Société

Doit-on craindre une vague de suicides à Noël?

Temps de lecture : 5 min

Fêtes de fin d'année et épidémie de Covid-19 pourraient laisser présager une hausse des suicides. Or les spécialistes mettent en garde contre ces prophéties dangereuses et invitent à la solidarité.

En ces fêtes de fin d'année, la solidarité doit plus que jamais primer. | Patryk Sobczak via Unsplash
En ces fêtes de fin d'année, la solidarité doit plus que jamais primer. | Patryk Sobczak via Unsplash

Avertissement: une cellule nationale de soutien psychologique Covid-19 offre de l'aide pour la population générale en détresse psychologique pendant l'épidémie et le confinement, au 0 800 130 000 (numéro vert, 24h/24, 7j/7). En cas de grande détresse psycho-sociale (crise d'anxiété, idées suicidaires…), appelez le 15.

De La vie est belle de Capra où le protagoniste George Bailey a l'intention de se donner la mort à Noël, au Père Noël est une ordure avec son «SOS Détresse Amitié» et ses appels de suicidants, la culture populaire a construit le mythe d'une hausse des suicides lors des fêtes de fin d'année. Or si cette période peut être un moment de détresse pour une catégorie de personnes fragilisées, elle peut, au contraire, permettre à d'autres de renouer du lien, retrouver du sens et apaiser leurs idées suicidaires.

Et les chiffres tendent à montrer que le «holiday syndrome» relève de la fake news relayée chaque année par les médias et qu'il n'y a pas d'augmentation du nombre de morts par suicide à Noël.

«Il y a chaque année environ 9.000 morts par suicide en France, explique Pierre Thomas, professeur des universités-praticien hospitalier de psychiatrie à l'université de Lille, chef du pôle de psychiatrie, médecine légale et médecine pénitentiaire du CHU de Lille. Contrairement à ce que l'on peut penser, on note plutôt des variations à la hausse au changement de saison et tout particulièrement en novembre. Noël est certes une période qui peut exacerber le risque de crise suicidaire chez certains, mais il peut aussi être favorable à d'autres.»

En outre, ce n'est pas parce que la période des fêtes peut être un passage difficile à négocier que l'idée du suicide sera plus présente dans notre tête à cette époque de l'année.

Une baisse depuis le premier confinement

Continuer de répandre le mythe pourrait même avoir des conséquences particulièrement délétères et contribuer à créer ce que l'on appelle un «effet Werther», qui correspond à un phénomène de contagion par imitation. Cela n'aide pas les personnes ayant des pensées suicidaires de répéter que Noël est une période où les personnes partageant ce type de pensées passent à l'acte.

«Même au Japon, où les chiffres habituels sont généralement très élevés, on a noté une baisse de 20%.»
Pr Pierre Thomas

Si cette année, Noël va prendre une coloration particulière avec l'épidémie de Covid-19 et les précautions sanitaires auxquelles elle oblige, il est vain et potentiellement mortifère de se prendre au jeu des pronostics et de répandre un discours anxiogène.

«À quinze jours de Noël, je vois que certains de mes patients sont soulagés par le fait qu'ils n'auront pas à subir la pression des fêtes et l'obligation de se soumettre aux rituels familiaux», remarque le Dr Jean-Victor Blanc, médecin psychiatre à l'hôpital Saint-Antoine à Paris.

En outre, l'épidémie et les épisodes de confinement ont suscité quelques surprises chez les professionnels de la santé mentale. «De manière contre-intuitive, il y a eu mondialement une baisse relative des suicides depuis le premier confinement. Même au Japon, où les chiffres habituels sont généralement très élevés, on a noté une baisse de 20%. Dès lors, on ne peut absolument pas présager de l'avenir, signale le professeur Thomas. Cela pourrait s'expliquer par une sorte d'effet de sidération qui s'observe habituellement pendant les conflits, les guerres ou après un attentat, mais on ne peut pas généraliser.»

Le contexte actuel a poussé certaines personnes à davantage aider les autres. | Kristina Tripkovic via Unsplash

Si l'on ne saurait nier le fait que la crise sanitaire engendre une détresse et qu'elle accroît un certain nombre de facteurs de risque tels que l'isolement, les difficultés financières, les phénomènes d'addiction, l'anxiété et la dépression, il faut aussi envisager notre capacité de résilience et de réinvention du lien social, facteur essentiel dans la prévention du passage à l'acte.

