Société

Maradona, Bieber, les Kardashian... un fanatisme proche du religieux?

Temps de lecture : 6 min

La passion pour des artistes ou des athlètes entraîne parfois une véritable dévotion quasi religieuse. Mais d'où vient le culte des stars?

Autel rendant hommage au «dieu» Maradona. | Carlo Hermann / AFP
Autel rendant hommage au «dieu» Maradona. | Carlo Hermann / AFP

«Notre religion, c'est le foot et comme toute religion, elle doit avoir un dieu. […] Ce dieu est Argentin et s'appelle Diego Armando Maradona Cette profession de foi est celle de l'Église maradonienne. Après avoir déchaîné les passions toute sa vie, le joueur argentin est aujourd'hui l'objet d'un véritable culte –mi-sérieux, mi-canular– qui lui est rendu depuis 1998.

Avec plus de 100.000 adeptes, l'Église a ses rites de mariage, de baptême et un calendrier qui commence l'année de la naissance de Maradona. Elle reprend des éléments de la liturgie catholique avec des cantiques qui rendent hommage au footballeur («Notre Diego qui est sur Terre / Que ton pied gauche soit sanctifié […] / Pardonne aux journalistes / Comme nous pardonnons à la mafia napolitaine»). L'inscription «D10S» –un mot-valise contenant «dieu» en espagnol et un «10» en référence au numéro porté par le joueur argentin– orne tous ses autels.

Certaines icônes pop suscitent parfois un tel engouement qu'elles se rapprochent du culte religieux. Dans un contexte de déclin des religions traditionnelles et des idéologies, une «ère du vide» postmoderne, l'adoration de l'artiste ou de l'athlète représente-t-il un nouveau culte? Qu'est-ce qui nous pousse ainsi à adorer quasi religieusement les stars?

L'idole Maradona. | Carlo Hermann / AFP

Les serviteurs du temple

«La première fois que j'ai vu le nouveau groupe de Pete Doherty, j'étais comme un fou. Je l'ai touché. C'était comme si Jésus m'apparaissait. Il avait une aura de fou. Après tout, on ne va pas à la messe écouter des cantiques: l'aura du personnage me suffisait.»

Ce témoignage d'un fan du rocker en rejoint d'autres similaires que j'avais compilés dans un livre. Et c'est vrai que très vite, quand on parle avec eux, les fans utilisent la métaphore religieuse pour décrire la relation qu'ils entretiennent avec leur star. Le mot «fan» vient d'ailleurs du latin «fanaticus», qui signifie «serviteur du temple».

Les commentateurs, journalistes et autres biographes sont aussi prompts à utiliser le vocabulaire sacré et contribuent aussi à l'analogie religieuse. «Dieu est mort» titrait ainsi le journal L'Équipe lors du décès de Maradona.

«Je prie Elvis»

Chaque année à Memphis, généralement du 10 au 18 août, se déroule un véritable «pèlerinage elvisien». L'Elvis Week, ce sont plus de 100.000 fans qui se pressent sur la tombe d'Elvis Presley pour commémorer le décès du chanteur en 16 août 1977.

Au programme, des concerts, des conférences, mais aussi des processions et défilés aux chandelles autour de la tombe du rocker. On dépose des offrandes, on dit des prières… Memphis prend alors des aspects de Jérusalem et Graceland –le domaine d'Elvis– de Saint-Sépulcre.

Des fans d'Elvis à Graceland, en 2007. | Joe Raedle / Getty Images North America / Getty Images via AFP

«Je prie Elvis, beaucoup, j'essaie de lui demander ce dont j'ai besoin, j'ai envie qu'il m'aide», témoigne un Français, fan et membre des Amis d'Elvis. Toujours ce discours et le vocabulaire religieux qui revient spontanément pour décrire leur passion avec des mots comme «sacré», «rite», «culte», etc.

Entre transe et idolâtrie, l'hommage des fans ressemble parfois à une véritable dévotion. L'exemple le plus frappant est les grands-messes que sont les matchs ou les concerts. Dans son livre La religion metal, le sociologue Alexis Mombelet décrit les concerts de metal comme des «rites contemporains», dans lesquels on retrouve «des éclats de religieux». Cris, pleurs, malaises, hystérie… Dans quelle église voit-on plus de ferveur qu'aux premiers rangs d'un live de Lady Gaga ou de Justin Bieber?

Si tous les fans ne vont pas jusqu'à prier leur star, on retrouve souvent chez eux plusieurs aspects du religieux. La star est d'abord un repère, voire même parfois un modèle qui les guide dans la vie. «Mais comment j'aurais fait, moi, si Johnny n'avait pas été Johnny, alors là…», me témoignait un fan de la première heure.

