Culture

«L'Exorciste selon William Friedkin» ou la difficulté absolue du métier de cinéaste

Temps de lecture : 4 min

Dans un documentaire disponible en VOD, le réalisateur du film dévoile les influences et les partis pris qui l'ont aidé à réaliser cet éternel classique.

William Friedkin sur le tournage de L'Exorciste (1973). | Capture d'écran via YouTube
William Friedkin sur le tournage de L'Exorciste (1973). | Capture d'écran via YouTube

On se souvient forcément de son premier visionnage de L'Exorciste –à supposer qu'il y en ait eu d'autres par la suite. C'est le genre de séance dont on ne peut pas sortir totalement indemne. Sorti à Noël 1973 aux États-Unis et en septembre 1974 en France, le film de William Friedkin est de ceux qui laissent une marque indélébile dans une cinéphilie, voire dans une existence. Il était totalement logique qu'un jour ou l'autre, un documentaire lui soit intégralement consacré.

Pour le réalisateur Alexandre O. Philippe, L'Exorciste selon William Friedkin n'a rien d'un coup d'essai: depuis une dizaine d'années, le Suisse s'est spécialisé dans l'élaboration de documentaires consacrés à des réalisateurs phares ou à des films cultes. Parmi ses plus grandes réussites, The People vs. George Lucas (sur les relations compliquées entre le créateur de l'univers Star Wars et ses fanatiques) ou 78/52 (consacré tout entier à la scène de la douche de Psychose) ont fait état de son aisance à imbriquer la petite histoire du cinéma dans la grande.

Ce nouveau travail de passionné consiste en un long entretien filmé avec un William Friedkin visiblement très détendu, qui accepte de revenir point par point sur la genèse de L'Exorciste. Ou plutôt sa genèse. Car si Friedkin est loin d'avoir été le premier cinéaste abordé par la Warner Bros. pour adapter le roman de William Peter Blatty, il n'est jamais fait mention des refus successifs d'Alfred Hitchcock, Stanley Kubrick, Arthur Penn, John Boorman et quelques autres.

Friedkin de A à Z

Tout commence au moment où Blatty souffle à Warner le nom du cinéaste de French Connection, et où les négociations finissent par aboutir après quelques hésitations. Ce qui intéresse Alexandre O. Philippe, moins que L'Exorciste lui-même, c'est le regard porté par William Friedkin sur le projet, et les apports multiples et fondamentaux qui ont été les siens. À l'image de Faire un film de Sidney Lumet, l'un des meilleurs livres sur le cinéma de tous les temps, L'Exorciste selon William Friedkin montre la difficulté absolue que représente le métier de cinéaste, et le plaisir gigantesque qui peut en découler lorsque les choix effectués sont les bons.


«C'est un film sur le mystère de la foi», explique William Friedkin au documentariste. Rappelons que l'intrigue de L'Exorciste tourne autour d'une petite fille possédée par un démon que sa mère, une célèbre actrice jouée par Ellen Burstyn, finira par faire exorciser. Considérant que l'immense majorité des films sur la religion sont niais ou superficiels, le cinéaste dit ne voir qu'une exception, le seul film qui lui servit de référence pour écrire et tourner L'Exorciste: il s'agit d'Ordet, de Carl Theodor Dreyer, pour lequel Lars von Trier et Carlos Reygadas partagent l'enthousiasme de Friedkin.

Vers la fin du documentaire, on comprendra que William Friedkin considère L'Exorciste comme un film presque parfait, puisqu'il ne lui trouve en fait qu'un seul défaut. C'est donc avec une certaine absence de modestie que le cinéaste dévoile ses choix et ses partis pris. Pour autant, la mégalomanie du bonhomme (qui dit avoir été «guidé par le dieu Film» sur le tournage) reste relativement supportable, pour ne pas dire amusante. Il faut dire qu'elle ne masque jamais son amour profond pour le cinéma, pas plus que son respect absolu pour celles et ceux qui ont travaillé (ou non) avec lui.

Savoir dire non

C'est quoi, un·e grand·e cinéaste? Le film d'Alexandre O. Philippe apporte au moins une réponse indispensable: c'est quelqu'un qui sait dire non, encore et encore, même face aux plus grands noms. Plusieurs des histoires racontées par Friedkin témoignent de sa détermination à ne faire aucun compromis dans certains domaines.

Il faut un sacré cran pour parvenir à rejeter totalement la première version du scénario écrite par Blatty au motif qu'il aurait trahi son propre roman. Il en faut aussi pour expliquer coup sur coup à Bernard Herrmann puis à Lalo Schifrin, deux des plus grands compositeurs de l'histoire, que leurs projets musicaux ne conviennent pas et qu'on se passera d'eux (Friedkin choisira finalement d'utiliser le Tubular Bells de Mike Oldfield).


Et lorsque le cinéaste jette son dévolu sur l'inconnu Jason Millier pour jouer le père Karras alors que Stacy Keach a déjà signé son contrat pour le rôle, il parvient à convaincre Warner Bros. de verser à Keach l'intégralité du salaire prévu mais de le renvoyer sur le banc de touche.

Orgueil et générosité

Les histoires de ce genre jalonnent L'Exorciste selon William Friedkin, même si aucun témoignage contradictoire ne vient prouver que le réalisateur n'est pas en train d'enjoliver, de se donner systématiquement le beau rôle. Mais puisqu'il semble avoir bien traité chacune des personnes croisées sur son parcours, il devient plus acceptable de le croire sur parole.

D'autant que Friedkin ne tarit pas d'éloges sur certains des membres de l'équipe: non seulement il tresse une couronne de lauriers à Jason Miller, mais il livre également une description fascinante du travail d'Enrique Bravo, opérateur caméra ayant commencé sa carrière en filmant Fidel Castro lors de la révolution cubaine. Pas commode mais généreux, sévère mais juste: tel semble être William Friedkin lorsqu'il se trouve aux commandes sur un plateau de cinéma.

L'Exorciste selon William Friedkin est également truffé d'anecdotes sur la fabrication du film, de l'insertion d'images subliminales (inspirées par L'Année dernière à Marienbad de Resnais) aux choix sonores ayant permis d'épaissir l'impression de malaise et de donner au démon sa voix idéale. Le film est exaltant parce qu'il montre, l'air de rien, qu'une grande œuvre de cinéma doit souvent autant à de grandes références artistiques (Friedkin cite Pollock, Ravel et la Vue de Delft de Vermeer) qu'à des petits bricolages géniaux.

En fin de film, Friedkin révèle ce qui fait peut-être la réussite absolue de cet indémodable Exorciste: ne l'avoir jamais envisagé comme un film d'horreur, mais tout simplement comme un huis clos autour d'une petite fille possédée et d'un prêtre en pleine crise de foi, également psychiatre, qui culpabilise de ne pas s'être suffisamment occupé de sa mère. L'Exorciste est un drame existentiel. Un drame avec un lit qui tangue, des contorsions et quelques flots de vomi. Mais un drame quand même, dont le fond est aussi mémorable que les quelques images choc.

L'Exorciste selon William Friedkin

d'Alexandre O. Philippe

avec William Friedkin

Sorti en VOD le 8 janvier 2021

UFO Distribution

Durée: 1h45

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