Février 2020. Avec des températures dépassant parfois les 11 degrés et un manque criant de neige, la saison de ski de la station de Luchon-Superbagnères, dans les Pyrénées, tourne à la catastrophe. Le conseil régional de la Haute-Garonne prend alors une mesure inédite: comme les canons à neige ne suffisent plus à alimenter le domaine skiable, les élus décident de déplacer de la neige naturelle prélevée en haut de la station vers les pistes pour débutants à plus basse altitude... par hélicoptère. Au total, plus de 50 m3 d'or blanc sont héliportés. L'affaire, révélée par France 3 Occitanie, remonte aux oreilles d'Élisabeth Borne, la ministre de la Transition écologique d'alors, qui réagit sur Twitter: «Enneiger des stations de ski par hélicoptère n'est pas une voie possible.» Le conseil départemental de Haute-Garonne justifie sa décision: il s'agissait d'une action indispensable pour sauvegarder «une cinquantaine d'emplois directs et plusieurs centaines indirects».
Enneiger des stations de #ski par #hélicoptère n'est pas une voie possible. Nous réunirons avec @JBLemoyne les acteurs concernés dans les prochains jours. https://t.co/V1uobKhy8n
— Elisabeth BORNE (@Elisabeth_Borne) February 16, 2020
Cette situation météorologique exceptionnelle risque pourtant de se reproduire dans les années à venir, dans toutes les régions de France. «On sait que la disponibilité en eau va se restreindre avec des fleuves et des rivières, dont les étiages vont s'accentuer», rappelle Pierre Guez, directeur marketing chez Veolia Eau France. Et le rapport Explore 2070 du BRGM (Bureau de recherche géologique et minière) est à ce titre éloquent: le débit de la grande majorité des fleuves chuterait de 20 à 30% dans cinquante ans. C'est le cas notamment pour la Garonne qui pourrait voir son débit divisé par deux: la région a donc lancé un grand plan «Garonne 2050» afin de prendre des mesures nécessaires pour diminuer les besoins d'eau futurs. Car si cette ressource se raréfie, comment les villes qui accueillent des touristes réussiront-elles à distribuer assez d'eau pour leurs résidents et la population de passage?
«À Valloire, en Savoie, raconte son maire Jean-Pierre Rougeaux, nous passons de 1.000 habitants à plus de 17.000 pendant la saison de ski.» La consommation en eau, accentuée aussi par les besoins des canons à neige, connaît un pic brutal. Heureusement, la station profite d'une réserve d'eau collinaire de 240.000 m3 alimentée par un torrent. Mais toutes les villes ne bénéficient pas de telles infrastructures. Et si, auparavant, les communes et les régions construisaient des barrages pour retenir l'eau, ces solutions sont largement décriées aujourd'hui, car elles ont un impact sur tout l'écosystème des cours. «Pour l'instant, il n'y a pas de stress hydrique majeur, tempère Pierre Guez, mais le sud-ouest commence à s'y préparer sérieusement.» Alors, comment les prévenir?
Modérer la consommation
Tout d'abord, en sensibilisant la population autour de cette ressource. Quand on parle écologie, on insiste souvent sur l'énergie, mais l'eau doit également être un sujet de discussion pour que nous apprenions à modérer notre consommation. «Cela peut passer par des équipements à la maison plus économes, précise Pierre Guez, ou par une tarification saisonnière comme dans certaines villes des Côtes-d'Armor.» Ainsi, à Paimpol ou à Bréhat, un tarif «haute saison» est appliqué du 1er juillet au dernier jour d'août. Ce coût est généralement ajouté à la location touristique. Pas sûr, pour autant, que des vacanciers y prêtent attention: «Des arrêtés peuvent aller jusqu'à la restriction d'eau, mais cela pénalise les résidents à l'année, et ça n'a pas forcément un impact sur les vacanciers», continue Pierre Guez.
Les municipalités réfléchissent donc à des solutions plus diplomatiques pour leurs administrés. Par exemple, en créant des îlots de fraîcheur pour conserver l'humidité dans l'air. Jusqu'ici, les villes se sont développées en asséchant la terre et en la bétonnant. Les réseaux ont ainsi souvent pour objectif de repousser l'eau le plus loin possible de la ville, ce qui conduit parfois à des situations absurdes.
