Égalités / Parents & enfants

Les clés pour éduquer ses enfants aux valeurs féministes

Temps de lecture : 8 min

Sexualité, plaisir, règles... La journaliste Lucile Bellan livre un petit traité féministe à l'attention des enfants, dont nous publions les bonnes feuilles.

Apprenons-leur surtout à être eux-mêmes et à respecter les autres. | Sharon McCutcheon via unsplash
Apprenons-leur surtout à être eux-mêmes et à respecter les autres. | Sharon McCutcheon via unsplash

La journaliste Lucile Bellan vient de publier aux Éditions Leduc le Petit traité d'éducation féministe, dans lequel elle livre des conseils et des témoignages pour éveiller les enfants à la sexualité, au consentement, aux règles, à la non-violence ou encore à l'apprentissage de leur corps et celui des autres.

Nous en publions des extraits.

La question du tabou

C'est une règle à laquelle il faut se plier: même en proie à la fatigue ou au manque de temps, il faut répondre aux questions des enfants. Et parfois, pour les amener à se poser des questions, il suffit de vivre sa vie, sans essayer spécifiquement de leur cacher les réalités d'une vie d'adulte.

Petite, je me souviens que j'étais passionnée par un panier en tissu brodé, caché derrière une boîte à chaussures au fond des toilettes de ma grand-mère. Ce panier contenait des tampons. Je n'ai jamais demandé de quoi il s'agissait, mais j'avais conscience qu'il y avait là un secret bien gardé. Je me souviens avoir joué avec les bâtonnets de coton emballés dans du plastique sans savoir ni à quoi ils pouvaient servir ni quel était le mot qui les définissait. C'était un mystère et c'était donc aussi excitant qu'effrayant.

Dans la maison où j'habite désormais, le meuble de rangement installé au-dessus de mes toilettes n'a pas de porte. Nous avons choisi de laisser tampons et serviettes au vu et au su de toutes et de tous. Plus de panier en tissu brodé caché dans un recoin. Dans le même esprit, je ne cache jamais avoir parfois besoin d'une bouillotte pour calmer les maux liés aux règles. Les enfants, dès qu'ils sont en âge d'avoir un semblant de conversation, comprennent que c'est naturel, parfois douloureux, mais en tout cas pas dramatique. L'essentiel est là: il faut que les règles deviennent autre chose qu'un secret honteux, quelque chose qui ne serait pas dramatique.

Puisque l'on ne leur a jamais parlé de plaisir dans le coït, ils imaginent systématiquement de la douleur.

Le plaisir n'est pas tabou. Quand elle est expliquée aux enfants, la sexualité est tournée vers l'utilitaire, cantonnée à la procréation. La notion de plaisir ne fait son apparition que via des canaux détournés. Quand ils découvrent la pornographie, certains ne comprennent pas le sens des cris caricaturaux. Puisque l'on ne leur a jamais parlé de plaisir dans le coït, ils imaginent systématiquement de la douleur. De fait, les images deviennent alors quasiment horrifiques.

Expliquer que la sexualité n'a de sens que dans le sentiment amoureux est également néfaste. Dire aux enfants que la venue d'un bébé est quelque chose qui arrive quand «un papa et une maman s'aiment très fort» invisibilise les couples non hétérosexuels, ceux qui ont conçu leur enfant par PMA ou GPA, les personnes qui ont fait un enfant sans être en couple, celles dont la grossesse s'est déclenchée par hasard ou par erreur…

Associer la procréation à l'amour revient à y ajouter la condition sine qua non d'un sentiment noble et donc à la sacraliser. Les enfants peuvent tout à fait comprendre que la venue d'un bébé peut se faire dans de multiples conditions et pour de nombreuses raisons, dont aucune n'est plus valable qu'une autre.

Si l'on décide de rayer définitivement le concept de mots-tabous, comme sexe, vulve, règles, pénis, on peut également décider de ne pas sacraliser la sexualité et de lui associer l'idée de plaisir. Ce dernier, loin d'être forcément synonyme de décadence, promet de charmantes découvertes seul·e ou à plusieurs, et ce tout au long de la vie.

