation à Wuhan a déclaré à l'AFP que la thèse d'un virus qui aurait fui du laboratoire ferait «un excellent scénario pour des films ou séries film mais elle est peu crédible».

Une pareille déclaration ne déplaira évidemment pas à Pékin, où l'on répète que l'épidémie n'a pas pris naissance à Wuhan. Les médias chinois présentent d'autres hypothèses: ils estiment actuellement, mais sans le prouver, que de la viande congelée exportée à Wuhan par un pays étranger aurait contenu le virus. Ou encore, selon une version très répandue en Chine, qu'il aurait été amené par des occidentaux et, plus précisément, par des sportifs américains venus participer en octobre à une compétition sportive internationale.

Le 29 janvier, Zhao Lijian, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, énonce les limites que la Chine fixe à la mission de l'OMS en déclarant: «Cette coopération et ces échanges entre experts internationaux de l'OMS et experts chinois sont l'un des volets de la recherche mondiale sur l'origine du coronavirus. Ce n'est pas une enquête.» Tandis qu'à Genève, au siège de l'OMS, Michael Bryan, le directeur des questions d'urgence sanitaire, dans le souci de calmer d'éventuelles tensions, avait affirmé dès le 14 janvier que l'équipe envoyée ne cherchait pas «des coupables ni des accusés». Il semble que l'OMS ait convenu avec le gouvernement chinois de se limiter à une étude aussi scientifique que possible de l'origine du coronavirus.

Les États-Unis rebattent les cartes

Mais dans sa relation avec la Chine, l'OMS cherche à être irréprochable. Début 2020, pour avoir grandement tardé à déclarer une urgence sanitaire mondiale, l'organisation a été vivement critiquée dans le monde occidental: elle donnait l'impression d'accepter sans nuance le refus du gouvernement chinois d'admettre qu'il n'a pas traité la pandémie dès le départ et a même préféré la cacher.

En janvier 2020, Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur de l'OMS, est allé à Pékin et a rencontré le président chinois Xi Jinping. Il n'a pas cherché à se démarquer des points de vue officiels chinois sur la pandémie. Ancien ministre éthiopien de la Santé, il a été désigné à la tête de l'OMS grâce à un solide soutien de la Chine. Celle-ci est d'autant plus puissante à l'OMS qu'en avril 2020, Donald Trump a décidé d'en retirer les États-Unis.

Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur de l'OMS, rencontre le président chinois Xi Jinping le 28 janvier 2020 à Pékin. | Naohiko Hatta / AFP

Au contraire, Joe Biden a annoncé lors de sa campagne électorale qu'il souhaitait que son pays revienne dans l'Organisation mondiale de la santé. Il a confirmé son intention au deuxième jour de son mandat, en même temps qu'il a pris une série de mesures de lutte contre le Covid-19. Tedros Adhanon Ghebreyesus s'était réjoui de l'élection du nouveau président américain en disant: «Nous félicitons le président élu Joe Biden ainsi que la vice-présidente élue Kamala Harris, et nous réjouissons de travailler de très près avec leur administration.» Les dirigeants de l'OMS comme les principaux pays qui y participent –dont la Chine– vont devoir tenir compte de ce retour des États-Unis dans l'organisation. Cette nécessité de réalisme pourrait expliquer en partie que Pékin ait accepté la venue sur son territoire des treize experts de la santé internationaux.

De son côté, Joe Biden a signé le 26 janvier un décret qui bannit l'utilisation par l'administration américaine des termes «virus chinois» ou «virus de Wuhan» qu'employait couramment Donald Trump. Mais les États-Unis ont l'intention de suivre de près le travail actuel de l'OMS à Wuhan. Jen Psaki, la nouvelle porte-parole de la Maison-Blanche, a ainsi affirmé: «Il est impératif que nous allions au fond des choses dans l'apparition de la pandémie en Chine.»

Les dirigeants chinois sont quant à eux préoccupés par une crainte importante: celle d'être critiqués par leur population. Un peu plus d'un an après le début de la pandémie, le Parti communiste chinois met en avant sa victoire face au coronavirus. Alors que 2 millions d'êtres humains dans le monde sont morts du Covid-19, la Chine a pu limiter la contagion à moins de 90.000 cas et le nombre de décès à 4.636, selon le décompte officiel. Cependant, en se méfiant constamment de toute enquête internationale ou en mettant en avant des points de vue sur l'origine du virus qui laissent sceptiques les scientifiques occidentaux, Pékin en arrive à donner fortement l'impression d'avoir beaucoup à cacher.

L'Organisation mondiale de la santé se gardera sans doute de critiquer le comportement des autorités chinoises. À propos du déplacement actuel à Wuhan, Peter Ben Embarek estime: «On n'aura pas de réponses complètes sur l'origine du virus, mais ce sera un bon premier pas.» La mission devrait s'achever autour du 12 février, date du nouvel an chinois.

Le 9 février, toute l'équipe en compagnie d'experts chinois a donné une conférence de presse pour faire part de quelques premières constatations. Peter Ben Embarek a souligné que l'hypothèse de la fuite du coronavirus d'un laboratoire était «hautement improbable». Une transmission depuis un premier animal puis un deuxième avant une contamination à l'humain est l'hypothèse «la plus probable», a-t-il annoncé avant d'ajouter que cette piste demandait toutefois «des recherches plus spécifiques et ciblées». De leur côté, les experts chinois ont déclaré qu'ils n'avaient pas trouvé l'animal à l'origine de la propagation du virus: celui-ci n'a «pas encore été identifié», a indiqué Liang Wannian, qui dirige le groupe des scientifiques chinois. Il considère qu'«il n'y a pas assez de preuves [...] pour déterminer si le SARS-CoV-2 s'est propagé à Wuhan avant décembre 2019».

Après cette mission, les membres de l'OMS devraient revenir en Chine au moins deux autres fois. Cela pourrait permettre à ces experts occidentaux d'établir un lien de confiance avec leurs interlocuteurs chinois, voire avec les responsables du Parti communiste de Wuhan.

Plus d'une année s'est écoulée depuis l'apparition du SARS-CoV-2, mais il paraît encore difficile de déterminer précisément d'où il provient. Dans le meilleur des cas, le rapport que dressera l'Organisation mondiale de la santé pourrait révéler ce que les chercheurs chinois savent sur l'origine de la pandémie. Et que, jusqu'ici, les autorités chinoises leur interdisaient de dévoiler.

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