Le procès d'Yvan Colonna tourne au fiasco. Il résulte des débats tenus devant la Cour d'assise d'appel que l'accusation ne repose aujourd'hui que sur les déclarations de membres du commando recueillies au début de l'enquête, qu'ils ont d'ailleurs depuis rétractées à plusieurs reprises.
Un homme s'est accusé d'être l'auteur des coups de feu mortels, déchargeant Colonna de cet acte; un témoin affirme devant la Cour, sous serment, non seulement qu'il ne reconnaît pas Yvan Colonna mais qu'il n'est pas l'homme qu'il a vu. L'expert en balistique refuse de comparaître et le médecin légiste, qui déplore n'avoir pas été convoqué sur les lieux du crime, met en doute la plausibilité de la culpabilité de l'accusé à raison de sa taille. Les indices matériels semblent faire défaut: ainsi, les écoutes téléphoniques montrent que les appels ont été transmis par des relais assez éloignés du lieu du crime. Enfin, il est possible que d'autres personnes aient participé au crime sans que jamais, avant l'audience, cette thèse ait été avancée.
C'est dans ces conditions que la défense d'Yvan Colonna a demandé que la Cour procède à une reconstitution. Elle a plaidé que seule cette mesure permettrait de lever certaines contradictions et de vérifier certaines affirmations. Si des accusés refusent d'y participer et si d'autres mettent des conditions, l'homme qui s'accuse d'être l'auteur des coups de feu mortels a dit qu'il se prêterait à cette opération.
La cour a refusé d'ordonner cette mesure. Colonna a alors récusé ses avocats et annoncé qu'il quittait l'audience en exprimant qu'il n'avait plus aucune confiance dans ses juges.
Nul ne conteste le droit d'un accusé de se retirer de son procès. Mais, pour celui qui clame son innocence depuis des années, c'est un acte lourd de sens. La justice doit être impartiale et être perçue comme étant impartiale.
Il ne s'agit pas de cultiver une apparence qui permettrait de masquer la partialité du juge. Bien au contraire, le comportement du juge qui donne à voir l'impartialité de la justice est le seul moyen processuel qui permet l'impartialité réelle. Le droit anglais affirme la nécessité de l'apparence d'impartialité avec force et ce principe fondamental est repris par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
L'impartialité contraint le juge à se débarrasser de tout préjugé et à veiller au caractère pleinement contradictoire du procès. Il doit écouter les arguments des parties dans le strict respect du principe de l'égalité des armes : ne pas privilégier l'accusation face à la défense, ne jamais donner le sentiment que sa conviction est faite avant d'avoir clôturé les débats et pris le temps du délibéré sont les devoirs les plus élémentaires du juge.
Ce devoir d'impartialité va de pair avec l'obligation d'indépendance. Le juge n'est au service de personne, pas même de l'état. Aucun justiciable n'est, à ses yeux, supérieur à un autre. Et même si c'est un préfet de la république qui a été assassiné, la Cour doit à l'accusé la garantie du procès équitable. A défaut, il ne fait pas œuvre de justice mais de basse vengeance dont ni la démocratie ni les victimes ne peuvent se satisfaire.
Le verdict n'est tolérable, y compris pour le condamné, que et seulement si ce dernier a la certitude d'avoir été jugé par un tribunal qui lui a accordé tous les droits qui lui sont garantis dans une société démocratique. Et peu importe la gravité du crime, l'émotion qu'il a pu causer dans l'opinion publique et la douleur des victimes : seul le respect absolu des droits de l'accusé permet de le juger. Toute autre vision constituerait une régression intolérable de l'état de droit que nous avons eu tant de peine à construire.
On doit regretter que la Cour n'ait pas fait droit à la demande de la défense de Colonna parce que, quoiqu'il arrive, la suspicion est jetée sur le verdict. En effet, la mesure de reconstitution sollicitée ne constitue en aucun cas une manœuvre dilatoire. Quel risque y avait-il à l'ordonner? Quelle raison impérieuse l'interdisait? Au regard de ce qui est apparu à l'audience, le refus de la Cour n'est pas acceptable.
En effet, il laisse penser que la Cour accepte de se contenter d'à peu près, sous-estime les interrogations que lui soumet la défense et avance à marche forcée vers une condamnation qui apparaît comme inéluctable parce qu'il n'a pas été procédé, comme il se doit, à la pesée des arguments. Cela donne le sentiment détestable que la Cour a décidé par avance de condamner et que rien ne peut la retenir. Et même si cela n'est pas vrai, c'est l'impression que cela donne et c'est suffisant pour ternir l'arrêt à intervenir.
Il en va d'autant plus ainsi que cette cour d'assise n'est pas composée avec un jury comme en matière de droit commun. S'agissant d'une affaire de terrorisme, elle est composée uniquement de juges professionnels. Ils doivent donc plus encore s'astreindre à un strict respect des principes qui fondent notre procédure pénale.
Je ne sais pas si Yvan Colonna est innocent ou coupable. Mais je sais que s'il est condamné, l'arrêt de la Cour nous laissera un goût de cendre dans la bouche.
Francis Teitgen
Francis Teitgen est avocat, ancien bâtonnier du barreau de Paris, et ancien directeur général du groupe Ouest-France.
Dossiers du premier procès Colonna, en novembre 2007. Benoit Tessier / Reuters