Un sondage Odoxa publié le 14 janvier 2021 montre un véritable retournement de l'opinion des Français quant à la vaccination contre le Covid-19. Alors que la réticence était jusqu'à présent de mise, ils sont aujourd'hui 56% à y être favorables, un chiffre qui s'élève à 77% chez les plus de 65 ans. Une surprise? Pas vraiment.
À la suite des précédentes enquêtes, le gouvernement a sans doute surestimé la population réelle de sceptiques et souhaité la ménager. De fait, il a lancé une campagne de vaccination sans enthousiasme, quitte à avoir du retard à l'allumage. Reste que ce revirement aurait pu être anticipé car ses explications sont somme toute assez logiques: réassurance quant aux éventuels effets indésirables, effet boule de neige/mimétisme, frustration de ne pas pouvoir être vacciné immédiatement.
Le gouvernement paie aujourd'hui les frais de son retard dans l'opinion publique: 81% des Français pensent que la vaccination n'est pas menée à un bon rythme dans le pays et 63% estiment que le retard pris sur nos voisins est «préoccupant».
En outre, alors que le variant anglais, semble-t-il plus contagieux, impose partout de nouvelles restrictions, les Français sont simplement épuisés par les épisodes de confinement et de couvre-feu. Or, chacun a désormais conscience que ces mesures sont essentiellement prises pour éviter l'engorgement du système de santé et qu'en dehors du confinement, seule la vaccination (et notamment celle des personnes à risque) permettra d'éviter une saturation dans les établissements.
Le temps presse et l'urgence se fait sentir. La vaccination est non seulement un sujet de santé individuelle et publique, mais elle devient aussi un sujet politique.
Les scrutins électoraux comme modèle?
À un an et demi de la présidentielle, la réussite ou l'échec de la stratégie vaccinale pèsera lourd dans les urnes. Le gouvernement Macron est tenu au succès d'autant qu'il doit faire oublier les fiascos successifs: masques, tests PCR et gestion des mesures sanitaires dans les établissements scolaires…
D'ici au printemps, si tout se passe bien et que le calendrier est respecté, 15 millions de Français devraient être vaccinés: les personnes âgées, les plus de 18 ans avec une comorbidité les exposant à développer une forme grave de Covid-19, et le personnel de santé. Il restera donc près de 38 millions d'adultes à vacciner, et encore plus si on décide d'ouvrir la vaccination aux enfants et aux adolescents, comme l'a évoqué Alain Fischer, qui coordonne la stratégie vaccinale contre le virus. Même s'il restera des anti et des hésitants qui ne souhaiteront pas se faire piquer en avril-mai, cela représente une population à vacciner en un temps record.
Comment réussir ce pari? Peut-on espérer que toutes les personnes qui le souhaitent soient vaccinées avant l'été?
Nous pourrions, sur le même principe, organiser deux tours de vaccination au début et à la fin du mois de juin.
Rêvons un peu: 38 millions, c'est le nombre de Français de plus de 18 ans que le pays parvient à faire voter en dix heures lors des plus gros scrutins. Nous pourrions, sur le même principe, organiser deux tours de vaccination au début et à la fin du mois de juin.
L'idée, lancée par l'urologue Guy Vallancien, est séduisante, stimulante, ambitieuse. Elle permettrait une certaine émulation de groupe et constituerait une mobilisation sans précédent du corps médical et paramédical et des citoyens autour d'un objectif fédérateur fort: se débarrasser du virus et reprendre une vie quasi normale dès l'été.
Aide de la concurrence?
Pourquoi juin? Parce que c'est le vaccin d'AstraZeneca, puisqu'il se conserve dans un simple réfrigérateur, qui semble le plus adéquat pour cette opération de grande ampleur (38x2 millions de doses) et que, d'ici là, Sanofi Pasteur pourrait apporter son aide à la production si tant est que l'entreprise anglo-suédoise lui fournisse les vracs afin qu'il les conditionne dans ses usines.
Le savoir-faire est là. Reste la bonne volonté des dirigeants.
Puisque le vaccin auquel travaille Sanofi Pasteur ne sera pas prêt avant fin 2021, il serait, en effet, plus que bienvenu que l'entreprise française mette la main à la pâte en ouvrant ses chaînes de production à la concurrence. Au micro de France Inter, Thierry Bodin de la CGT invite à mettre de côté les questions d'ego et à arrêter de «jouer chacun dans son coin».
