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Manger des huîtres ne fait pas de mal (même pas aux huîtres)

Temps de lecture : 6 min

Pourquoi même les plus stricts végétaliens devraient sans sourciller manger des tonnes d'huîtres.

Oysters / Phil Roeder via Flickr CC License By
Oysters / Phil Roeder via Flickr CC License By

L'été dernier, je me suis rendu chez un ami à San Francisco que je n'avais pas vu depuis longtemps. En général, dans ce genre de cas, je rappelle gentiment à mon hôte que je ne mange ni produits laitiers, ni œufs, mais mon ami m'a pour le coup bluffé: «Je me rappelle que tu es végétalien, m'a-t-il écrit, de ceux qui apprécient les huîtres fines.» Enfin quelqu'un qui me comprend. Le séjour s'est terminé sans un accroc –je me suis jeté sur de fantastiques bivalves Point Reyes pour agrémenter ma salade verte, et l'amitié et la courtoisie en sont sorties grandies.

Puisque je mange des huîtres, je ne devrais pas me dire végétalien. Je ne suis même pas un végétarien. Je suis un pesco-végétarien, ou un flexitarien, ou peut-être existe-t-il encore un autre mot bizarre pour décrire mon régime alimentaire. Au départ, je désespérais d'avoir perdu l'insigne honneur du végétalianisme -–je fais tout ce que font les végétaliens par ailleurs– et puis ça m'est passé. Les huîtres sont peut-être des animaux, mais même le plus strict des puristes devrait en engloutir des tonnes sans sourciller.

Avec ou sans douleur

Il y a des douzaines des raisons de devenir végétalien, mais deux devraient suffire. Élever des animaux pour les manger 1) détruit la planète 2) fait souffrir ces animaux. Les fermes industrielles sont les plus fautives, mais même les meilleurs élevages ne peuvent démentir le fait que les animaux de boucherie sont les plus importants responsables du réchauffement climatique mondial et que la même parcelle de terre nécessaire pour nourrir un seul mangeur de bœuf satisfera 15 ou 20 végétaliens. Les animaux sont, en termes d'efficience écologique, de très piètres transformateurs de plantes en nourriture, à un niveau tel qu'il en devient désastreux. L'argument du bien-être animal est encore plus limpide: même si les animaux humains ont des manières infinies de se distinguer des non-humains, ce que nous partageons le plus est notre capacité à ressentir la douleur. Comme je pense qu'il est contraire à l'éthique de vous causer, cher lecteur, une souffrance arbitraire, il n'y aucune raison –sinon la simple préférence pour ma propre espèce– d'avoir une norme distincte pour les mammifères, les poissons et les oiseaux.

Et si nous pouvions trouver un animal qui prospère dans sa cage d'élevage, qui se nourrit de nutriments piochés dans l'air ambiant, et qui est insensible à la lame du bourreau? Même si cet animal avait l'allure d'un bébé lapin croisé avec un chiot, il serait tout à fait convenable de le dépecer pour le mettre dans votre assiette. Heureusement pour ceux qui ne se sont pas encore remis de la mort de la maman de Bambi, la créature à laquelle je pense est nettement moins adorable. Biologiquement parlant, les huîtres n'appartiennent pas au règne végétal, mais en termes d'éthique alimentaire, elles sont quasi semblables à des plantes. Les fermes ostréicoles représentent 95% de la consommation totale d'huîtres et ont un impact négatif minimal sur leurs écosystèmes; il existe même des projets non-lucratifs destinés à une ostréiculture qui améliorait la qualité de l'eau. Puisqu'il y a tant d'huîtres d'élevage, il n'y a aucun risque de surpêche. Aucune forêt n'est détruite à cause des huîtres, elles n'ont besoin d'aucun engrais, et aucune céréale ne sera gâchée pour les nourrir –leur régime alimentaire se compose de plancton, qui est le bout du bout de la chaîne alimentaire. L'ostréiculture évite aussi tous les effets négatifs de l'agriculture: aucune abeille n'est requise pour polliniser les huîtres, pas besoin de pesticide pour tuer d'autres insectes et, la plupart du temps, les ostréiculteurs les récoltent sans dommage collatéral tuant accidentellement d'autres animaux. (En comparaison, même s'il est possible de collecter des huîtres sauvages de façon durable, la même chose ne peut s'appliquer à d'autres bivalves comme les clams ou les moules. Il s'agit souvent dans ce cas de dragage des fonds marins, perturbant tout un écosystème. Ainsi, est-il préférable de les éviter.)