«Durant cette période, nous avons collectivement fait très attention aux plus fragiles, aux plus jeunes, aux étudiants, aux seniors, remarque le professeur Thomas. Aujourd'hui, nous connaissons encore mal comment les choses se réorganisent autour du confinement, comment nous entretenons les liens ou comment nous en créons de nouveaux avec le voisinage, les professionnels de santé ou encore via les réseaux sociaux et les différents outils numériques.»

Il est ainsi fort possible que ces périodes de détresse collective aient été particulièrement propices au «care», conduisant certaines personnes naturellement aidantes à apporter un soutien aux personnes plus fragiles et à les orienter vers une aide médicale et psychologique.

En parler ou ne pas en parler?

Enfin, il est impossible de réduire les causes de la crise suicidaire à un seul facteur. Ainsi, il est erroné d'établir un rapport de causalité direct entre «fêtes de Noël en période de Covid» et suicide. Reste que le mieux est de réagir plutôt que d'attendre les chiffres. Et chacun de nous peut se mobiliser pour agir sur les différents facteurs connus de tentative de suicide: isolement, rupture du lien social et du lien avec le système de soins.

«Il faut bien prendre conscience que ce qui amène à envisager le suicide est une souffrance intense et une incapacité à soulager cette souffrance, explique le professeur Thomas. L'idée du suicide s'invite doucement dans l'esprit de la personne comme une solution possible. Cette idée est d'abord gênante, honteuse, puis elle devient familière et s'impose progressivement. C'est un cercle vicieux qui se crée et qui coupe le lien avec les autres.»

«Il faut au contraire en parler afin de trouver des alternatives.»
Pr Pierre Thomas

Ce cercle vicieux est renforcé par le mythe selon lequel parler du suicide provoquerait le passage à l'acte. «C'est faux, affirme le professeur Thomas. L'idée germe déjà dans l'esprit de la personne. Il faut au contraire en parler afin de trouver des alternatives plutôt que de la laisser ruminer et s'isoler encore davantage.»

Concrètement, il s'agit de prendre de ses nouvelles, de discuter, de rompre l'isolement de quelque manière que ce soit, de construire un réseau d'entraide autour de la personne, de la maintenir dans le monde. Mais on ne saurait se substituer aux spécialistes: il faut savoir orienter la personne qui aurait des pensées suicidaires vers le système de soins de proximité, médecin généraliste, infirmier, pharmacien, centre médico-psychologique (CMP)…

Les réseaux à la rescousse?

En cette période de pandémie où les contacts sont limités et les possibilités de réunion réduites, le potentiel des réseaux sociaux en matière de prévention du suicide peut être une piste intéressante. Comme l'explique le Dr Charles-Édouard Notredame, psychiatre de l'enfant et de l'adolescent au CHU de Lille:

«Si les réseaux sociaux peuvent créer des phénomènes de fragilisation voire même des “suicidocosmes, ils peuvent aussi être des lieux de soutien collectif entre des personnes regroupées en communauté ou par centres d'intérêt. On remarque que lorsque quelqu'un écrit des posts inquiétants sur les réseaux sociaux, il suscite souvent un certain nombre de réactions bienveillantes véhiculant des messages d'entraide.»

En outre, on sait que dans la semaine qui précède une tentative de suicide, la personne poste beaucoup sur les réseaux sociaux. Contrairement aux idées reçues, il ne s'agit pas d'appels au secours non suivis d'effets: ces messages sont à prendre au sérieux. Les réseaux sociaux vont en effet démultiplier le nombre d'oreilles et d'yeux qui vont recevoir ces messages, pouvant ainsi potentiellement nourrir un cercle vertueux.

«Durant cette période inédite où le rituel social de Noël sera au moins en partie compromis, il existe des possibilités de se réinventer, de s'adapter, d'aider les personnes les plus vulnérables et les plus touchées. La solidarité doit jouer au maximum», invite le Dr Notredame.

À Noël, nous pouvons tous devenir de petits elfes nourrissant le cercle vertueux de la prévention.

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