La retraite par répartition met en œuvre la solidarité intergénérationnelle: contrairement à la capitalisation qui procède par accumulation d’épargne, elle implique une redistribution aux retraités des cotisations versées par les actifs (salariés ou non salariés du secteur privé, fonctionnaires…). «Les cotisations d’aujourd’hui alimentent les retraites d’aujourd’hui», résume la Cnav (Caisse nationale d’assurance vieillesse). «L’équité intergénérationnelle passe par la garantie que chaque génération reçoit en moyenne sur sa durée de retraite ce qu’elle a cotisé», énonce le Conseil d’orientation des retraites (COR) dans son rapport de janvier 2010. Arithmétiquement, si la durée moyenne de la retraite augmente avec l’augmentation de l’espérance de vie, les taux de remplacement (rapport entre le montant de la retraite et le salaire de référence) baissent… sauf si l’âge de départ en retraite (âge de liquidation) est lui-même retardé. On peut aussi introduire une part plus ou moins importante de capitalisation pour compléter le système par répartition. Ou bien trouver de nouvelles sources de financement de la répartition, comme le réclament les syndicats. C’est tout l’enjeu des négociations engagées avant la réforme promise pour cette année.
Retraite et démographie
Lorsque la retraite par répartition a été redéfinie par l’ordonnance du 4 octobre 1945 (elle a en fait été introduite par le régime de Vichy en 1941 qui a ainsi pu mettre la main sur les avoirs des régimes de retraite par capitalisation), l’espérance de vie des retraités était plus basse que l’âge de la retraite. D’après l’Ined (Institut national des études démographiques), les hommes vivaient en moyenne 59,9 ans en 1946 et les femmes 65,2 ans, pour un âge légal de départ à la retraite de 65 ans. Et sur 42 millions de Français à l’époque, 11% avaient plus de 65 ans. Un demi-siècle plus tard, la situation a fortement évolué. Sur une population de 62,8 millions d’habitants en métropole et 1,8 million dans les départements d’outre-mer, on compte 17% de personne de plus de 65 ans et l’âge légal de la retraite a été abaissé à 60 ans. De sorte que le nombre de retraités vivant en France et à l’étranger est aujourd’hui de l’ordre de 15,5 millions de personnes, et augmente de 500.000 retraités chaque année, évalue le COR. L’espérance de vie pour les hommes (75,3 ans en 2000) devrait atteindre 83,8 ans en 2050, et passer pour les femmes de 82,8 à 89 ans.
Espérance de vie, baby-boom et licenciement des seniors
L’allongement de la durée de vie se conjugue au baby-boom qui se caractérise par un niveau élevé des naissances de 1946 à 1973 (environ 825.000 naissances par an) –les générations qui partent ou vont partir en retraite– alors qu’après 1973, le nombre des naissances –les générations d’actifs aujourd’hui- est redescendu (745.000 naissances par an en moyenne). D’après l’Insee, le rapport entre le nombre de personnes de 60 ans et plus et la population des 20-59 ans doit passer de 40% environ aujourd’hui à près de 55% en 2020 et 70% en 2050.
En outre, en France, le taux d’emploi des 60-64 ans est particulièrement faible: 13,4%, contre 28,1% en Allemagne, 42% au Royaume-Uni et 58% en Suède, selon des statistiques établies par le COR en 2007. Ainsi, non seulement la proportion des plus de 60 ans s’accroît, mais la part des seniors actifs au-delà de cet âge est peu élevée, ce qui augmente la proportion des retraités dès 60 ans. On doit se souvenir que l’âge moyen de cessation d’activité est de 59 ans aujourd’hui, selon l’OCDE, à cause des licenciements économiques et départs en préretraite, dispositions prises par les entreprises qui se séparent de leurs salariés les plus âgés. Les personnes ainsi licenciées sont prises en charge par les Assedic, qui les accompagnent jusqu’à ce qu’elles puissent prendre leur retraite à taux plein (c'est-à-dire toucher l’intégralité de leur pension).
Age légal et âge réel de départ en retraite
L’âge légal de départ en retraite pour les salariés et non-salariés du secteur privé est de 60 ans depuis 1982. Mais à cet âge, une personne ne peut prétendre à la liquidation de sa retraite à taux plein que dans certaines conditions. Jusqu’en 2008, un retraité du secteur privé devait avoir cotisé 40 années –soit 160 trimestres, au lieu de 150 jusqu’en 1994– pour toucher 100% de sa pension. Depuis cette date, la durée de cotisation augmente d’un trimestre par an: 161 trimestres pour les personnes nées en 1949 ayant atteint 60 ans en 2009, 162 trimestres en 2010, etc. Jusqu’en 2012 date à laquelle la durée de cotisation sera de 41 ans –soit 164 trimestres. Une personne qui, ayant atteint ou dépassé 60 ans, remplit les conditions requises pour prendre sa retraite, peut repousser l’âge du départ en retraite: elle bénéficie ainsi d’une surcote (de 3 à 5% par an) au-delà de la durée du taux plein. A l’inverse, les personnes n’ayant pas à leur actif la durée de cotisation requise voient leur pension amputée en fonction du nombre de trimestres manquants (décote de 1,5 à 2,5% par trimestre manquant). Ainsi, l’âge légal symbolique de départ en retraite dans le privé est-il très théorique pour les personnes entrées tardivement dans la vie active ou ayant connu des interruptions de carrière: pour les personnes qui ne sont pas poussées en dehors du marché du travail, c’est la capacité à profiter de l’intégralité de ses droits (au-delà de 60 ans) qui est déterminante pour le départ en retraite avant 65 ans.