«Nous sommes plus populaires que Jésus-Christ.»
John Lennon

Cette passion pour un être charismatique se manifeste par un dispositif rituel et symbolique (concert, match) qui rassemble des acteurs en une communauté (de fans). Le lien qui les unit à leur passion est à la fois vertical, transcendant avec l'idole, et horizontal avec la communauté de fans que soude une même adoration. On retrouve les mêmes phénomènes dans les sectes ou communautés religieuses.

Le déclin des religions a souvent été évoqué pour expliquer le phénomène contemporain que sont les fans. En 1966, John Lennon déclarait: «Le christianisme est appelé à disparaître. Nous sommes plus populaires que Jésus-Christ à présent. J'ignore qui des deux disparaîtra le premier, le rock'n'roll ou le christianisme.» S'en suivit une vive polémique avec autodafé des disques des Beatles et menaces de mort de la part du Ku Klux Klan. La pop star –qui chantait «They're gonna crucify me» suscita lui-aussi un véritable culte, de ses premières groupies jusqu'à Mark Chapman, son assassin.

Des demi-dieux

Plus qu'à des divinités, le sociologue Edgar Morin comparait les stars de cinéma à des demi-dieux, mi-homme, mi-dieu. À la fois lointains et inaccessibles –ce qui suscite l'admiration– mais aussi humains et proches de nous, permettant ainsi l'identification. C'est ce que représentait Maradona, comme Elvis, et ce qui a fait de lui un objet d'idolâtrie: il était à la fois la star inaccessible et l'enfant des quartiers pauvres de Buenos Aires.

«J'ai une religion rationnelle, c'est l'Église catholique. Et j'ai une religion de cœur, une passion, c'est Diego Maradona.»
Alejandro Verón, membre de l'Église maradonienne

Mais l'adoration emprunte aussi des voies plus matérielles. «Comme dans tout culte spontané, entretenu par ceux qui en profitent, un fétichisme se développe», continue Edgar Morin. Ce fétichisme des fans passe par une accumulation de choses ayant un rapport avec la star: collection de potins –ce «plancton nourricier du star-system» dont se délectent les fans– de maillots, affiches, disques, photos ou encore d'objets collectors. Tout ce qui a eu un contact avec la star devient alors une «relique» porteuse d'une «aura» quasi sacrée: autographe, tee-shirt trempé de sueur, mégot de cigarette, etc.

Le mimétisme vestimentaire et capillaire renforce l'impression de secte. James Mollison a ainsi photographié des séries de fans dans un travail intitulé Les Disciples. La démocratisation de la chirurgie esthétique permet même le mimétisme physique, comme cette fan transformée en Kim Kardashian. Évidemment, ce fétichisme est savamment entretenu par ceux qui en profitent. Du tee-shirt Zidane au gode Mylène Farmer, les marchands du temple sont là pour satisfaire ce besoin de consommer la star.

Des fans de Kim Kardashian en 2015. | Rick Diamond / Getty Images North America / Getty Images via AFP

Des dieux sans religion

Cependant, les fans adoptent aussi une certaine distanciation leur permettant de ne pas mélanger passion et religion, comme en témoigne Alejandro Verón, l'un des fondateurs de l'Église maradonienne. «J'ai une religion rationnelle, c'est l'Église catholique. Et j'ai une religion de cœur, une passion, c'est Diego Maradona», explique-t-il. Mais le temps et les générations passant, cette passion peut s'essouffler.

«Certaines formes de “fanitude” semblent assez proches du religieux institué, explique le sociologue Éric Maigret dans Les cultes médiatiques. Mais elles ne débouchent pas sur une prophétie assumée, solidement ritualisée, relayée de génération en génération.» À certaines exceptions près, le culte disparaît avec la génération qui l'a vu naître. Le pouvoir charismatique de la star s'effondre après sa mort, dès que «la secte» perd son «gourou». Rares sont les cultes médiatiques développés autour d'une star qui survivent à leur fondateur.

Le besoin de transmission

«La “fanitude” dans sa diversité, ne vient pas se substituer au religieux, mais plutôt manifester sa dissolution dans un espace qui en déploie toutes les apparences, continue Maigret. Les pratiques des fans s'épanouissent autour de dieux sans religion.»

L'adoration des fans ne se transforme donc pas en religion instituée. Pas sûr qu'une secte de Beliebers perpétue la mémoire de Justin Bieber pour les siècles à venir.

Reste pourtant ce besoin viscéral de transmettre la passion qui a animé et fait vibrer tant de fans. «La fonction de l'Église est de maintenir vivante la passion et la magie avec laquelle notre dieu jouait au football, expliquent les créateurs de l'Église maradonnienne. Nous n'oublierons pas les miracles qu'il a réalisés sur le terrain, sous le regard de tous, et du sentiment qu'il a réveillé en nous, les fans, jour après jour.»

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