Cette semaine, tandis que certains parlaient d'une «révolution iPad», d'autres s'indignaient qu'on ne puisse y installer que des logiciels approuvés par Apple. Dans les années 90, le ministère de la justice américain et l'Union européenne ont poursuivi Microsoft qui livrait avec Windows toute une ribambelle de logiciels dont Internet Explorer, même si les utilisateurs étaient libres de télécharger un navigateur concurrent. Alors pourquoi laisse-t-on Apple choisir à la place du consommateur quels logiciels seront ou ne seront pas compatibles avec l'iPhone et l'iPad ?
Parce que celui-ci peut facilement acheter autre chose, un netbook ou un BlackBerry par exemple. Toute entreprise est libre de vendre des machines fonctionnant uniquement avec des logiciels, des périphériques, ou bien des accessoires propriétaires. C'est très habituel dans certaines industries ; il est fort probable que votre aspirateur accepte uniquement les sacs du fabricant, et vous ne pouvez pas jouer à des jeux PlayStation sur votre Xbox. Le gouvernement ne s'en soucie guère, du moment que les consommateurs ont largement le choix. L'iPhone représente seulement 16,6% des ventes de mobiles, et Apple semble par ailleurs perdre du terrain face aux téléphones équipés d'Android. Même s'il n'y a pas vraiment de règle, habituellement il faut qu'une entreprise domine le marché à plus de 70% pour que les organismes de régulation s'en mêlent. Apple a beau avoir écoulé 300,000 iPad le jour de sa sortie, il n'en reste pas moins que plus de 40 millions de netbooks et de Tablet PC seront vendus cette année.
Rien n'empêchera HP d'entrer sur le marché
Même si Apple domine un jour le marché des smartphones ou des ordinateurs-tablettes, son attitude vis-à-vis des logiciels ne sera probablement pas remise en question. Les lois antitrust n'interdisent pas les monopoles, elles interdisent les monopoles associés à des comportements anticoncurrenciels, c'est-à-dire le genre de pratiques qui empêchent de nouveaux concurrents de pénétrer le marché. Si Microsoft n'avait fait que livrer Internet Explorer avec Windows, jamais ils n'auraient été poursuivis en justice ; mais l'entreprise refusait également d'accorder une licence Windows aux fabricants de PC proposant Netscape ainsi que d'autres navigateurs sur leurs machines, et menaçait d'abandonner le développement d'une version Mac de Microsoft Office si Apple ne faisait pas d'Internet Explorer le navigateur par défaut de leurs ordinateurs. La cour a jugé que les fabricants étaient entièrement à la merci de Microsoft, puisque les consommateurs n'avaient ni véritable alternative, ni vraiment envie d'acheter une machine non-équipée de Windows.
Maintenant, quant à savoir si la politique restrictive d'Apple est comparable aux pratiques de Microsoft, le débat reste ouvert. Certains estiment qu'en fait, l'attitude d'Apple nuit à leur potentiel monopolistique en encourageant développeurs et utilisateurs à se tourner vers des plateformes plus ouvertes, comme par exemple Android. En outre, le vrai marché d'Apple c'est le hardware, pas les applis qui vont avec. Mais dans la mesure où sa politique a un impact sur le marché du développement logiciel, Apple finit par toucher un secteur différent de celui qui l'intéresse vraiment. Empêcher les propriétaires d'iPad d'utiliser des applis non-approuvées par Apple sur leur machine n'empêchera pas Hewlett-Packard d'entrer sur le marché des ordinateurs-tablettes.
Recours collectif contre Apple
Cela dit, un monopole de l'iPad ressemblerait fort probablement au règne Windows auquel le gouvernement américain s'est opposé en 1998. Avec plus de 90% des ordinateurs tournant sous Windows dans les années 1990, Microsoft avait de quoi contraindre les programmeurs à ne coder que pour Windows. Apple pourrait très bien décider un jour de transformer sa mainmise sur les applis iPad en une interdiction de facto de concevoir des logiciels destinés à d'autres appareils que l'iPad, en n'ouvrant ses machines qu'à des développeurs sous contrat exclusif avec Apple. Mais rien n'indique aujourd'hui que l'entreprise envisage cette stratégie.
Apple n'est cependant pas à l'abri d'un procès comme celui de Microsoft. Un recours collectif a été déposé en 2007 par des consommateurs estimant qu'Apple a empêché d'autres fournisseurs de musique de vendre des morceaux compatibles avec l'iPod en changeant constamment son code, et que l'entreprise ne devrait pas être autorisée à empêcher les utilisateurs de transférer la musique de leur iTunes vers d'autres lecteurs MP3. L'Union européenne enquête également sur les restrictions d'iTunes qui font que les utilisateurs ne peuvent acheter de musique qu'à partir de leur pays de résidence. Avec l'iPod, Apple détient les trois quarts du marché du lecteur MP3.
Brian Palmer. Traduit par Nora Bouazzouni
À LIRE ÉGALEMENT SUR SLATE.FR: La vie avec l'iPad, Les universités qui misent sur l'iPad
Photo: Un des premiers acheteurs de l'iPad le 3 avril 2010 à San Francisco, Robert Galbraith, Reuters