Le savoir-faire est là. Reste la bonne volonté des dirigeants. Sur Europe 1, Agnès Pannier-Runacher, la ministre déléguée à l'Industrie, a pu confirmer que la question est sur la table et ce même si le transfert technologique pour ouvrir un site prend quelques mois. Mais qu'importe le flacon…
Juin aussi parce qu'à ce moment-là, les personnes les plus fragiles et donc prioritaires auront pu être vaccinées. Juin, enfin, afin que les peurs se dissipent et que le nombre de volontaires à la vaccination soit optimal.
On ne vaccine pas comme on vote
Mais si la question du nombre de doses pourrait être résolue par une mise à contribution des industriels français –car, selon nos sources, les feuilles de route des commandes actuelles indiquent une disponibilité tardive pour une vaccination de masse plutôt vers le début ou après l'été, on se heurte malheureusement à un principe de réalité. On ne vaccine pas comme on vote.
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Tout comme les vaccins Pfizer et Moderna, celui d'AstraZeneca est conditionné en flacon multidose, ce qui nécessite un temps de préparation relativement long et complexe, et oblige à prévoir précisément le nombre de personnes à vacciner sous peine de perdre du produit après ouverture. (Des sondages en amont, comme avant un vote, pourraient toutefois être envisagés afin d'évaluer le nombre de prétendants à la vaccination).
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Le temps d'enregistrement est autrement plus long que pour un vote: il faut passer la carte vitale, vérifier les informations, s'assurer qu'il n'y a pas de contre-indications (grossesse, allergies graves, notamment urticaire, choc anaphylactique, œdème; symptômes du virus).
Pour une vaccination sur le modèle d'un scrutin national, il faudrait mobiliser au bas mot 845.000 professionnels de santé.
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Il est nécessaire de garder chaque personne vaccinée 15 minutes après l'injection pour vérifier que tout va bien. Cela conduit ainsi à une accumulation de personnes, dans un lieu clos. Il faut donc un grand espace, comme un gymnase, plutôt qu'une salle de vote.
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Il convient aussi d'envisager le facteur humain. On pense aux effets secondaires rares, tels que les chocs anaphylactiques, mais il y a aussi le besoin de parler et d'être rassuré, les malaises vagaux et les crises d'angoisse.
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Il faut des bras. Selon plusieurs médecins œuvrant dans des centres de vaccination, quatre personnes formées peuvent faire 60 vaccinations en trois heures, soit 180 vaccinations dans la journée si tout se passe sans accroc. Pour une vaccination sur le modèle d'un scrutin national, il faudrait ainsi mobiliser au bas mot 845.000 professionnels de santé. Pour donner une idée de grandeur, la France compte 226.000 médecins, dont 101.401 libéraux, et 744.307 infirmiers et infirmières, dont 131.575 libéraux. Il est bien sûr impossible de mobiliser tous les hospitaliers et les libéraux qui assurent les gardes. Alors, même en sollicitant les étudiants et les retraités, les bras manqueront. Peut-être saura-t-on faire sauter les freins idéologiques et faire appel, comme au Québec, aux vétérinaires et aux paramédicaux? Rien n'est moins sûr…
Le transfert de technologie, une nécessité absolue
Alors que faire? D'abord, espérer augmenter le rythme des vaccinations. Le personnel soignant est aujourd'hui extrêmement volontaire mais les doses font défaut. C'est là que les transferts de technologie aux industriels français s'imposent comme une nécessité absolue et que les renforts de Sanofi Pasteur seraient essentiels.
Il est urgent de vacciner les plus fragiles et les plus exposés (corps enseignant, personnes recevant du public, personnes en situation de précarité et/ou vivant en collectivité –détenus, sans domicile fixe, patients psychiatriques, etc.)
Il faut aussi absolument éviter une troisième vague semblable à celle que connaît la Grande-Bretagne: celle-ci ruinerait la stratégie vaccinale en mobilisant encore davantage de professionnels de santé qui se retrouveraient auprès des malades plutôt que dans les centres de vaccination.
Il faut aussi sortir de la politique jacobine qui prime actuellement et compter sur les initiatives locales. D'ailleurs, l'idée de scrutins à deux tours pourrait être pertinente et opérationnelle dans les zones de désertification médicale.