Le foot français est dans tous ses états. Mediapro qui avait acheté les droits de la Ligue 1 a stoppé ses versements, Canal+ a annoncé de son côté qu'à partir du 5 février, elle ne diffuserait plus ses deux matchs par week-end et a demandé un nouvel appel d'offres… En attendant, sans les recettes des droits TV, les petits clubs de première division seront, à terme, menacés de dépôt de bilan.
Bien conscient de la situation, Jean-Michel Aulas, le président de l'Olympique lyonnais, avait donc émis l'idée d'un «Spotify du foot», disons d'un Netflix du foot pour mieux correspondre au format visuel. Une formule qui se voudrait plus pérenne, moins instable pour les clubs et à même de satisfaire les supporters-consommateurs. À quoi cela ressemblerait-il? À une plateforme de service par contournement –over the top (OTT), en anglais– c'est-à-dire qui ne passe pas par un opérateur traditionnel, sur laquelle seraient diffusés tous les matchs de L1. Une manière d'aller directement du producteur au consommateur, en zappant la case distributeur.
Faisable, mais pas tout de suite
Co-fondateur de l'Observatoire du Sport Business, Vincent Chaudel analyse cette idée sur un plan purement économique. «Payer cinq euros par mois pour un fan de foot, ou entre cinq et dix euros, ce serait abordable, comparés aux vingt-cinq euros mensuels dissuasifs de Téléfoot [le nom de la chaîne de Mediapro]. C'est crédible. L'ensemble des communautés de fans de clubs de foot français, c'est 120 millions de personnes, la L1 autour de 130 millions au total...»
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En poursuivant son raisonnement, à raison de cinq euros par personne et en imaginant convaincre un supporter sur six, cela pourrait générer plus d'un milliard d'euros de recettes par an. Vincent Chaudel poursuit: «C'est une option économique envisageable mais pour l'avenir. C'est trop tôt pour le moment. La Ligue n'a pas le temps de convaincre vingt millions de fans, il y a urgence. Les clubs sont pris à la gorge, et ont besoin de cash immédiatement. Avec un appel d'offres classique, les diffuseurs sont censés payer.»
«Censés», car l'exemple Mediapro a bien démontré la fragilité du business-model: après avoir compris qu'il serait impossible de gagner de l'argent avec la Ligue 1, la chaîne a arrêté ses virements du jour au lendemain et mis les clubs dans une situation de précarité totale. Dans les autres grands championnats européens –Angleterre, Italie, Espagne, Allemagne– en est-on encore sur un modèle d'appel d'offres classique avec des diffuseurs qui se font la guerre pour obtenir les meilleurs matchs, ou passe-t-on par une plateforme de streaming 2.0?
Ils utilisent de l'OTT uniquement pour leurs droits à l'international (diffusion des matchs de leur championnat en dehors de leur pays), mais pas pour leurs droits domestiques, l'enjeu financier n'étant absolument pas le même. En Italie ou en Angleterre, il vaut mieux s'assurer des revenus garantis avec Sky Italia ou BSKYB, des opérateurs traditionnels aux reins solides et qui rapportent beaucoup plus.
Le Covid a fragilisé tout l'écosystème
Auteur du roman de fiction, 2026, l'année où le football deviendra américain (éditions SOLAR) et ex-commentateur des matchs de l'équipe de France, Christian Jeanpierre prend, lui, du recul et se projette sur le football de demain, dans cinq ans, en imaginant la manière dont les Américains et Netflix vont chercher à grignoter leur part du gâteau footballistique: «J'ai clairement l'impression que la crise du Covid a été un accélérateur de tendances. Le plus vieux club du monde, fondé en 1864, le club gallois de Wrexham FC, a été racheté par des Américains, Reynolds et McElhenney, deux comédiens de Hollywood. À votre avis, pour quelles raisons ont-ils racheté une équipe de cinquième division? Pour en faire une série Netflix! Toujours dans l'actualité, Burnley (club de première division anglaise) a été racheté par des Américains, 250 millions de livres… En Premier League, le championnat le plus puissant au monde, il y a désormais treize clubs avec des actionnaires US. Ce sont les rois du business.»
Selon @Football_BM, qui estime la perte de revenus liés à la #COVID19 pour les clubs champions en 2019/20, les recettes du #PSG (hors transferts) auraient baissé de 95,4 M€ l'an dernier (soit de 15%) pour atteindre 540,6 M€
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Le détail pour les champions pic.twitter.com/dfoi58YZ1S
Que cela traduit-il? Que cet univers ultra-libéral du foot business va avoir des conséquences sur l'écosystème footballistique, sur notre manière de consommer notre sport préféré? Sur des plateformes de streaming et non sur des chaînes en clair? Basé sur du merchandising à outrance au détriment du foot d'en-bas?
«Je pense que les grandes chaînes européennes (ITV, SKY, Canal+…) seront toujours présentes pour diffuser des matchs, répond Jeanpierre. Les GAFAM et leurs plateformes doivent évidemment être prises en compte par n'importe quel secteur d'activités, mais les chaînes auront toujours une place capitale à jouer. Il n'y a pas que l'argent qui compte, la visibilité du produit est importante. On l'a vu avec Canal et Téléfoot», clame l'ancien présentateur de l'émission du dimanche matin sur TF1.
À quelle échéance pourrait-on imaginer un Netflix du foot? Certainement pas avant 2024 au niveau français… Mais la souplesse d'une telle plateforme et son efficacité ne peuvent être mises de côté indéfiniment.
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Et Vincent Chaudel de conclure: «Une fois que tu as basculé là-dedans, tu peux imaginer des packages avec ton club préféré, les clubs de ta région, etc. En fait, cela dépend de ta stratégie commerciale, tout en veillant à rester égalitaire dans la redistribution des droits, à donner aux “petits” et pas uniquement à Lyon, Marseille ou au PSG qui généreront le plus d'audience.» Effectivement, pourquoi un supporter de l'OM paierait un abonnement (comme il le fait aujourd'hui) pour regarder des matchs du Paris Saint-Germain?
Les Américains l'ont, eux, déjà mis en place depuis des années en NBA et NFL, notamment avec un «pass» permettant au fan d'acheter uniquement les matchs de son choix sur une plateforme over the top.