Ce qui est intéressant avec le développement du télétravail depuis le premier confinement, c'est qu'il soulève des thématiques bien plus profondes qu'il n'y paraît sur la vie professionnelle.
Éviter de se cantonner à une analyse techniciste ou générationnelle
Ainsi, les premières questions abordées lors du confinement du printemps se focalisaient sur les outils informatiques. Question nécessaire, mais insuffisante. Ce n'est pas parce que l'on est équipé que l'organisation suivra.
Puis sont venus les éternels préjugés générationnels. Curieusement, survit encore en France l'idée que le télétravail serait une demande des «jeunes». Aux plus âgés reviendraient les travaux rédigés sur papier avec modifications au Tipp-Ex. Aux plus jeunes, la capacité de jongler avec des technologies aussi récentes qu'internet ou l'ordinateur (démocratisés dans les foyers aux alentours de 1995, ne l'oublions pas). Alors une bonne fois pour toutes: la fracture numérique est sociale et non générationnelle! Et essayez de parler du bien-fondé du télétravail à une personne de 25 ans qui vit seule dans 20 mètres carrés.
Désormais, émergent enfin des questions plus fondamentales sur l'organisation, les échanges, le lien social et, n'ayons pas peur de l'avouer, le plaisir que l'on peut ressentir au travail en compagnie des autres.
Nous percevons que ces questions sont essentielles et ne pourront être éludées. Elles soulèvent d'abord celle des modalités de management (comment impliquer, motiver, organiser?). Puis, celle du sens que l'on attribue au travail (simple respect d'un contrat de travail ou engagement véritable?). Enfin, celle des contraintes avec lesquelles nous devons composer (notamment concernant l'arbitrage vie personnelle et professionnelle).
L'analyse des perceptions des actifs sur le télétravail révèle la nécessité de développer des réponses hétérogènes plus que des process rigides
Afin de mieux comprendre ces différentes dimensions, le cabinet D'Alverny Avocats et Viavoice se sont associés pour interroger des actifs. Il ressort de cette étude[1] que les répondants ne jugent pas de manière homogène les différentes facettes du télétravail.
Un premier arbitrage avec lequel il convient de composer est celui du confort personnel vs l'efficacité du travail.
Sur ce point, une majorité d'actifs (67%) estime que le télétravail permet plus de confort personnel que le travail au bureau. Mais parallèlement, une proportion équivalente (64%) estime que le bureau est mieux adapté pour éviter les erreurs professionnelles.
De plus, rien ne semble remplacer le présentiel pour la communication, puisque 81% des interviewés déclarent que le bureau est mieux adapté pour les échanges entre collègues.
Enfin, sur le fait de faciliter l'organisation entre vie personnelle et vie professionnelle, il convient de rappeler que tout le monde n'a pas les mêmes contraintes dans les foyers. Si une majorité (62%) des actifs estime que le télétravail facilite cette organisation, l'écart entre les hommes et les femmes est de 15 points! Est-il utile de préciser que ce sont les femmes qui estiment que le télétravail facilite cette organisation? Au-delà des statistiques, l'expérience personnelle montre qu'il y a encore bien plus de femmes que d'hommes à la sortie des écoles et dans les supermarchés à l'heure où l'on sonne l'heure de l'apéro dans les bureaux.
Des situations très hétérogènes aussi sur le plan juridique
Il convient aussi d'avoir en tête que sur un plan strictement juridique, les situations sont très variées au niveau des secteurs professionnels, économiques et selon les statuts des salariés. Ainsi, chaque catégorie de salariés se heurte à des difficultés qui lui sont propres (manager, communiquer, vérifier la qualité, etc.).
L'ensemble de ces problèmes complexes demande un important travail de refonte générale des règles actuelles afin de répondre à une situation qui devrait se pérenniser.
Bref, nous n'avons pas fini de parler du télétravail. C'est une opportunité pour faciliter certains aspects pratiques. C'est un risque pour les échanges professionnels et le plaisir du contact au quotidien. Mais ce sera aussi un danger si on génère des règles homogènes et rigides, sans tenir compte de l'extrême diversité des situations. Il serait dommage de faire au télétravail ce que l'on a fait aux 35 heures: une opportunité de faciliter la vie des gens et de fluidifier l'organisation des entreprises, devenue source de désorganisations majeures.
Le véritable défi aujourd'hui consiste à trouver le bon équilibre entre les aspirations individuelles et les nécessités collectives. Et il s'agit, ni plus ni moins, d'une révolution sociétale.
1 — Étude Viavoice – D'Alverny Avocats réalisée en ligne du 25 au 29 septembre 2020, auprès de 540 personnes concernées par le «télétravail et/ou le travail en bureau» extraites d'un échantillon de 1.002 personnes, représentatif de la population âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine. Représentativité assurée par la méthode des quotas appliquée aux critères suivants: sexe, âge, profession, département et catégorie d'agglomération. Retourner à l'article