Ils ont entre 13 et 17 ans. Leur tenue emprunte aux pionniers de Baden Powell, mais ils ne sont pas là pour chanter autour d'un feu de camp. «Guérilleros de la communication», ils ont juré de rendre coup pour coup aux attaques de la presse privée contre la révolution d'Hugo Chávez. Pas avec des armes, s'entend, contrairement à leurs 30.000 aînés des milices bolivariennes qui défilaient ce 13 avril à Caracas pour commémorer la défaite du coup d'État de 2002. Si elle conjugue, selon le ministre vénézuélien de l'Education Héctor Navarro, les vertus de «mobilité», d'«autonomie» et de «versatilité» (le terme figure bien dans le cahier des charges), la jeune infanterie devra batailler avec des stylos, des dictaphones, des affiches et une solide pratique des nouveaux médias.
Leur mission: prévenir un second coup d'Etat
«Ils seront les détenteurs de la vérité, ils porteront l'information vraie par deux biais: en interprétant ce que disent les médias dans leur communauté, et en faisant connaître la vérité à leur voisinage», a souligné le ministre. Répartis en 25 «commandos», ces 79 jeunes caraqueños auront à cœur de rectifier les menteries de la presse d'opposition et de là, de prévenir une réédition de ce 11 avril 2002 qui avait écarté le Comandante du pouvoir pendant quarante-huit heures, avec, il est vrai, l'appui revendiqué des médias audiovisuels privés. Des médias si prompts à comparer Hugo Chávez à Hitler, rien que cela.
On croyait consommée la vengeance d'Hugo Chávez contre cette presse-là. Déjà exclu du réseau hertzien en 2007, l'ennemi juré Radio Caracas Televisión (RCTV) s'est vu sucrer sa diffusion câblée au mois de février, à la faveur d'une nouvelle réglementation de circonstance. En 2009, 34 chaînes et stations régionales ont perdu leur fréquence à la demande expresse du palais de Miraflores et le sort de 29 autres est suspendu au vaste examen des registres engagé par la Commission nationale des Télécommunications (Conatel). Ailleurs, les amendes pleuvent sur la presse écrite à la moindre satire du président et deux opposants notoires, dont le propriétaire de la très antichaviste chaîne Globovisión, devront bientôt répondre de «conspiration contre l'État» pour de récentes déclarations qui n'atteignaient tout de même pas ce seuil. Enfin et surtout, Hugo Chávez lui-même a franchi le cap des 2.000 cadenas -discours fleuves réquisitionnant presque toutes les chaînes et radios sans limitation de durée- depuis son arrivée au pouvoir en 1999. Ajouté à sa propre émission dominicale Aló Presidente, le chef de l'État a parlé l'équivalent de trois mois pleins sans interruption. Cette occupation du terrain médiatique semble, hélas, ne pas lui suffire.
A la chasse au méchant commentaire
Nouvelle cible: Internet. Un commentaire déplaisant et aussi vite retiré sur le site Noticiero Digital a dernièrement fait bouillir le fils de Bolívar. Or là, le contrôle semble plus difficile à imposer et comment s'assurer qu'aucune pique d'internaute ne viendra parasiter le blog tant attendu du président? Par anticipation tactique sans doute, l'ancien lieutenant-colonel des parachutistes lance donc ses jeunes recrues à l'assaut de la «vérité» médiatique. Dans son acception chaviste, ce concept assimile assez rapidement la «critique» à l'«appel au coup d'État» et l'erreur ou inexactitude au «mensonge» et à la «menace». Parions donc sur le discernement de nos petits croisés, lesquels ont prêté serment ce même 13 avril sous les auspices de leur cheftaine: la nouvelle ministre de la Communication et de l'Information, Tania Díaz, ancienne présentatrice de la principale chaîne d'État Venezolana de Televisión (VTV).
Parions également sur leur ample conscience historique, eux qui n'avaient même pas 10 ans pour les plus âgés à l'époque du coup d'État de 2002. Gageons enfin que leurs longues années de formation à la médiologie plutôt qu'à la Playstation leur éviteront de confondre «guérilla communicationnelle» et guérilla tout court. Le ministre Héctor Navarro se veut, à sa manière, rassurant: «Les tirs de la guérilla communicationnelle seront absolument idéologiques!» Dont acte.
Vient tout de même la question: Hugo Chávez croit-il sérieusement aux chances de succès de sa petite armée? Espère-t-il empêcher grâce à elle la plus petite remarque en sa défaveur, postée sur le site le plus reculé de la Toile? L'inquiétant tient moins à une opération de boy-scoutisme et à son effet d'annonce vite évacué par un autre qu'à l'obsession médiatique du président lui-même. Hugo Chávez a bel et bien subi le lynchage de la presse au début de son mandat. Que ce lynchage ait produit le coup d'État de 2002 est un fait. Mais jamais justice n'a été rendue dans cette affaire. Le souvenir du 11 avril 2002 justifie depuis le prurit médiatique d'un président dans l'étau: coincé entre sa part d'échec et son excès de charisme, incapable de gouverner sans penser aux médias ni transposer ses habitudes militaires. Quand Hugo Chávez quittera le pouvoir à l'horizon 2030, à l'heure du bicentenaire de la mort de Simon Bolívar, un ancien «guérillero communicationnel» prendra-t-il l'initiative d'un «droit d'inventaire» serein? Espérons-le.
Benoît Hervieu, Bureau Amériques, Reporters sans frontières
Photo: Hugo Chavez le 13 avril 2010. REUTERS/Jorge Silva
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