Des morts, des viols de fillettes, des flics véreux qui jettent des innocents en prisons et pactisent avec les narcotrafiquants, des journalistes assassinés, le chaos de la capitale où tout fini dans les égouts... Fiction ou réalité? C'est ce que je me suis demandée en feuilletant plusieurs romans mexicains dont les auteurs sont accueillis au Salon du livre.
Dans certains, la violence est omniprésente, comme s'ils puisaient en elle leur inspiration et leur matière pour parler des maux dont souffre leur pays. Une vision noire, féroce et cynique. Partons en voyage littéraire dans un pays où les narcos font la loi et les arrangements entre criminels, police et pouvoir sont quotidiens, dans des allers-retours incessants entre l'imagination et le réel.
Le Mexique des «maquiladoras», des meurtres et des cartels de la drogue a inspiré beaucoup d'auteurs originaires du Nord du pays, frontalier avec les Etats-Unis, pour construire des polars noirs et inquiétants. C'est l'univers des Minutes noires de Martin Solares, qui se passe dans la ville portuaire de Paracuan, une ville imaginaire sous les tropiques, qui a quelques soucis avec la contrebande et le trafic de drogue. Un tueur en série a assassiné plusieurs fillettes. L'enquête est rondement menée par la police locale dont les méthodes, d'une efficacité redoutable, consistent à arrêter le premier venu et à l'inculper. Le but, protéger le véritable coupable qui bénéficie de toutes sortes de protections politiques. Quelques années plus tard, un journaliste vient fouiner dans cette histoire et, comme il se doit, est rapidement assassiné.
En reprenant les codes d'une intrigue policière classique, Martin Solares balance entre la fiction et l'authentique violence du Mexique. L'imaginaire est une arme plus efficace que la simple dénonciation. «Au cours de ces sept dernières années, explique Martin Solares, le Mexique est devenu un pays plus violent: il semble que nos gouvernants préfèrent que le crime soit régi par les lois de l'offre et de la demande. D'un côté, ils permettent l'existence de groupes criminels qui volent, agressent et vont jusqu'à enlever n'importe quel citoyen. D'un autre côté, ils tolèrent que les trafiquants de drogue exécutent leurs rivaux, mettant ainsi en danger la société, sans qu'il y ait d'enquête ni de frein à de tels agissements. Quelques écrivains tentent de rendre compte de cette situation. Mais plutôt que de créer des miroirs de la réalité, ce qui m'intéresse dans mes romans, c'est d'en proposer des mirages. » Et Comme tout mirage, il ne s'agit en fait que d'une déformation du réel.
Certains attaquent les sentiers de la violence et de la corruption par la voie de la chronique journalistique. C'est le cas de l'écrivain et journaliste Sergio Gonzalez Rodriguez dans Des Os dans le désert, une investigation qui a pour décor Ciudad juarez. Cette fois, nous ne sommes plus dans la fiction; les personnages, les fillettes mortes, les flics véreux, les innocents qu'on met en prison sont des vrais, en chair et en os.
Dans cette zone sous influence des cartels de la drogue, 500 femmes ont été retrouvées violées, étranglées et mutilées. La police et la justice n'ayant rien fait, en quatorze ans, pour arrêter ce «féminicide», Sergio Gonzalez Rodriguez, a repris l'enquête. Son travail, précis, à la manière de Truman Capote avec De sang-froid, démontre la corruption généralisée de la ville. Pour lui, il ne fait aucun doute que ce « féminicide» est liée au trafic de drogue. Les criminels sont protégés par des autorités qui comptent sur le soutien d'un groupe de chefs d'entreprise détenant une grande partie du pouvoir économique. « L'Etat de Droit au Mexique est une fiction ». Il accuse les autorités d'avoir mis sur pied des simulations d'enquête, avec la complicité des juges locaux, et d'avoir inventé des coupables. Son enquête a d'ailleurs valu à son auteur, journaliste dans plusieurs grands quotidiens mexicains, d'être enlevé, frappé et menacé de mort.
C'est ce qui arrive parfois quand les journalistes enquêtent sur la corruption... Le Mexique est devenu l'un des pays les plus dangereux au monde pour la profession. Depuis l'an 2000, 25 journalistes au moins ont été tués au Mexique, et huit sont portés disparus.
Voilà encore qui va servir l'imagination d'Enrique Serna dans La peur des bêtes. Encore une fiction qui pourrait presque être réelle... Evaristo Reyes, ex-journaliste raté, travaille dans la police sous les ordres de Maytorena. Ce commissaire véreux, pour gagner des gallons auprès du procureur, veut éliminer Lima, journaliste qui a osé injurié le président dans un article... et qui est tué le soir même. Evaristo, chargé de l'enquête, découvre alors l'intelligentsia mexicaine, ses petits arrangements et les ramifications avec la police et le pouvoir. Des innocents sont mis en prison sans preuves par le commissaire: «les preuves, c'est l'affaire des avocaillons. Demain ce fumier va cracher le morceau». Et où ça? Dans la chambre de torture du commissariat.
Ce roman (sorti en France en 2006), noir, cynique et truffé de phrases assassines - «Dans ce pays, les assassins courent en liberté et ont de bons postes au gouvernement» - a fait scandale au Mexique, lors de sa parution en 1995.
Cette violence se trouve aussi au cœur des villes et notamment Mexico, la capitale. Mexico la terrible, la chaotique, la plus tentaculaire, la sanguinaire, est le personnage principal de nombreux romans. Les auteurs lui vouent une passion viscérale, mélange d'admiration et de dégoût. Fabrizio Mejia Madrid la met en scène dans Le naufragé du Zocalo. «Nous formons la génération qui a mis, au sens propre, la main à la pâte pour rassembler les ruines après le tremblement de terre de 1985, et c'est peut-être pour cette raison que nous voyons en Mexico une ville totalement folle, qui ne sait même plus si elle compte 18 ou 20 millions d'habitants.»
Folie et monstruosité à tous les carrefours. Les personnages végètent, enfermés dans le chaos et le désespoir et n'ont qu'une envie, partir, sans pouvoir y parvenir. Avec ce roman, Mejia Madrid voyage dans le passé pour expliquer le présent de cette ville «qu'il faut survoler si l'on veut savoir comment y circuler», «où tout s'enfonce, s'inonde et se précipite».
Très noir Mexique!
Sarah Sissmann
A lire aussi l'enquête de Jacques Braunstein sur le Salon du Livre à la recherche d'un second souffle.
Image de une: CC Esparta Flickr