Culture

Pierre Cardin, no more future

Temps de lecture : 6 min

Le couturier français, créateur de nombreuses pièces audacieuses et futuristes, est décédé le 29 décembre à l'âge de 98 ans.

Défilé Pierre Cardin sur le porte-avions soviétique Kiev à l'extérieur de Tianjin, dans le nord-est de la Chine, le 13 mai 2011. | Peter Parks / AFP
Défilé Pierre Cardin sur le porte-avions soviétique Kiev à l'extérieur de Tianjin, dans le nord-est de la Chine, le 13 mai 2011. | Peter Parks / AFP

Si un seul mot devait définir Pierre Cardin, ce serait visionnaire. Créateur, amateur d'art, de culture, boulimique de travail, le couturier est décédé à Paris à l'âge de 98 ans.

En février dernier au moment des défilés parisiens sur lesquels se profilait la menace du Covid-19, Pierre Cardin, en pleine forme, inaugurait sa dernière boutique rue Saint-Honoré. Volubile, il présentait un de ses assistants dont les créations demeuraient dans le droit fil de l'esprit Cardin, dans un style que le couturier imaginait et voulait, à jamais, intemporel.

Lors des 70 ans de carrière de Pierre Cardin au Théâtre du Châtelet, le 21 septembre 2020. | Lucas Barioulet / AFP

Des débuts en couture, de Cocteau à Dior

Né en 1922 en Italie, Pierre Cardin (Pietro Costante Cardino) a émigré avec sa famille en France dans les années 1920. Il choisit très tôt la mode et apprend le métier chez des tailleurs en province. Il décide d'aller à Paris et y arrivera en 1945 avec une recommandation pour Jeanne Paquin chez qui il fera ses premiers pas parisiens. C'est dans cette maison qu'il eut l'opportunité de participer avec Marcel Escoffier à la conception et à la création des costumes et masques de La Belle et la bête de Jean Cocteau.

Après un bref passage de quelques mois chez Schiaparelli, il devient premier tailleur chez Dior. Il rêve d'indépendance et quitte la maison de couture pour débuter avec la création de costumes et déguisements qui étaient à nouveau très demandés. Il participe, aussi avec Maurice Escoffier, aux costumes du Couturier de ces dames avec Fernandel. En final se déguste un défilé avec des modèles très audacieux pour l'époque et empreints d'humour, ainsi une robe pense-bête pour femme qui peut faire des nœuds pour ne rien oublier.

Pierre Cardin avant un défilé en 1960. | AFP

En parallèle il continue à perfectionner ses coupes et rencontre le succès avec une collection de 120 modèles présentés en 1957. Il ouvre des boutiques d'abord Eve puis Adam, créant aussi bien des modèles féminins que masculins sans oublier l'unisexe.

Pierre Cardin sent déjà l'importance que peut avoir une vision à l'international, il voyage au Japon dès 1957. Professeur honoraire de la prestigieuse école de mode Bunka Fukusō Gakuin, il enseigna aux jeunes Japonais la coupe en trois dimensions.

Le look cosmonaute dans la rue est en marche, les femmes osent les minijupes et optent pour un esprit géométrique.

Les années 1960 seront un âge d'or pour les créations de Pierre Cardin qui, avec André Courrèges et Paco Rabanne, révolutionne la couture en proposant une vision du futur en opposition avec le classicisme quelque peu empesé de la couture à l'époque. Pierre Cardin simplifie, épure, joue la géométrie et multiplie les trouvailles en ajoutant des hublots, osant des découpes, intégrant plastique, vinyle… pour robes bulles, style cylindre… La mode des années 1960 augure d'un futur dont l'avènement, imaginé pour 2001, l'Odyssée de l'espace, n'arrivera pas. Mais le look cosmonaute dans la rue est en marche, les femmes osent les minijupes et optent pour un esprit géométrique.

Les créations «cosmocorps» de Pierre Cardin, mettant en vedette des minijupes, à Paris le 27 janvier 1968. | AFP

Pour obtenir ce qu'il souhaite inventer, Pierre Cardin travaille de nouvelles fibres, ainsi la cardine, un tissu synthétique en 3D obtenu par moulage. Il imagine son classique, une robe thermoformée; la cardinette est sur les podiums. Géométriques, ses vêtements s'approchent parfois, dans leur conception, d'un principe de sculpture. Pierre Cardin choisit des couleurs franches; ses modèles sont le plus souvent monochromes voire bichromes; les imprimés auraient sans doute juré face à l'épure géométrique.

Collection Pierre Cardin présentée à Paris le 11 mars 1968. | AFP

Les années 1960 de Pierre Cardin sont aussi celles de ses créations originales et mémorables pour la série Chapeau melon et bottes de cuir. Le couturier commence aussi à multiplier ce qui deviendra plus tard un empire de licences en créant des cravates ou encore une ligne éphémère de sport avec une collection d'imperméables.

