Le 6 janvier 2021 est une date aussi négative pour le président Trump que positive pour la démocratie américaine. L'histoire se rappellera les morts et les blessés de ce jour-là comme des victimes de l'incitation à la violence de la part de celui qui est encore président.
Mais ce qui s'est passé –au-delà de l'intrusion violente dans le Congrès par les partisans de Trump– pourrait marquer le début d'une importante période de rénovation de la démocratie de ce pays.
Le coup ultime
Le 6 janvier 2021, les lois, les institutions et les normes qui encadrent le pouvoir du président des États-Unis ont été mises à l'épreuve. Fort heureusement, elles n'ont pas cédé face à la tentative de Donald Trump de rester à la Maison-Blanche en dépit de sa défaite électorale à la présidentielle de novembre.
Déjà fragilisée, la démocratie américaine a subi une nouvelle atteinte malgré l'échec de la tentative de putsch de Trump et de ses complices. D'où un grave discrédit international pour la première puissance mondiale. Leurs auteurs –Trump, quelques sénateurs et représentants du Parti républicain, ainsi que les groupes antidémocratiques qui ont joué un rôle actif dans ce coup d'État avorté– sont tombés en disgrâce.
Des partisans de Trump, dont Jake Angeli (au centre), un partisan de QAnon, entrent dans le Capitole à Washington, le 6 janvier 2021. | Saul Loeb / AFP
Plus de latitude pour Biden
La prise violente du Capitole s'est accompagnée d'autres événements ayant des conséquences sur la démocratie américaine. Le matin du 6 janvier, on a appris que les deux candidats aux élections sénatoriales de Géorgie, Raphael Warnock et Jon Ossoff, avaient battu leurs adversaires républicains. Raphael Warnock est le premier Afro-Américain à devenir sénateur en Géorgie, un État du Sud qui traîne une longue histoire ségrégationniste. À 33 ans, Jon Ossoff sera quant à lui le premier sénateur juif élu dans un État du Sud depuis les années 1880 et le plus jeune sénateur du Parti démocrate depuis l'élection de Joe Biden au Sénat il y a presqu'un demi-siècle.
Au-delà du caractère inédit de ces accessions au poste de sénateur, la victoire de Warnock et Ossoff sera à marquer d'une pierre blanche: ces deux sièges supplémentaires ont permis au Parti démocrate, qui disposait déjà de la majorité à la Chambre des représentants, de la doubler de la majorité à la chambre haute (le Sénat). Ce n'était pas arrivé depuis 1995.
Le contrôle du Congrès va permettre à Biden de nommer plus librement et rapidement ses collaborateurs à la Maison-Blanche, qui doivent être confirmés par cette assemblée. Il en va de même de la nomination des juges fédéraux que proposera le président élu et dont le Congrès peut avaliser ou rejeter la candidature. Plus important encore, une majorité dans les deux chambres du Congrès donne à Biden la possibilité d'engager de profondes réformes économiques, politiques et institutionnelles.
Volte-face charnière de Pence
Cette journée pleine de surprises a également vu la publication d'une lettre et d'un discours qui, sans présenter le caractère spectaculaire de l'assaut télévisé contre le Capitole, changent malgré tout le cours de l'histoire.
En sa qualité de vice-président des États-Unis, Mike Pence préside également le Sénat de ce pays, aux membres duquel il a adressé une lettre. Il y informe les sénateurs qu'il remplira rigoureusement le devoir encadré qui lui incombe en vertu de la Constitution, dans le cadre de la validation de l'élection du président et du vice-président de la nation. (Il faut préciser que, jusqu'à ce moment charnière, Pence était purement et simplement soumis à Trump. Obéissant, effacé, flatteur et sûrement résigné.)
Les défauts de cette démocratie ont été mis à nu.
Il explique dans ce courrier que cette position ne lui a pas été dictée par son chef –comme chacun s'en doute. Donald Trump avait répété publiquement qu'il attendait de Mike Pence («qui [lui] doit tant») qu'il soutienne sa théorie de la fraude électorale, qu'il a échafaudée avec la complicité des sénateurs Ted Cruz et Josh Hawley. C'est peut-être la première fois en quatre ans que Mike Pence a fait primer la démocratie de son pays sur les intérêts personnels de Donald Trump. Or, s'il avait suivi Trump, la tentative de coup d'État aurait eu davantage de chances d'aboutir!
Des partisans de Trump entrent dans le Capitole à Washington, le 6 janvier 2021. | Saul Loeb / AFP
Trump enfin lâché par McConnell
Une autre prise de position a surpris: celle de Mitch McConnell, le chef de file des Républicains au Sénat. Pendant quatre ans, jusqu'au 6 janvier 2021, ce Républicain a soutenu sans réserve Donald Trump. Au début de la session consacrée à la validation des résultats de la présidentielle et avant que l'envahissement du Capitole n'interrompe les débats parlementaires, McConnell a prononcé un discours dévastateur mettant en évidence –et déjouant de fait– le coup d'État que Trump et les siens étaient en train de perpétrer. Si le puissant sénateur s'était rangé du côté des putschistes, nous parlerions aujourd'hui en termes plus sombres de la démocratie américaine.
Toujours est-il que les défauts de cette démocratie ont été mis à nu, de même que les menaces qui pèsent sur elle. Les réformes qui s'imposent sont connues et doivent être mises en œuvre de toute urgence. Le seront-elles? Avec succès? Nul ne le sait. En tout état de cause, le 6 janvier 2021 pourrait entrer dans les livres d'histoire comme le jour où les États-Unis ont commencé à remettre en état leur démocratie.