Les relations sino-américaines connaissent des hauts et des bas à une fréquence telle qu'on passe en quelques semaines d'une apparence de duo gérant le monde à l'impression d'une nouvelle guerre froide. Ces deux sentiments sont aussi excessifs l'un que l'autre. La vérité des rapports entre Pékin et Washington se situe sur une ligne de crête, où chacun des protagonistes essaie de définir une nouvelle donne entre deux puissances qui partagent des intérêts communs et sont en même temps séparées par des divergences apparemment irréconciliables.
Le début de l'année a été dominé par les tensions. La liste en est longue et variée. Il y a eu les ventes d'armes américaines à Taïwan, un exercice obligé pour tout président américain mis sous pression par le Congrès. Cette fois la protestation chinoise a dépassé la routine. D'une part parce que Pékin disait s'attendre à une autre attitude de la part de Barack Obama, surtout après son voyage en Chine à l'automne dernier; d'autre part, parce que les Chinois se sentent en position de force, à cause de la crise économique et surtout de la manière dont ils pensent l'avoir surmontée.
Les sujets qui fâchent
Puis il y a eu la visite du dalaï-lama à la Maison Blanche. Mêmes causes, mêmes effets. Les ventes d'armes à Taïwan comme la réception du chef religieux tibétain sont vues à Pékin comme un encouragement à attenter à l'intégrité territoriale du pays. Les Chinois le répètent à l'envi, ce sont deux lignes rouges que leurs interlocuteurs ne doivent pas franchir, sous peine de se brouiller avec eux.
Le «départ» de Google de Chine, annoncé en janvier, mis en pratique en mars, n'a rien arrangé. Toutefois après avoir tenté de transformer Google en parangon de défense des droits de l'homme, les Américains se sont gardés de politiser la question. Et les Chinois ont été trop contents de faire de même, ramenant l'affaire à une lubie d'entrepreneur.
Il n'en était pas de même toutefois d'un autre geste, d'autant plus menaçant qu'il allait ravaler les Chinois au rang de mauvais joueurs et de tricheurs: le département américain du Trésor s'apprêtait à transmettre au Congrès un rapport dans lequel Pékin aurait été accusé de «manipuler» sa monnaie, autrement dit de maintenir artificiellement le yuan à une valeur faible qui favorise les exportations chinoises et pénalise les entreprises américaines. Ce rapport faisait partie des pressions que Washington applique régulièrement sur la direction chinoise pour qu'elle réévalue sa monnaie.
La présence du président chinois Hu Jintao au sommet sur la sécurité nucléaire organisé dans la capitale américaine par Barack Obama montre que ni la Chine ni les Etats-Unis n'avaient intérêt à laisser monter les enchères. Les experts chinois ne cachent pas que cette participation n'allait pas de soi et qu'elle a donné lieu à un vif débat au sein de la direction. L'essentiel pour Pékin est qu'elle ne soit pas interprétée comme un signe de faiblesse, par l'opinion intérieure et par les interlocuteurs étrangers. Pour ce faire, les médias chinois ont insisté sur deux gestes accomplis par les Américains. D'abord, Barack Obama a profité de la présentation des lettres de créances du nouvel ambassadeur chinois aux Etats-Unis puis d'une conversation téléphonique avec Hu Jintao pour rappeler l'attachement de son pays à la politique dite «d'une seule Chine». Autrement dit les Etats-Unis ne soutiennent ni l'indépendance de Taïwan, ni celle du Tibet. Ensuite, le secrétaire d'Etat au Trésor, Timothy Geithner, qui a fait une visite éclair à Pékin, a opportunément «ajourné» la présentation du rapport monétaire contesté.
Une puissance en devenir
Mais les Chinois n'ont pas été en reste. S'ils n'ont encore rien cédé sur le fond, ils ont assoupli les formes. Tout en énumérant les nombreux arguments militant contre une hausse du yuan, ils laissent entendre qu'ils pourraient en élargir les marges de fluctuation, ce qui équivaudrait à une réévaluation en douceur. De même, Pékin continue de se déclarer opposé à un renforcement des sanctions contre l'Iran. Ce qui n'empêche pas les diplomates chinois de participer aux discussions du groupe dit P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU - Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie - plus l'Allemagne) qui négocie justement de nouvelles mesures contre le programme nucléaire de Téhéran.
Les responsables chinois répètent que les divergences fondamentales avec les Etats-Unis (Taïwan, Tibet, droits de l'homme, etc.) et les désaccords ponctuels (Iran, Corée du Nord) ne doivent pas interdire aux deux pays de coopérer sur les grands dossiers internationaux (climat, crise économique, terrorisme, prolifération nucléaire). Dans cette coopération, la Chine trouve la preuve de son statut de grande puissance en devenir. Toutefois, et c'est ce qui souligne la difficulté de l'exercice, elle veut le faire de plus en plus à partir d'une position de force. Elle est de plus en plus sûre d'en avoir les moyens. La crise économique mondiale partie des Etats-Unis et la sortie de crise à laquelle les Chinois sont convaincus d'avoir apporté une contribution majeure les ont renforcés dans leurs certitudes.
Daniel Vernet
Photo: un funambule en octobre 2008 dans la province du Hunan en Chine. REUTERS
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