De plus, étant donné que les huîtres n'ont pas de système nerveux central, il est très peu probable qu'elles ressentent une souffrance comparable à la nôtre –à la différence d'un porc, d'un hareng, ou même d'un homard. Elles ne peuvent se déplacer, et ne répondent donc pas non plus à la douleur de la même façon que le font les animaux. Même un puriste aussi ascétique que Peter Singer a critiqué la consommation d'huîtres dans La Libération Animale –la meilleure plaidoirie en faveur d'un régime végétalien que j'aie pu lire– avant de revenir sur sa position dans les éditions les plus récentes du livre. Pour justifier sa volte-face, il écrit que «personne ne peut en toute certitude dire que ces animaux ressentent de la douleur, et personne ne peut dire en toute certitude qu'ils ne la ressentent pas». Ce qui est loin d'être convaincant: on ne peut pas non plus dire en toute certitude que les plantes ressentent, ou non, de la douleur –et pourtant Singer ne s'est jamais opposé à l'abus d'alfafa.

L'argument principal de La Libération Animale est que la discrimination envers les animaux non-humains ne peut se défendre car elle repose sur des catégories non pertinentes –la douleur saute les barrières d'espèces. Mais inclure les huîtres dans ce tabou alimentaire tout simplement parce que nous les avons étiquetées comme des animaux revient aussi à faire une fausse distinction. De même, on ne devrait pas manger plus de plantes parce qu'elles appartiennent au règne végétal; nous devons les manger parce que c'est un bon moyen de nous nourrir sans causer trop de tort à la planète. Et les huîtres, en l'état actuel de nos connaissances, ressemblent aux plantes d'une manière éthique quasiment parfaite.

Comment manger éthique

Quand je suis devenu végétalien, je n'ai pas marqué d'une croix tous les «animalia» de l'arbre de la vie. Et quand je me prépare à dîner, je ne me demande pas: que dois-je faire pour rester végétalien? Je me demande: quel est le choix le plus juste dans cette situation? Manger de manière éthique n'est pas un concours pour savoir qui pissera le plus clair, et plus les végétariens ou les végétaliens se comporteront de la sorte, plus leur régime alimentaire ressemblera à un effet de mode –et risquera donc d'être discrédité comme tel. Emerson écrivait: «La cohérence imbécile est le spectre des petits esprits.» Une cohérence imbécile: si vous décidez d'abandonner tous les aliments qui commencent par la lettre B, et si vous vous y tenez toute votre vie, vous serez puissamment cohérent. Et vous avantagerez même la planète en oubliant le bœuf. Mais il n'y a pas besoin d'éviter les brocolis –à moins que, comme George Bush père, vous n'en aimiez pas le goût. Il y a, au contraire, une bonne raison d'être un végétalien incohérent et de faire une exception pour les huîtres –car il est sûrement imbécile de vous priver d'un plateau bien frais de Watch Hills à la coquille claire.

Quand j'ai parlé de cet article à mon éditrice de Slate, elle m'a dit: «Je ne vais pas te mentir –tu vas être violemment attaqué pour être un végétalien, et tout aussi violemment pour ne pas suivre un régime végétalien assez strict.» Peut-être, mais si au milieu d'une mer de vitriol un mangeur de viande m'explique judicieusement pourquoi les autres animaux doivent être traités comme je traite les huîtres, ou si un végétalien arrive avec un bon argument pour que les huîtres restent en dehors de nos assiettes, alors je devrais changer d'avis et de régime alimentaire.

Peter Singer, quant à lui, a fait preuve de plus de flexibilité quand je lui ai envoyé un mail à ce propos. «Ce sujet m'a encore et toujours taraudé ces dernières années, m'a-t-il dit. Il y a peut-être un tout petit peu plus de doute sur la manière dont les huîtres pourraient ressentir de la douleur qu'il n'y en a pour les plantes, mais c'est pour moi hautement improbable. Et même si vous pouvez leur accorder le bénéfice du doute, vous pouvez aussi dire que tant qu'on n'aura pas plus de preuve sur cette capacité sensible, le doute est si infime qu'il n'y a aucune raison de ne pas manger d'huîtres élevées dans des parcs durables.» Et voici comment les spectres disparaissent –j'offre la première bourriche.

Christopher Cox, rédacteur en chef de Paris Review.

Traduit par Peggy Sastre

Photo: Plateau d'huîtres / Allerina & Glen MacLarty via Flickr CC license by

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