Dans l'inconscient collectif, le plaisir ne semble être l'apanage que des hommes et des femmes vivant leurs premières années en tant qu'adultes. En réalité, on peut prendre du plaisir dès que l'on a conscience de son corps, et donc dès 3 ou 4 ans, et jusqu'à la fin de sa vie, donc à des âges souvent bien avancés.

Si ce n'est pas le cas de tous, certains enfants se masturbent très tôt, filles ou garçons, quand ils découvrent que certains gestes leur procurent des sensations agréables. Décider de rendre le plaisir tabou, c'est aussi jeter un voile de honte sur ces pratiques innocentes et prendre le risque de voir ce traumatisme avoir des répercussions sur la vie adulte.

Il n'y a pas d'âge pour prendre du plaisir, et nous en avons tous et toutes la capacité.

Il faut également noter que l'âge de la puberté, où l'on estime plus librement que la sexualité prend une place dans la vie de nos enfants, arrive statistiquement de plus en plus tôt. Dans un article publié par la revue Population en 1999, Élise de La Rochebrochard écrivait:

«En France, l'âge des premières menstruations a baissé de trois années en passant de près de 16 ans dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle à près de 13 ans dans la seconde moitié du XXe siècle. [...] Une évolution semblable a été observée dans l'ensemble des pays développés.»

Sur quelle base alors considérerait-on qu'il est approprié pour son enfant de découvrir son corps et de prendre du plaisir? Qui aurait cette responsabilité? Et surtout, n'y aurait-il pas un mensonge dans le fait de faire comme si la masturbation, la sexualité ou le plaisir n'apparaissaient dans la vie de nos enfants qu'à la puberté?

Il n'y a pas d'âge pour prendre du plaisir, et nous en avons tous et toutes la capacité, ce qui est quand même formidable: voilà ce que l'on devrait apprendre aux enfants sur le sujet.

Parler sexualité avec ses enfants

Sur son site internet, l'hôpital pour enfants de Toronto revient sur l'importance de l'éducation sexuelle et des discussions autour de la sexualité menées par les parents avec leurs enfants dès le plus jeune âge:

«Une éducation sexuelle véritable ne pousse AUCUNEMENT à la promiscuité. En fait, les enfants qui reçoivent une éducation sexuelle à la maison sont moins sujets à se livrer à une activité sexuelle à risque. Le fait d'avoir de francs échanges avec les enfants au sujet de la sexualité et d'autres thèmes est sain et comporte moins de risques à long terme. Cela ne signifie pas nécessairement que ce sera toujours facile ou sans heurts. Les ados demeurent des personnes très réservées. Mais le fait de parler tôt de questions de sexualité avec les ados augmente les probabilités qu'ils consultent leurs parents lorsqu'ils sont confrontés à des situations difficiles ou dangereuses.»

Précisons tout de même que parler de sexualité avec ses enfants ne revient pas à parler de sa sexualité en particulier. Des limites doivent être posées pour que la pudeur et la vie privée de chacun soient respectées. Refuser les tabous ne veut pas dire non plus que l'on se doit de raconter les moindres détails de sa vie sexuelle.

C'est en acceptant et en prenant en compte cette richesse de possibles que l'on fermera le moins de portes à son enfant.

En fait, en se présentant comme une figure éduquée et de confiance, l'adulte ici offre une neutralité bienvenue à un enfant curieux ou un adolescent qui n'aura entendu que des réflexions gorgées d'injonctions dans les remarques de ses pairs ou dans la culture de masse, qu'il s'agisse des magazines, de la publicité, des films de fiction ou d'œuvres pornographiques.

Aujourd'hui, en France, les femmes et les hommes doivent faire un travail sur eux pour déconstruire tout ce qui leur a été inculqué en termes d'éducation sexuelle et d'apprentissage du corps. Un temps considérable de réflexion se retrouve consacré à des questions sur la représentation des règles dans les médias et dans la publicité.

