Société / Culture

Fan 2, Star Club, Stars Mag… qu'est devenue la presse pour ados des années 2000?

Temps de lecture : 7 min

Phénomène de société des années 1990 au milieu des années 2010, ces magazines cultes ont depuis disparu de la circulation, engloutissant avec eux tout le secteur de la presse pop pour ados.

Les couvertures cultes du magazine Fan 2. | Capture écran via Google Images
Les couvertures cultes du magazine Fan 2. | Capture écran via Google Images

Avec les cartes Pokémon, la «Trilogie du samedi» ou les Game Boy, ils sont pour beaucoup de vingtenaires et trentenaires les totems chargés de nostalgie d'une enfance vécue dans les années 1990 et 2000. Life Star, Hit Machine Girl, Star Ac Mag, Salut, sans oublier les trois mastodontes Stars Mag, Star Club et Fan 2, à cette époque, des dizaines de magazines pour adolescent·es paraissent chaque mois dans les kiosques.

On y suit les aventures de Jenifer, Lorie, Britney Spears ou Justin Timberlake, puis un peu plus tard de Justin Bieber et des One Direction. Pour les fans de ciné ou de télé, ONE et Séries Mag chroniquent quant à eux l'actualité sur Harry Potter, Charmed, High School Musical ou Les Frères Scott. Pas une cour de récréation, de la primaire au collège, où l'on ne s'échange les photos pleine page de Zac Efron, les posters de la dernière promo Star Ac ou les fiches chansons du dernier single d'Alizée.

Les magazines pour ados sont partout et s'écoulent alors à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires chaque mois, écrasant le marché de la presse jeunesse. «En presse jeune, on a toujours vu une grande rafale de titres car la plupart des éditeurs ont pour stratégie de publier plusieurs magazines semblables sous différents titres afin d'inonder le marché», explique Ludovic-Jérôme Gombault, directeur des rédactions des magazines Stars Mag, Fan 2, Star Club, ONE et Séries Mag de 2000 à 2014.

Et d'ajouter: «C'est la même technique qu'en presse people ou vous allez retrouver des dizaines de Star people, Star secret, Secret people ou que sais-je, édités par le même groupe avec une duplication de contenus, des photos libres de droit, des infos non exclusives… C'est une technique à double tranchant car si vos produits ont le vent en poupe, vous en vendez à foison, mais si l'engouement retombe, plus aucun titre ne se vend. C'est ce qui est arrivé à la presse ado, dès qu'un magazine a cessé de publier, ils ont tous disparu les uns après les autres, quasiment en même temps.»

«La presse ado s'est tuée elle-même»

Aujourd'hui, la presse ado compte dans ses rangs plusieurs magazines spécialisés dans la K-pop, et quelques survivants tels que Starlight ou Dream'up. On y suit Aya Nakamura, Angèle ou Bilal Hassani. Sans atteindre l'engouement qu'ont pu connaître les Star Club et autres Fan 2, ces titres bénéficient aujourd'hui d'une communauté fidèle, et dépassent les 40 numéros pour Starlight, lancé en 2014 et les 110 numéros pour Dream'up, bimestriel lancé en 2000!

En parallèle, une presse hybride, entre actualités des stars et magazine féminin, destinée aux adolescentes, continue d'exister avec des magazines comme Girl, édité par Disney.

La presse ado n'est donc pas tout à fait morte, mais son heure de gloire semble définitivement derrière elle. Pour les poids lourds du secteur, les ventes chutent petit à petit à partir des années 2010. Star Club s'arrête en 2015. Fan 2 résistera plus longtemps, s'interrompant début 2018.

«La vision conte de fées de la presse ado s'est heurtée à la trashification d'une société qui s'attachait à démystifier les stars.»
Ludovic-Jérôme Gombault, éditeur

Pour Ludovic-Jérôme Gombault, les raisons de cette chute sont nombreuses: «Cela peut sembler anecdotique mais la fin des One Direction en 2015 a sonné le glas de la presse ado. D'abord parce qu'ils attiraient une communauté très fidèle, mais aussi, plus globalement, parce que cela signait la fin d'une vision du star-system qui n'existait plus: celle des stars souriantes et heureuses en permanence et des discours policés. La presse ado s'est tuée elle-même en continuant de proposer jusqu'à la fin une vision datée de la starification à outrance, à base de contenus non exclusifs et de langue de bois, alors que dans le même temps, la presse people, qui marchait sur nos plates-bandes, cartonnait en montrant l'envers du décor. La vision conte de fées de la presse ado s'est heurtée à la trashification d'une société qui s'attachait à démystifier les stars, à broyer l'héritage des années idoles.»

Quand Britney Spears apparaît à la dérive, le crâne rasé dans les pages de Voici, Closer et compagnie, Fan 2 et les autres titres ados continuent de publier des interviews «Je vis ma meilleure vie» de la star, accompagnées de photos tout sourire. Le public ne marche plus, et s'éloigne peu à peu.

D'autant plus que depuis le début des années 2000 et l'avènement des talent shows comme la «Star Academy», «La Nouvelle star» ou «The X Factor» à l'international, les stars ne sont plus ces créatures intouchables qu'elles étaient avant. C'est désormais l'heure de gloire des inconnu·es, des influenceurs aux participant·es de télé-réalité. Starlight et Dream'up l'ont bien compris, eux qui offrent à leurs lecteurs et lectrices aussi bien des posters d'Ariana Grande que des youtubeurs Squeezie et Léna Situations.