Taux plein automatique à 65 ans, sauf régime spécial
A partir de 65 ans, toute personne peut profiter d’une retraite à taux plein quelle que soit sa durée de cotisation. «L’âge du taux plein est fixé à 65 ans pour les salariés et non salariés du secteur privé», insiste le COR dans son rapport de janvier 2010. En 2003, le gouvernement a engagé une profonde réforme des retraites, avec notamment l’alignement du régime de retraite des fonctionnaires sur celui des salariés du secteur privé, l’allongement de la durée de cotisation de l’ensemble des travailleurs (pour atteindre 41 ans en 2012). Et l’âge limite pour les assurés des régimes spéciaux, -dont les fonctionnaires- est de 55 ou 60 ans pour les catégories actives et 65 ans pour les sédentaires. Les personnes handicapées peuvent partir en retraite à 55 ans. Et les personnes ayant commencé à travailler à 16 ou 17 ans peuvent prétendre à une retraite à taux plein à partir de 56 ans. La pénibilité au travail est un des paramètres qui devrait être pris en compte dans l’avenir pour les départs en retraite anticipés dans la mesure où, pour deux personnes parvenues à l’âge de 35 ans, l'espérance de vie d’un ouvrier est inférieure de six ans à celle d’un cadre, selon une étude de l'Ined (en fait, un homme cadre de 35 ans peut espérer vivre encore 47 ans dont 34 ans indemne alors qu’un ouvrier de 35ans peut compter sur 41 ans supplémentaires, dont 24 ans sans incapacité). Notons que, depuis 2009, un employeur du privé ne peut obliger un salarié à prendre sa retraite avant 70 ans si le collaborateur ne peut bénéficier d’une retraite à taux plein. Au-delà, il peut l’y mettre d’office.
Vingt-et-un régimes de retraite
Le système d’assurance vieillesse français se caractérise par une multiplicité de régimes structurés en fonction de critères d’appartenance professionnelle. Il existe aujourd’hui en France 21 régimes de retraite de base: les régimes de salariés du privé (Cnav et MSA salariés) qui couvrent 70 % des actifs; les régimes de non-salariés (MSA non-salariés, RSI des artisans et des commerçants, CNAVPL), qui concernent 10% des actifs; les régimes spéciaux (fonction publique, et régimes d’entreprises comme la SNCF, le RATP, les industries électriques et gazières, etc.), qui couvrent 20% des actifs. Il existe par ailleurs des régimes de retraites complémentaires obligatoires: Agirc (retraite des cadres, créée en 1947), Arrco (retraite complémentaire), Ircantec, CRPNPAC, Ircec… Le montant de la retraite Cnav est calculé à partir du revenu moyen sur les 25 meilleures années dans le secteur privé, et l’ensemble des revenus pour les professionnels libéraux. Un salaire annuel moyen est établi sur la période. Une retraite liquidée à taux plein correspond à 50% du salaire annuel moyen, dans la limite du plafond de la Sécurité sociale (2.885 euros au 1er janvier 2010).
En revanche, pour les fonctionnaires et dans la plupart des régimes spéciaux, il n’y a pas de distinction entre pension de base et pension complémentaire. Le calcul de la pension se fait à partir du salaire des six derniers mois dans la fonction publique et la plupart des autres régimes spéciaux. Pour les salariés du secteur privé, la part des retraites complémentaires Agirc-Arrco (dont le montant varie selon le nombre de points acquis et la valeur du point réactualisée dans chaque cas) dans la retraite totale croît avec le niveau de salaire: de 36% pour un non-cadre ayant effectué une carrière complète, à 58% pour un cadre. La loi de 2003 a encouragé la constitution d’une épargne en vue de la retraite en complément des régimes de retraite obligatoires en répartition. À cet effet, des dispositifs nouveaux ont été créés: le plan d’épargne retraite populaire (Perp) et le plan d’épargne pour la retraite collectif (Perco). Il existe aussi des plans d’épargne d’entreprise utilisés comme compléments de retraite.
Un système devenu déficitaire en 2005
En 2005, les dépenses publiques en charges de retraite représentaient 12,4% du PIB (11,4% en Allemagne, 5,7% au Royaume-Uni, 6% aux Etats-Unis) contre 10,6% en 1990. Déficitaire depuis 2005 seulement, le régime général (Cnav) a affiché en 2008 un solde déficitaire de 5,6 milliards d’euros. Ensuite, ce déficit s’est creusé très fortement et devrait atteindre 10,7 milliards d’euros en 2010, soit un quasi doublement en deux ans. Au-delà de 2010 (sous réserve du retour à une croissance de 2,5 % par an à partir de 2011 et d’une croissance de la masse salariale de 5% par an), les perspectives font état d’une dégradation supplémentaire d’environ 1 milliard d’euros à 1,5 milliard par an du solde de la Cnav, dont le déficit atteindrait alors 14,5 milliards d’euros en 2013. Au-delà, le COR a fixé le besoin de financement du régime général et de celui des fonctionnaires à 43 milliards d'euros en 2020. L’allongement de l’espérance de vie après 60 ans prévu par l’Insee sur la période 2006-2050 contribue très fortement au creusement des déficits du système de retraite. En 2030 par exemple, l’effet des gains d’espérance de vie par rapport à 2006 sur le solde du système serait de l’ordre de 20 milliards d’euros, pour un déficit projeté d’un peu moins de 50 milliards.
Gilles Bridier
Photo: Un labyrinthe de glace au Saporo Snow Festival au Japon, le 5 février 2008. REUTERS/Yuriko Nakao