Dominique de Villepin a annoncé à la fin du mois de mars qu'il allait lancer son mouvement le 19 juin prochain. Ou son parti... Lui ou ses lieutenants ont parfois employé les deux terminologies. Ce mouvement/parti devrait être «indépendant de l'UMP». Ses soutiens espèrent déjà que cette plateforme lui permettra de mettre en œuvre ses ambitions présidentielles. En France, la création de partis est une habitude, qui se vérifie ces dernières années. Si elles permettent de capter un temps l'attention des médias, l'avenir pour ces nouvelles formations est rarement des plus reluisants.
Ainsi, dernièrement créés en tant que partis (mais existant parfois depuis longtemps comme mouvement au sein d'un autre parti), on peut citer Debout la République de Nicolas Dupont-Aignan, la Gauche Moderne de Jean-Marie Bockel, le MoDem de François Bayrou, le Nouveau Centre d'Hervé Morin, le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon, le NPA ou encore le Mouvement unitaire progressiste de Robert Hue (si, si)... Europe Ecologie est un cas à part, puisque c'est un regroupement de mouvements et de partis qui n'a pas (encore) entraîné la disparation des membres le composant. De toutes ces nouveautés, le NPA, le MoDem, Debout la République (et Europe Ecologie) ont présenté des listes indépendantes aux régionales.
Pourquoi autant de partis créés maintenant?
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. En premier lieu, le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel, qui a créé un «nouveau clivage», à droite comme à gauche. Pour «refuser l'hypocrisie» face aux prises de positions très divergentes, les membres de Debout la République, vis-à-vis de l'UMP, ou ceux du Parti de Gauche, face au PS, devaient partir. Dupont-Aignan à l'UMP et Mélenchon au PS ayant milité activement pour le «non».
Deuxième hypothèse, «évidente à droite» pour Nicolas Dupont-Aignan, c'est la création du parti unique, l'UMP, qui a d'ailleurs été très sévèrement critiqué après la défaite des régionales, ou pendant l'entre-deux-tours, notamment par l'ancien ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charette. «Le problème était idéologique, on ne pouvait pas supporter de rester», explique-t-il. Pour le député de Maine-et-Loire, l'UMP est «une machine à perdre qui rabote à droite les identités de chacun. Il n'y a pas plus con comme idée que l'UMP qui promeut une vision désincarnée de la politique». Au contraire des partis plus petits, qui incarnent les diversités de pensée de la droite française, selon lui.
Pour Gérard Grunberg, directeur de recherche au CNRS/Sciences-Po, spécialiste des partis politiques, les ambitions personnelles sont aussi un facteur à prendre en compte. Le chercheur est ainsi très critique vis-à-vis de Jean-Luc Mélenchon et de l'ancien Premier ministre:
Ce sont des narcissiques profonds. Ils aiment s'écouter parler et ont envie d'être sur le devant de la scène. Mélenchon pense que c'est un orateur, ce qu'il est en partie, mais peut-être pas aussi fort qu'il ne le croit. Pareil pour Dominique de Villepin, qui se prend pour De Gaulle.
Nicolas Dupont-Aignan réfute quant à lui l'idée d'être plus exposé médiatiquement:
J'ai moins accès aux médias depuis que j'ai créé mon parti que lorsque j'étais dissident. La plupart des médias ont une bipolarisation dans la tête. Le PS et l'UMP ne rassemblent que 50% de l'électorat mais ont beaucoup plus d'influence. Les éditorialistes et analystes politiques ont un prisme déformant qui leur font penser que tout ce qui se passe à l'UMP ou au PS est très important et ils oublient tous les autres. Quand vous êtes le vilain petit canard, vous les intéressez. En termes médiatiques, j'ai sûrement perdu à quitter l'UMP, mais j'ai gagné en cohérence idéologique.
Le président du Parti de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, tient sensiblement le même discours sur son blog, critiquant vigoureusement la manière dont les médias hiérarchisent l'information, politique notamment. Le 31 mars, dans sa note traitant de l'affaire qui l'a opposé à un étudiant en journalisme, il explique:
Dans nombre de cas concrets, nous ne sommes pas dans un rapport de coopération en vue de donner une information aux citoyens mais dans un rapport de force, en face de manipulateurs hostiles qui «mettent en scène» leur discours politique.
Dernier facteur à prendre en compte, l'autonomie financière. Posséder son mouvement et son parti permet d'avoir la main sur la caisse et les cotisations des adhérents. Pour cela, évidemment, il en faut un nombre suffisamment important et/ou des riches donateurs. Le président de Debout la République explique:
Tout parti politique étalonne et assure ses financements grâce aux scores des présidentielles (donc 2012 pour la prochaine). Pour 2007, c'était trop tôt pour nous, nous avons compté sur les donateurs, qui ont apporté une aide colossale. Actuellement, nos candidats financent leur campagne eux-mêmes et pour certains ce n'était pas possible de repartir pour les régionales, six mois à peine après les européennes. C'est pour cela que nous n'avons pas pu nous présenter dans toutes les régions.