Le coup fatal d'internet

À cette mutation du star-system, s'est ajouté sans surprise, l'avènement des réseaux sociaux et du numérique. Dernier clou dans le cercueil d'une presse ado déjà sur le déclin.

«Au contraire de la presse jeunesse scientifique ou d'actualité comme Sciences&Vie Junior ou Les Clés de l'actu qui se portent très bien, la presse pop pour adolescents a subi de plein fouet l'arrivée du numérique car elle a perdu son utilité de canal reliant les fans à leurs stars, explique Laurence Corroy, professeure des universités à l'université de Lorraine, spécialiste du rapport des jeunes aux médias, autrice d'Éducation et médias–La créativité à l'ère du numérique. Avant, si vous vouliez des nouvelles de votre star préférée, vous attendiez avec impatience la sortie du prochain numéro, vous vous précipitiez dans les kiosques et vous dévoriez son interview pour connaître ses projets, ses amours, ses looks du moment… Aujourd'hui, avec Instagram, Twitter ou TikTok, vous êtes presque en ligne directe avec elle. Les stars publient quotidiennement, voire plusieurs fois par jour, des photos ou des vidéos de leurs activités professionnelles mais aussi de leur vie personnelle. Un contenu exclusif bien loin des discours promotionnels rabâchés sur tous les plateaux et dans tous les journaux.»

Quel intérêt alors d'attendre chaque mois de dépenser son argent de poche dans Star Club ou Fan 2. D'autant plus qu'internet ne s'est pas contenté de bouleverser le rythme de l'information, le numérique a aussi offert un terreau particulièrement propice pour le développement de communautés de fans. Entre les sites, forums, comptes Facebook, Instagram, YouTube, les possibilités sont infinies pour se regrouper, échanger, partager des créations propres à leurs univers comme des fanfictions, fanzines ou des montages photos.

«Pour des communautés très actives comme celles entourant des phénomènes comme Harry Potter ou certains boys bands, type One Direction, internet a facilité et internationalisé les échanges et la créativité qui existaient déjà depuis de nombreuses années, confirme Laurence Corroy. Lorsque des fans s'échangaient des posters ou des magazines dans la cour de récré, puis comparaient leurs collections ou répondaient ensemble aux quiz présents en fin de magazine, on était déjà face à une communauté. Les réseaux sociaux n'ont rien inventé, ils ont simplement élargi le champ des possibles.»

Un passage au numérique raté

Aucun des titres phares de la presse pour ado n'a réussi son passage à l'ère digitale. Fan2.fr a bien existé quelque temps mais le succès ne fut guère au rendez-vous. Le site était pourtant édité par le groupe Melty, poids lourd de l'infodivertissement.

Mais alors que melty.fr connaissait un succès grandissant en relayant stories Snapchat ou Instagram des candidat·es des «Marseillais» et des «Anges de la téléréalité», Fan2.fr et ses interviews posées du casting de Twilight faisait un flop.

«On se battait comme des chiens auprès des maisons de disques pour avoir les meilleures photos de Jenifer ou de Britney Spears pour être sûrs de faire plaisir à nos lecteurs.»
Ludovic-Jérôme Gombault, éditeur

«Les éditeurs n'ont pas su prendre le virage du numérique car ils n'avaient pas du tout cette culture, note Ludovic-Jérôme Gombault, aujourd'hui à la tête de Storytellers Medias, une agence de production de contenus. À cette époque, dans les années 2010, ceux qui ont percé avec des sites orientés people ou télé-réalité étaient des newcomer. Ils savaient jouer avec les nouvelles règles du jeu, en presse magazine on ne parvenait pas à adapter nos formats au numérique, on avait toujours un ou deux trains de retard et surtout, on a fait les mauvais choix. On avait par exemple beaucoup misé sur le QR Code en espérant ainsi relier le papier à des contenus exclusifs en ligne mais cela n'a pas fonctionné.»

Difficile dans ce contexte d'imaginer un revival de la presse ado. Pourtant, Ludovic-Jérôme Gombault confie recevoir régulièrement des propositions pour relancer un magazine destiné aux préados ou adolescent·es.

Amené à réfléchir aux critères indispensables pour un retour réussi, il dresse quelques éléments de réponse: «Il ne faudrait surtout pas chercher à reproduire le digital sur le papier. La force de ces magazines était dans leur valeur ajoutée à savoir de belles photos pleine page, des fiches chansons, des goodies et surtout, les posters. Les posters c'était le nerf de la guerre, on y passait des heures, on y mettait nos meilleures équipes. On se battait comme des chiens auprès des maisons de disques pour avoir les meilleures photos de Jenifer ou de Britney Spears pour être sûrs de faire plaisir à nos lecteurs», confie celui qui s'est revendiqué pendant des années «fournisseur officiel de papiers peints pour les jeunes filles».

Autre élément indispensable: trouver un équilibre subtil entre cooptation des parents, qui jusqu'à 13/14 ans environ restent les acheteurs de presse jeunesse pour leurs enfants, et une certaine transgression pour donner envie aux adolescent·es: «Les conseils love à lire sous la couette restent un classique, commente Ludovic-Jérôme Gombault. Je pense enfin qu'il faudrait créer une nouvelle marque, ne pas chercher à recycler un ancien magazine. Même s'il y a une forte nostalgie autour de Fan 2 ou Star Club, ces titres commencent un peu à sentir la naphtaline, s'amuse-t-il. Tout ça fait beaucoup d'éléments, cela reste un défi très compliqué à relever mais bon, il ne faut jamais dire jamais.»

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