Pourquoi, dans les spots télévisés, le liquide utilisé pour représenter le sang n'est-il jamais rouge? Pourquoi une pub affirmant «Avec un tampon, je peux faire du skate ou du ski de fond» n'a pas tellement de sens? Il a fallu attendre 2018, et une campagne de la marque Nana, pour que les règles soient enfin montrées sans détour à la télévision française…

La sexualité et le rapport au corps se construisent tout au long de la vie, et cette fluidité est encore trop peu discutée, encore moins acceptée. Ce temps de déconstruction d'un monde où le corps en général est tabou, où la sexualité est sale ou utilitaire, où les genres sont binaires, où l'orientation sexuelle est majoritairement hétérosexuelle (et qui invisibilise pendant de longues années les personnes qui ne le sont pas), est un temps qui est en réalité perdu.

Les barrières à faire tomber, elles ont été longuement consolidées par la famille, les parents, les proches, l'école, la société. Chez chaque enfant qui vient au monde, c'est le même mécanisme. Et si cet enfant sort des clous, le chemin vers une hypothétique sérénité sera semé de doutes et de souffrance. Un apprentissage sain du corps et de la sexualité, comme une éducation non genrée, et plus largement une approche féministe globale, sont une manière de ne pas commencer par ériger des barrières, mais de laisser au contraire une multitude de chemins accessibles.

Comme on ne sait pas à l'avance quel va être le parcours de vie de son enfant, ses goûts, ses choix professionnels, on ignore également quelle va être son identité de genre et son orientation sexuelle. C'est une réalité statistique à prendre en compte, que confirme l'essai Futures of Love édité par les Magasins généraux (lequel fait suite à une exposition pluridisciplinaire aussi théorique qu'artistique). Dans le chapitre intitulé «Fluidité identitaire et amoureuse», le sociologue de la sexualité Michel Dorais cite un extrait d'un rapport commandé par GLAAD (Alliance gay et lesbienne contre la diffamation, basée à Los Angeles):

«Les jeunes générations sont particulièrement créatives dans leurs façons d'être et de se décrire. Selon de récentes études menées aux États-Unis et en Grande-Bretagne, jusqu'à 20 % des moins de 35 ans se disent LGBTQI+. Un changement en gestation dont on mesure mal l'ampleur. Alors qu'un petit pourcentage des plus de 70 ans se disent LGBTQ, les chiffres montent en flèche chez les moins de 35 ans, beaucoup plus portés que leurs aînés à se dire non-binaires, fluides ou créatifs sur le plan du genre et de leurs attirances

Le texte de ce sociologue se clôture par une note résolument positive et tournée vers l'avenir:

«Il est assurément difficile de présager ce que seront les amours de demain. Néanmoins, si la tendance se maintient, il est fort probable que l'amour et la sexualité seront de moins en moins perçus comme des impératifs ou des carcans, et de plus en plus comme des expériences et des explorations consenties, qu'elles soient virtuelles, incarnées ou mixtes.»

Apprenons-leur surtout à être eux et à respecter les autres, [...] et à comprendre qu'ils méritent d'être aimés et considérés quelle que soit leur identité.

On ignore donc ce que deviendront nos enfants, mais ce sera probablement un tout petit peu plus complexe que «Mon garçon sera viril et aimera les filles» ou «Ma fille sera douce et aimera les garçons». C'est en acceptant et en prenant en compte cette richesse de possibles que l'on fermera le moins de portes à son enfant. À nous de lui montrer, par des livres, des films ou des faits de société, que l'hétérosexualité n'est pas la seule option et que les normes de genre ne sont pas une fatalité.

Partir du principe que ces clichés sont une généralité, c'est parfois faire du mal à des enfants qui se retrouvent enfermés dans des carcans et mettent des années à s'accepter, dans l'incapacité de s'exprimer au grand jour sur leurs préférences et leur identité. C'est pourquoi il est préférable, quand on aborde toutes ces questions, de ne pas se fier à ce que l'on croit être la norme.

Nos enfants sauront toujours nous surprendre. Apprenons-leur surtout à être eux et à respecter les autres, à pratiquer la bienveillance aussi bien envers leur corps et leur identité que vis-à-vis des caractéristiques des autres, et à comprendre qu'ils méritent d'être aimés et considérés quelle que soit leur identité. La différence est une richesse.

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