La question politique du moment est celle de savoir si Nicolas Sarkozy a pris le bon chemin pour rétablir une confiance dans le pays qui fait cruellement défaut.
Force est de constater qu'aujourd'hui la perplexité domine. On le sait, on l'avait mesuré: il y a un mécontentement dans le pays, alimenté par un fort sentiment d'injustice. Le risque, dans un tel contexte, est celui d'un mouvement de colère. Fort heureusement, il y a eu des élections: les Français ont dit au président ce qu'ils avaient à lui dire; ils attendent maintenant les réponses à leurs interpellations.
Pas un jour sans offensive
Normalement, la réponse, pourvu qu'elle soit bien calibrée, produit de l'oxygène; et l'oxygène permet de rebondir. Or, au lieu du calme qui aurait dû suivre la séquence élections (messages du pays, réponse du pouvoir), s'installe, alimentée depuis les rangs de la majorité, une atmosphère qui évoque plus la fin d'un second mandat, comme on en a connu d'autres, qu'une remise en mouvement en vue d'une reconquête.
Ainsi, il n'y a pas de jour qui passe sans nouvelle offensive: après Dominique de Villepin, c'est Alain Juppé qui se découvre; tandis que Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale, dénonce la «confusion» entretenue, selon lui, par Jean-François Copé, le président du groupe UMP. Alain Juppé prépare ouvertement une alternative à droite dès 2012, quand Jean-François Copé mise plutôt sur 2017. Mais ce qui domine, c'est l'idée que Nicolas Sarkozy n'est plus tout à fait le candidat légitime de la droite.
Parce qu'une partie de l'électorat de droite est parfaitement désorientée. En partie, parce que la réponse présidentielle n'est pas encore immédiatement perceptible. Et Nicolas Sarkozy a ajouté le risque à la difficulté.
La difficulté est de répondre à une attente de résultat: sur l'emploi, mais il faut attendre que la situation se redresse; sur la sécurité, mais c'est une affaire de terrain, plus qu'une affaire de loi; sur l'injustice, où l'on entrevoit que la réponse viendra, par petites touches, et sans être ouvertement affichée. C'est l'idée d'un prélèvement sur les plus hauts revenus à l'occasion de la réforme des retraites.
Un exercice du pouvoir problématique
Le risque, le voici: dans le verdict des urnes, il y avait, venue de la droite, une critique du mode d'exercice de la fonction présidentielle. Or, il y répond par la réaffirmation de sa conception de la fonction présidentielle. Il ne change pas. Ou plutôt, s'il change, il changera au moment où il le décidera lui-même. Et donc, il réaffirme son autorité, ce qui est normal, mais il y ajoute une nouvelle concentration de l'autorité. Alors qu'il aurait besoin d'une sorte de substitut à la cohabitation, qu'il pourrait trouver dans la mise en avant du gouvernement, et des rouages classiques de la vie politique, il prend, au contraire, le risque de continuer à vouloir tout porter lui-même; et remise de nouveau dans l'ombre son Premier ministre, dont il laisse entendre qu'il ne le sera plus après la réforme des retraites.
C'est dans ce contexte qu'a éclaté une polémique autour des rumeurs sur la vie du couple Nicolas Sarkozy/Carla Bruni. C'est la deuxième fois que Nicolas Sarkozy est victime, et que la situation se retourne contre lui. La première fois, c'était l'affaire Clearstream, où il est, objectivement, la victime, mais pas aux yeux de l'opinion. Cette fois, il est la cible, et pourtant les choses se retournent.
Passons sur le rôle de Pierre Charon, qui est désormais, selon le Figaro, placardisé: en voulant mettre cette rumeur sur la place publique pour la tuer, il a abouti, au contraire, à la ressusciter et à l'aggraver. «Il faut que la peur change de camp», avait-il déclaré, avec «l'emportement de l'amitié», comme l'a dit Carla Bruni-Sarkozy.
Au-delà de l'anecdote, il y a un vrai problème de filtre autour du président, et dans la façon dont fonctionnement ses conseillers. Les seules paroles raisonnables à mes yeux, sont venues de son épouse qui, au fond, a fait une leçon sur le thème: on ne doit pas surréagir à ce genre de choses.
Mais les conseillers posent problème: il n'y a pas, auprès du président, quelqu'un qui sache calmer le jeu, attendre que l'orage passe et fasse entendre une parole plus apaisante; plutôt que de représenter, ex abrupto, les paroles présidentielles dites dans des moments de colère. Et quand Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée, excommunie puis redonne droit de cité à Rachida Dati, il donne crédit lui-même à l'idée qu'il y a une cour et des intrigues au sein de celle-ci. Claude Guéant, dont le rôle et la puissance sont aujourd'hui, pour le moins, de nature à entretenir la «confusion» institutionnelle que dénonce Bernard Accoyer. Il n'est jamais bon que le président laisse trop de pouvoir à celui ou ceux qui se réclament de lui.
Il est vrai qu'il n'y a pas pire difficulté que celle de réagir à la rumeur. Parce que les attaques les plus vicieuses, les plus pernicieuses, et souvent dangereuses sont opérées de cette façon. Et il y a aussi une part qui vient de l'appétit de la société elle-même: souvent, dans les périodes de crise, la tentation est de ramener les luttes de pouvoir à des batailles de personnes; elle est de gommer la complexité d'une situation en concentrant le tir sur les dirigeants, les vies et les vices qu'on leur prête, qui traduisent aussi, dans certains secteurs de la société, une aspiration à la violence.
Et c'est malheureusement une tradition française que l'on appelait «les libelles». L'historien américain Robert Darnton nous renseigne sur «l'art de la calomnie en France». Une lecture urgente: cela s'appelle Le diable dans le bénitier (Gallimard).
Jean-Marie Colombani
Photo: REUTERS/Oliver Laban-Mattei/Pool