Visionnaire sur le futur de la mode, Pierre Cardin démocratise, rend accessible les modèles avec le lancement du prêt-à-porter. À l'aube des années 1970, le paysage de la mode change définitivement, signant la fin de l'hégémonie de la couture et l'avènement d'une nouvelle ère.

Pierre Cardin et ses mannequins après son défilé printemps-été à Paris, le 28 janvier 1967. | AFP

De la griffe à la marque en passant par la culture

Tout en continuant sa mode et en demeurant fidèle à son style, Pierre Cardin parcourt le monde et compose ce qui deviendra un empire, multipliant les licences quitte à déposer son nom sur des produits parfois improbables et éloignés de la mode. Il a compris la puissance d'un nom connu et ce que cela pouvait générer comme retombées en notoriété et d'un point de vue économique.

Pierre Cardin s'intéresse aussi à la culture, il crée en 1970 l'Espace Cardin dans les murs de l'ancien Café des ambassadeurs, avenue Gabriel, dans le VIIIe arrondissement parisien. Il y multipliera expositions et spectacles jusqu'en 2016, l'année où la mairie de Paris lui retirera sa concession. On retiendra les premiers spectacles de Bob Wilson dont Le Regard du sourd mais aussi des concerts d'Alice Cooper ou Shirley Bassey.

Défilé Pierre Cardin sur la Grande Muraille de Chine, le 20 septembre 2018. | Fred DUFOUR / AFP

Infatigable, Pierre Cardin multiplie les défilés spectacles. En 1981 à Moscou sur la place Rouge, 200.000 spectateurs assisteront à l'événement.

S'il n'est allé en Chine qu'en 1978, Pierre Cardin s'est intéressé très tôt à ce pays et avait déjà proposé des vestes à col Mao et avait réussi à métamorphoser le look des Beatles en 1963 avec des costumes dans cet esprit.

Défilé Pierre Cardin en 2012 à Pékin, en Chine. | Mark Ralston / AFP

À plusieurs reprises, Pierre Cardin a présenté sa mode en Chine où il est très connu (il est un des premiers à avoir pressenti le potentiel du pays). Parmi les derniers défilés: dans le désert de Gobi en 2007, sur un porte-avions soviétique désarmé et situé dans le port de Tianjin en 2011 ou encore en 2018 sur la Grande Muraille.

En 2013 le couturier organise dans les murs de chez Maxim's, qu'il a racheté en 1981, et qu'il a aussi développé en «marque», son défilé Maxim's la Nuit dans un esprit très Cardin avec la part belle aux tenues de soirée. Il déclare, à l'époque: «Maxim's est à vendre moi aussi», entre la boutade et la réflexion sérieuse.

Pierre Cardin entouré de «Catherinettes» devant sa nouvelle boutique Maxim's à Paris, le 25 novembre 1977. | Pierre Guillaud / AFP

Nommé membre de l'Académie des Beaux-Arts à Paris où il est le seul représentant de la mode, il célébra à l'institut ses 70 ans de création en 2016 dans un émouvant défilé rétrospectif qui remettait en mémoire les audaces et l'originalité du couturier avec son sens de la géométrie et ses découpes futuristes.

Pierre Cardin a réussi pendant toutes ces décennies à conserver son empire et à le faire fructifier tout en vivant et en partageant sa passion pour la culture.

Parmi les acquisitions de Pierre Cardin, le Palais Bulles racheté en 1991, une incroyable architecture d'Antti Lovag à Théoule-sur-Mer complètement en phase avec l'esprit Cardin. Le château de Lacoste, connu comme le château du marquis de Sade, racheté par Pierre Cardin en 2001, est devenu un lieu de culture avec la création d'un festival de musique qui y a lieu chaque année.

Après avoir ouvert son propre musée –Passé-Présent-Futur à Saint-Ouen en 2006–, Pierre Cardin l'a finalement installé rue Saint-Merri en 2014 et l'on peut y voir et mesurer ce qu'il a apporté à la mode et au design avec l'exposition de ses nombreux meubles. Sur 1.000m2 une plongée dans le futur d'hier.

De Pierre Cardin demeure un style profondément ancré dans les années 1960 et leur vision d'une mode utopiste et futuriste. Mais subsiste surtout un empire aux multiples ramifications avec notamment un nombre de licences présentes dans plus d'une centaine de pays qui avoisinerait les 800 dans des registres très variés. Pierre Cardin a réussi pendant toutes ces décennies à conserver son empire et à le faire fructifier tout en vivant et en partageant sa passion pour la culture. Difficile d'imaginer le devenir d'un empire autant lié à un nom et à sa personnalité.

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