Dominique de Villepin tenait le même discours lors de l'annonce du lancement de son mouvement. Juridiquement, le Club Villepin, qui existait déjà, permettait de recevoir des dons de personnes morales, donc d'entreprises. Grâce au nouveau parti, il pourra collecter des dons de particuliers. «On ne peut pas faire une campagne présidentielle sans parti, sans argent, ni statut», expliquait Jacques Le Guen, député du Finistère, dans Le Monde.
Ces partis ont-ils un avenir?
Pour Gérard Grunberg, «il faut toujours faire la différence entre les partis qui durent et ceux qui sont éphémères. En dehors des grands partis, depuis la création de la Ve république, il n'y a que le FN et les Verts qui ont réussi à s'implanter durablement. Les autres sont restés marginaux ou ont disparu. Ainsi, chez les écologistes, deux ou trois formations ont tenté d'exister, mais elles ne se sont pas imposées. A l'extrême droite, le MNR a pratiquement disparu. A gauche, je ne pense pas qu'il y a actuellement un espace pour un grand parti, ou alors il faudrait avoir la peau du Parti socialiste». Pour le politologue, il n'est ainsi pas du tout certain que Gauche Moderne survive au maire de Mulhouse. En effet, le plus compliqué est la phase d'institutionnalisation, qui consiste surtout à survivre à son fondateur. «Le MoDem va-t-il ainsi survivre à Bayrou?», se demande-t-il également.
Le professeur Pierre Avril, dans son Essais sur les Partis politiques, rappelle que «depuis la création du RPF en 1947, il n'y a pas eu de partis véritablement nouveaux qui se soient imposés durablement (la flambée poujadiste de 1956, par exemple, a été sans lendemain)». Après la guerre, progressivement, «on est passé d'un système comportant six pôles autonomes à un système dualiste subdivisé en duopole bilatéraux ("la bande des quatre"). Ce double duopole était parvenu en 1957 à une quasi égalité entre ces composantes». D'un côté le PCF et la SFIO (le futur PS), de l'autre le RPF et l'UDF. La présidentialisation du régime due à la constitution de la Ve république a provoqué un duel de chaque côté qui a entraîné la progressive marginalisation du PCF et de l'UDF. Pour Gérard Grunberg, «ce sont les partis politiques qui ont conquis le leadership à la présidentielle dans leur propre camp qui se sont imposés définitivement. Mitterrand face aux communistes à gauche ou Chirac qui a éliminé Giscard puis Barre et Balladur».
Comment survivre?
La seule possibilité pour ces partis est d'occuper un espace politique inoccupé, selon Gérard Grunberg. Il explique:
Le FN occupe aujourd'hui l'espace pour la droite populiste. Il devrait survivre à la disparition de Le Pen. A l'extrême gauche, l'espace existe depuis longtemps. Le problème est plus celui de la fragmentation. Le NPA devrait survivre, mais restera minoritaire. Au contraire, pas sûr que le Parti de Gauche reste après Mélenchon. Au centre, le problème est différent. Le système actuel, de bipolarisation, empêche un vrai parti centriste d'exister. Actuellement, cet espace est en partie occupé par Europe Ecologie, avec un Daniel Cohn-Bendit à la fois libéral et libertaire, même si les Verts poussent vers la gauche. Si Daniel Cohn-Bendit était mis de plus en plus en minorité, cela rouvrirait peut-être un espace au centre pour le MoDem.
Le politologue ne pense pas qu'un espace politique soit présent pour Dominique de Villepin: «C'est un pur mouvement de personnalité. Il ne s'appuie sur aucun des tissus politiques de la droite et tient un discours de gauche.»
Nicolas Dupont-Aignan est lui aussi sceptique. «Sur le parti de Dominique de Villepin, il y a beaucoup d'incertitudes. Je pense que c'est plus une écurie présidentielle qu'un parti politique. Son mouvement risque de ne pas exister, sauf s'il gagne la présidentielle.» L'enjeu pour lui est de savoir si l'ancien Premier ministre va briser «la double appartenance», c'est-à-dire si les politiques qui le suivent pourront ou non être également membres de l'UMP. Ce système est un cas assez courant, les membres du MUP de Robert Hue peuvent ainsi être toujours adhérents du Parti communiste.
Fin mars, Brigitte Girardin, la présidente du Club Villepin, était restée vague sur cette question: «Il s'agira d'un rassemblement qui dépasse les clivages politiques. Nous ne nous abriterons pas sous l'UMP, nous nous inscrivons dans une démarche gaulliste. Ce ne sera ni une machine anti-UMP ni antisarkozyste, mais un mouvement au service des Français.» Le nouveau secrétaire d'Etat à la Fonction publique, Georges Tron, considéré comme une prise villepeniste par le clan Sarkozy, a déclaré le 11 avril qu'il pourrait, «a priori, être présent», le 19 juin, au lancement du parti. Il «ne croit pas et ne souhaite pas» que cela dérange Nicolas Sarkozy. Ce qui laisserait supposer, si ce n'est la possibilité de la double appartenance, au moins une périlleuse double sympathie...
Quentin Girard
Photo: David gegen Goliath / BxExAxTxE via Flickr CC License by