Sept personnes ont été tuées et 21 autres blessées dans un attentat suicide à la voiture piégée dimanche 18 avril à Kohat, ville du nord-ouest du Pakistan, a annoncé la police, au lendemain de deux attentats suicide meurtriers dans la même région.
«Il s'agissait d'un attentat suicide qui visait un poste de police", a indiqué Diwalar Khan Bangash, chef local de la police. "Le kamikaze a fait exploser son véhicule contre l'arrière du poste de police».
Entraînés malgré eux dans la guerre contre le terrorisme, les Pakistanais font figure d'oubliés de ce conflit dans lequel ils paient pourtant un prix très lourd. Le rapport annuel [PDF] que vient de rendre public la très indépendante et très respectée Commission des Droits de l'Homme est accablant au regard du droit élémentaire des citoyens. «Le rapport se lit comme un acte d'accusation contre l'incapacité de l'Etat à protéger ses citoyens», souligne dans un éditorial le quotidien anglophone Dawn.
Plus de 3.000 personnes ont été tuées et plus de 7.000 ont été blessées en 2009 dans des actes de terrorisme attribués aux extrémistes islamistes qui combattent l'état pakistanais à qui il reproche de s'être aligné sur Washington. Parmi ces opérations, 108 attaques suicides visant principalement les forces de sécurité mais aussi des écoles, des mosquées, des tribunaux ont fait 1.296 morts.
Ces violences —qui font à peine la une de la presse 24 heures tant elles sont devenues fréquentes— laissent des traces durables sur une société traumatisée. Le Pakistan, qui consacre moins de 12 euros par personne et par an à son système de santé, est mal équipé pour répondre aux angoisses et aux troubles de familles dont beaucoup expriment aujourd'hui le désir —sans en avoir les moyens— de quitter le pays.
Des millions de déplacés
Les campagnes de l'armée pakistanaise contre les extrémistes islamistes dans la vallée de Swat et dans la zone tribale du Sud-Waziristan ont déplacé des millions de personnes. Fin 2009, il en restait encore 1,25 million dont 500.000 enfants. Le nombre de déplacés varie en fonction des opérations militaires mais ces déplacés sont tous très loin de recevoir l'aide nécessaire. Des milliers d'habitations et des villages entiers ont été détruits dans les bombardements de l'armée et pour l'instant aucun plan d'ensemble n'existe pour permettre aux personnes affectées de rentrer chez elles dans des conditions décentes.
Plus regardante que la communauté internationale qui se félicite régulièrement de la détermination nouvelle des forces de sécurité pakistanaise à affronter les extrémistes, la commission des Droits de l'Homme dénonce les meurtres extrajudiciaires et les exécutions sommaires qui ont suivi les opérations dans la vallée de Swat.
Présidente de la Commission, l'avocate Asma Jehangir reproche à l'armée de pousser à la formation de milices locales anti-talibans pour utiliser celles-ci dans ses basses œuvres. Depuis la défaite des extrémistes à la mi-2009 dans la vallée de Swat, les corps de plus de 250 personnes soupçonnées de sympathies pour les talibans ont été retrouvés criblés de balles et mutilés le long des routes ou pendus à des arbres. L'organisation américaine Human Rights Watch parle, elle, de 200 «exécutions sommaires» ces huit derniers mois dans la même région.
Cinq leaders d'al-Qaida tués, 700 civils morts
Qualifiée de «grand succès» par l'administration américaine, la campagne d'assassinat entreprise par l'intermédiaire d'avions sans pilotes contre les chefs d'al-Qaida dans les zones tribales pakistanaises frontalières de l'Afghanistan est aussi meurtrière pour les civils. Sans évoquer le simple fait que tout suspect quel qu'il soit devrait être arrêté et jugé et non pas tué d'autorité, les attaques des drones américains ont, selon la New America Foundation, tué depuis 2004 plus de 1.200 personnes dont un tiers de civils. Citant des sources officielles impossibles à vérifier puisque les zones tribales sont interdites d'accès, la commission des Droits de l'Homme affirme que les 44 attaques de drones en 2009 ont tué cinq leaders d'al-Qaida mais aussi 700 civils.
La guerre contre le terrorisme a également servi d'utile paravent à la répression des séparatistes baloutches. Les «disparitions» se sont poursuivies malgré les appels répétés à la Cour Suprême pour obtenir au minimum des informations sur les «disparus». Au nom de la lutte anti-terroriste, des centaines de personnes ont été «détenues» sans autre forme de procès et les familles ont les plus grandes peines du monde à obtenir des informations sur leurs proches.
Si l'opinion publique pakistanaise s'est retournée contre les extrémistes en raison des excès de ces derniers, elle reste très critique à l'égard d'une guerre qui se déroule sans aucun respect pour la vie et les droits des civils. L'image de l'occident restera durablement ternie par les abus de ce conflit dans lequel aucun des protagonistes n'est innocent.
Françoise Chipaux
Photo: Manifestation anti-gouvernementale à Haripur, le 13 avril 2010. REUTERS/Akhtar Soomro