«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected]
Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.
Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.
Chère Lucile,
Je suis une femme de bientôt 32 ans. Femme... ou plutôt fille. J'ai encore du mal à me voir comme une adulte. Cela fait un an jour pour jour que j'ai perdu mon travail, ma boutique, mon honneur. J'ai du mal à lever la tête.
Mon papa, qui est un honnête commerçant, s'est retrouvé dans un tourbillon judiciaire et a subi quatre mois d'incarcération. Je suis honteuse, j'ai peur du monde extérieur, je me sens incapable d'accomplir quoi que ce soit. Pourtant je me suis levée de ce tsunami qui a secoué ma personne et ma famille. J'ai été soutenue, mais aujourd'hui je me sens plus bas que terre.
Je suis épuisée et plus rien n'a de goût. J'ai vécu tout ceci comme un acharnement, une injustice. Il y a un an, j'ai été mise en garde à vue pendant une semaine, et je ne peux oublier tout ceci.
Ma vie me dégoûte, j'aimerais être une autre personne, ailleurs. J'aimerais fuir mais je ne peux pas. J'aimerais que les choses aillent plus vite mais ce n'est pas possible.
Le seul petit réconfort qui adoucissait mes jours et mes nuits était un garçon que j'aime. Un ami qui est devenu un amoureux depuis le confinement. Il a aujourd'hui l'opportunité d'aller travailler au Canada et va donc s'en aller.
Je me sens démunie, ennuyée de ce monde, des gens. Plus rien ne me stimule, moi qui étais si souriante, si énergique, toujours dans la démonstration.
On m'a tout pris, mon sourire, ma lumière, ma vie.
Mon espoir est que tout ceci se termine pour que je puisse quitter le pays et rentrer chez moi, en Iran, et me blottir contre ma grand-mère.
Anahita
Chère Anahita,
C'est en effet un cyclone que vous avez traversé. Et après des épreuves aussi violentes, c'est normal de se retrouver au sol, sans équilibre, échevelée et essoufflée. C'est normal d'avoir besoin de retrouver ses repères avant de se lever à nouveau et d'affronter à nouveau le monde. Si celui-ci a changé, bouleversé par le cyclone, alors il faut aussi le temps de créer de nouvelles habitudes, de se réinventer, d'apprendre à aimer sa nouvelle réalité.
C'est un traumatisme que vous avez vécu. Et vous avez donc besoin de vous reconstruire. Certaines personnes arrivent à le faire seules mais d'autres ont besoin d'aide. Il n'y a pas de honte à vouloir retrouver des sentiments et des sensations de l'enfance, comme les câlins de votre grand-mère, ni à avoir recours aux services d'un·e thérapeute. Toutes les aides sont bonnes à prendre, il faut juste trouver celle ou celles qui vous conviennent le mieux.
Mais ce sentiment de désespoir que vous ressentez aujourd'hui, vous devez prendre conscience qu'il n'est que provisoire. La résilience, c'est-à-dire la capacité de l'humain à passer outre ses traumatismes et même à les utiliser pour se reconstruire et devenir plus fort, est une chose formidable. Et nous avons tous et toutes une capacité de résilience. Vous avez en vous la capacité de vous reconstruire, quelle que soit la gravité du traumatisme subi.
Vous avez juste besoin aujourd'hui de trouver le bon chemin, les bonnes clés pour vous. Et si vous n'en êtes pas capable, vous pouvez tout à fait vous en remettre à des spécialistes pour ça.
Dans mon expérience, rien ne mérite qu'on lui sacrifie son bonheur. Ni une personne toxique, ni une relation terminée, ni la violence, ni l'injustice. Tout ça est terrible mais souvent ces traumatismes n'existent que dans un temps défini. Après, on reste avec sa souffrance et les souvenirs de ces violences. On porte le mal en soi. C'est là qu'il faut aller soigner, c'est là qu'il faut vous faire du bien.
Votre traumatisme et votre solitude n'ont pas à vous recouvrir comme une enveloppe nauséabonde qui vous empêche d'être en phase avec le monde. Ils feront pour toujours partie de vous, ça c'est une réalité, mais ils peuvent aussi être une force, ou plus probablement juste une petite graine de souvenir posée quelque part qui ne fait ni mal ni bien, qui fait juste partie de votre histoire.
«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes: