Président cherche soutiens intellos désespérément. Boudé par l'opinion, Nicolas Sarkozy est snobé par ceux qu'il s'est appliqué à courtiser au début de son mandat : les intellectuels. Historiens, chercheurs, philosophes... le chef de l'Etat s'est mis le gratin de l'université française à dos. Il est loin le temps où le philosophe André Glucksmann paradait aux premiers rangs des meetings UMP. C'était lors de la campagne électorale, quand le candidat Sarko séduisait à gauche avec ses promesses de rompre avec la politique étrangère à la papa.
Depuis quelques temps, les philosophes se font discrets et c'est Gilbert Montagné et David Douillet qui sont recrutés par le parti du Président. Un casting plus raccord avec la vraie nature de Nicolas Sarkozy. Le chef de l'Etat n'est pas un grand lecteur et la culture qu'il apprécie est celle de Johnny Hallyday et de Jean-Marie Bigard. Des goûts dont il ne tire aucun complexe et qu'il revendique au contraire haut et fort. «Oh, je ne suis pas un intellectuel! Je suis quelqu'un de concret», affirmait-il encore sur TF1 en juin 2007. Pour lui, les intellos sont des faiseurs, des beaux parleurs droits-de-l'hommiste scotchés à Saint-Germain-des-Prés et complètement déconnectés des vrais problèmes des Français. Dans la même veine, il se moquait de voir figurer «La Princesse de Clèves» au programme d'un concours administratif.
Mais voilà, Nicolas Sarkozy a un péché: il adore séduire et ne supporte pas qu'on lui résiste. Il a donc tout fait pour s'attirer les bonnes grâces de ses ennemis naturels. A peine arrivé à l'Elysée, il a demandé à sa conseillère Catherine Pégard de lui organiser des déjeuners d'intellos comme le font tous les présidents depuis Pompidou. Les académiciens Pierre Nora et Jean-Marie Rouart, le patron de la revue «Le Débat» Marcel Gauchet, l'historien Max Gallo ou les philosophes Luc Ferry et Pascal Bruckner ont ainsi eu l'honneur d'être invités à la table présidentielle. Lors de ces agapes, le chef de l'Etat teste ses idées et fait le service après vente de ses réformes. Convaincre même ceux qui lui sont apparemment hostiles est l'un des grands plaisirs de Nicolas Sarkozy. Si tous ceux qui sont conviés à déjeuner répondent positivement à l'invitation, ils n'en ressortent pas forcément convertis. Au contraire.
Car le divorce semble bel et bien consommé entre Sarko et les intellos. «C'est un one-man-show amusant à observer mais c'est tout», note un convive d'un jour. D'emblée, il s'est aliéné les historiens avec sa récupération lourdingue du jeune résistant communiste Guy Moquet puis avec sa proposition de faire porter à chaque écolier la mémoire d'un enfant de la Shoah. Une idée jugée «incongrue» par l'historien Henry Rousso, «scandaleuse à tous égards» par son collègue Jean-pierre Azéma, «dangereuse» pour le philosophe Pascal Bruckner. Il a ensuite déçu ses rares soutiens parmi les intellos néo-conservateurs qui avaient apprécié ses déclarations de campagne de politique étrangère. Nicolas Sarkozy s'indignait alors qu'on puisse serrer la main de Vladimir Poutine et prônait la fin de la Françafrique. Une fois au pouvoir, il a vite oublié ses promesses : accueil princier à Khadafi, courbettes aux dirigeants chinois, coup de téléphone de félicitation à Poutine pour sa victoire électorale aux législatives, le bras de fer avec les dictateurs n'est plus de mise. Même André Glucksmann admet qu'il a été choqué: « je ne comprends pas Nicolas Sarkozy», a-t-il confié au Corriere della Serra à propos des relations Sarkozy-Poutine.
Coup de grâce enfin avec les réformes concernant l'Education nationale. Le Président est devenu la cible des critiques du monde enseignant et des chercheurs, y compris les plus modérés. Pensant trouver un allié en la personne du généticien Axel Kahn qui avait co-signé une tribune dans le Monde pour défendre certains points de la réforme des universités, il s'est félicité de son soutien début février. Mal lui en a pris: furieux d'être instrumentalisé de la sorte, le président de l'université Paris 5 s'est précipité sur Europe 1 pour demander à Sarko de suspendre sa réforme.
Pour tenter de renouer avec cette communauté, ce dernier organise depuis quelques semaines un autre type de déjeuners. Désormais, il ne convie plus à sa table des sommités du monde enseignant mais accueille des chercheurs lambda. Mercredi dernier, il a ainsi reçu une dizaine de scientifiques élus cette année membres juniors de l'Institut Universitaire de France ou lauréat des bourses du conseil européen de la Science. Une nouvelle tactique pour contourner les mandarins et les leaders syndicaux qu'il soupçonne de mener la fronde contre lui.
A l'Elysée, on m'assure que « les liens ne sont pas rompus avec les intellectuels». Peut-être pas complètement rompus mais bien tendus en tous cas.
Ariane Istrati
Image de une: Devant la Sorbonne, en février, l'acteur Louis Garrel lit «La Princesse de Cleves», dont le chef de l'Etat s'est moqué. Benoit Tessier REUTERS.