Repenser les infrastructures
Comme fin juin 2017, à Bordeaux. «De fortes pluies ont généré des inondations en ville, et l'on s'est empressé d'évacuer cette eau vers l'estuaire de la Garonne. Mais seulement sept jours après, la sécheresse était telle que la préfecture a imposé des mesures d'interdiction de laver sa voiture ou d'arroser son jardin», rapporte Pierre Guez. De plus en plus de communes réfléchissent à repenser leurs infrastructures pour optimiser ce «petit cycle de l'eau»: toitures végétalisées, chaussées drainantes... et ne pas simplement chercher à se débarrasser au plus vite de l'eau. Car recréer des zones humides peut même devenir un rempart à des incendies.
Toutes ces décisions sont nécessaires pour les zones touristiques, car le déficit d'eau peut aussi limiter les activités proposées. L'irrigation d'un parcours de neuf trous d'un golf en Provence-Alpes-Côte d'Azur consomme par exemple en moyenne plus de 77.000 m3 d'eau par an (plus de vingt piscines olympiques). Ici, on ne prélève pas dans les réserves d'eau potable, mais on emploie de l'eau usée et traitée. «Cette voie reste très encadrée par une réglementation française extrêmement restrictive, mais elle devrait se développer dans le futur, comme c'est déjà le cas dans d'autres pays européens, en Espagne et en Italie par exemple», observe Pierre Guez. Ainsi, en partenariat avec Veolia, plusieurs golfs ont choisi cette solution, comme à Sainte-Maxime dans le Var et à Spérone, en Corse, où les eaux de la nouvelle station de traitement des eaux usées de Pozzu Verdu sont filtrées par une membrane, puis acheminées sur 6,5 km jusqu'au parcours.
La gouvernance de l'eau
Retour aux sports d'hiver: les stations risquent d'en pâtir si ces situations se répètent. Dans la station des Gets (Haute-Savoie), en 2006-2007, la production de neige de culture a entraîné un bras de fer entre le maire et le directeur de la société d'exploitation des remontées mécaniques, rapporte Élodie Magnier, docteure en géosciences à l'Université de Lausanne.
À l'époque, plus de 50% de l'eau utilisée pour les enneigeurs est puisée dans des réservoirs d'approvisionnement en eau potable, sans réelle concertation avec la mairie. Début décembre, l'exploitant du domaine skiable a commencé à enneiger la station. Mais à l'approche des vacances scolaires, le maire a réalisé qu'il risquait de manquer d'eau pour les touristes! Il refuse alors aux enneigeurs l'utilisation de l'eau disponible, entraînant la démission du directeur de la société d'exploitation des remontées mécaniques. «Ces conflits restent rares», nuance Élodie Magnier.
Certaines stations réfléchissent à construire plus de réserves collinaires pour récupérer l'eau. «Mais c'est de la ressource en moins pour le reste, remarque la chercheuse, cette eau qui se déversait en aval manquera à quelqu'un d'autre... En fait, chaque station tâtonne.» Le maire de Valloire, lui, mise comme d'autres sur le «tourisme de quatre saisons» en réhabilitant les massifs pour qu'ils deviennent aussi une destination d'été: «La montagne a des vertus, elle procure un bien-être psychique, elle doit être sanctuarisée», suggère Jean-Pierre Rougeaux. La ville propose toute l'année des randonnées, l'été de la pêche, un complexe hydrothermal est aussi en place. Reste que ça ne compenserait pas les touristes sportifs qui viennent pour le ski.
Selon Pierre Guez, il y a heureusement une question majeure qui progresse, celle de la gouvernance de l'eau. Jusqu'à présent, chaque commune décidait de son côté. Or, il faut prendre en compte l'accès et le partage aux ressources dans une même région géographique. C'est l'un des objectifs de la loi NOTRe qui amène les différents acteurs à travailler main dans la main. «C'est la clé pour une meilleure coordination et une meilleure distribution des moyens», conclut Pierre Guez. Un passage obligé pour sauvegarder et apprivoiser cette ressource indispensable.
Cet article vous est proposé par Slate.fr et Veolia dans le cadre de Green Mirror, un événement éditorial écrit et audio pour voyager dans le temps, prendre conscience et réfléchir sur les enjeux qui nous attendent collectivement face au changement climatique. Comment agir dès maintenant face à l'urgence?
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