Santé

«Dès que je sors de mon travail, j'angoisse à l'idée du vide à combler»

Temps de lecture : 4 min

[C'est compliqué] Cette semaine, Lucile conseille Ariane, qui a perdu toute notion de plaisir dans la vie.

«Je n'arrive plus à supporter mon état et rien ne me donne envie.» | Julie Edgley via Flickr CC
«Je n'arrive plus à supporter mon état et rien ne me donne envie.» | Julie Edgley via Flickr CC

«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]

Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.

Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.

Chère Lucile,

Professeure célibataire de 41 ans, j'ai été mutée il y a trois ans dans l'académie d'Orléans-Tours, où je ne me sens pas bien. Et je n'ai pas assez de points pour retourner chez moi.

Je fais donc mon travail sans envie, les élèves en pâtissent et je suis tombée dans une grave dépression avec les idées noires qui vont avec.

Je suis sous médicaments antidépresseurs et anxiolytiques depuis plus d'un an et suivie par un psychologue et mon médecin. J'aimerais m'en sortir car je vis l'enfer et je viens d'être arrêtée deux semaines...

Mon problème est en plus existentiel car la mutation a réveillé d'autres angoisses en moi: l'inoccupation, le vide, la solitude m'étouffent de plus en plus et dès que je sors de mon travail, j'angoisse à l'idée du vide à combler, car seule je n'ai pas de plaisirs... Cela peut m'arriver partout et cela me fait peur car je me trouve confrontée à moi-même avec des plaisirs simples disparus.

Je ne comprends pas ce qui m'arrive, je me sens dépendante affective et me bats contre ça...

Je n'arrive plus à supporter mon état et rien ne me donne envie...

Ariane

Chère Ariane,

La dépression est une maladie sérieuse qui nécessite un traitement autant qu'une thérapie suivie avec une personne formée pour. Si vous avez le sentiment que votre état ne s'améliore pas, voire qu'il s'aggrave, vous pouvez changer de thérapeute ou aller en voir un nouveau en plus de ceux qui vous accompagnent déjà.

En tout cas, ce n'est pas quelque chose que l'on combat seul. Cela ne fait pas de vous une personne dépendante affectivement d'avoir besoin, dans cette période de votre vie, d'un soutien important. C'est même une bonne chose que vous ayez conscience que la solitude vous nuit actuellement.

Je crois que la dépression est quelque chose que l'on combat seul mais qu'on ne peut mener cette bataille que correctement accompagné. Et je le dis avec d'autant plus de conviction que j'ai moi-même traversé des phases de dépression plus ou moins importantes.

En dehors du soutien de professionnel·les et d'une médication adaptée (pensez également que votre traitement peut aussi être soumis à des ajustements si vous avez le sentiment qu'il ne vous convient pas), j'ai le souvenir d'avoir été aidée par des obligations et des impératifs, des listes de choses à faire qui ne souffraient pas de report. Je me souviens avoir été obligée de continuer à vivre et à être fonctionnelle, quand tout à l'intérieur de moi allait dans le sens opposé. C'est ce sentiment d'obligations qui m'a souvent raccrochée au monde.

Nous avons tous et toutes des moteurs dans la vie, certains cachés qui ne se mettent vraiment en route qu'en cas d'urgence, et vous avez besoin de découvrir quels sont les vôtres aujourd'hui. Qu'est-ce qui vous fait tenir, Ariane, quand il ne semble vous rester plus rien?

Je comprends tout à fait la tristesse que vous ressentez à avoir perdu vos petits plaisirs. Et je me souviens d'un exercice qu'on m'avait fait faire pour en retrouver le goût. Une personne m'avait demandé d'écrire la liste de tous les petits plaisirs qui comptaient pour moi avant que la vie ne devienne grise. Je devais tout écrire, même ce qui semblait terriblement anecdotique. Et surtout je devais me baser sur mes souvenirs, sur des moments où j'avais ressenti du bien-être même si je n'en étais plus capable techniquement au moment de la rédaction.

J'y ai passé des heures. Et au début, j'ai eu l'impression de mentir, d'inventer ces petits plaisirs comme pour me faire croire que je pouvais ressentir quelque chose et aussi pour faire plaisir à la personne qui m'avait commandé cet exercice. Et puis c'est revenu. Je crois que je me suis vraiment rappelé. J'ai gardé cette liste même si je ne l'ai fait lire à personne. Et dans les moments de mal-être, je suis totalement incapable de prendre la liste et de mettre en pratique mes petits plaisirs au hasard.

Ce n'est évidemment pas un exercice magique. Parce qu'avec la dépression, il n'y a rien de vraiment magique. C'est une bataille longue et difficile. Mais je sais qu'il y a quelque part, pas loin, une liste que j'ai écrite de plaisirs que m'offrent la vie quand je suis capable de les accepter. Que j'ai ressenti du plaisir et que je vais probablement en ressentir encore et parfois c'est un réconfort précieux.

Si vous souffrez si fort, Ariane, c'est que vous n'êtes pas assez entourée ou pas assez bien. Je ne vous demande pas ici de chercher l'amour ou de vous trouver plus d'amis, mais bien de voir plus vos médecins ou d'en voir d'autres. Si la douleur est encore si grande c'est que vous êtes au cœur de la bataille et que vous avez besoin d'une armée. Entourez-vous de manière à ne plus avoir le sentiment de reposer entièrement sur vous. Un soutien de plus, c'est aussi la possibilité de parfois lâcher prise, et vous semblez en avoir bien besoin.

«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes:

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