Culture

Marre des films prise de tête

Temps de lecture : 4 min

C'est peut-être paradoxal pour un critique de cinéma, mais j'en ai assez des films intellos...

Leonardo DiCaprio dans Inception © Warner Bros
Leonardo DiCaprio dans Inception © Warner Bros

Voilà tout ce que j'espère du cinéma en 2010: j'ai envie de ressentir quelque chose. Je n'ai pas envie de me disputer. Je n'ai pas envie de provocation. Je n'ai pas envie d'avoir les yeux ébahis ou les tympans explosés. Je n'ai pas envie d'avoir plus de relations avec les personnages ou de m'immerger dans leur monde ou de m'engager dans un jeu d'échec mental avec le réalisateur. J'ai juste envie de ressentir. Et pas ressentir comme Barton Fink le fait; je veux de vrais sentiments.

Je me rends bien compte qu'en disant cela, je perds toute crédibilité en tant que critique sérieux de cinéma, étant donné la stigmatisation quand on parle des films rangés dans les rubriques «cinéma mondial» et «films pour filles». Les commentateurs de film sérieux attendent avec impatience le film de David Fincher sur Facebook, The Social Network; les plaisirs cérébraux de Black Swan de Darren Aronofsky, dans lequel Natalie Portman joue une danseuse étoile dont la rivale est peut-être le produit de son imagination; et Inception de Christopher Nolan, un thriller qui se passe dans la tête de Leonardo DiCaprio. «Nous faisons un film qui est un film d'action à grande échelle au sujet du monde des rêves et de l'intérieur de l'esprit humain», dit Nolan à propos de son projet, qui, arrivant juste près Shutter Island de Martin Scorsese, un film qui se passe aussi largement à l'intérieur de la tête de Leonardo DiCaprio, risque d'amener beaucoup de spectateurs à se demander: est-ce que je regarde vraiment ce film, et sinon, est-ce que je peux me faire rembourser?

Ce que j'attends avec impatience

Les films qui m'inspirent le plus de curiosité sont l'histoire d'amour pharmaceutique, Love and Other Drugs d'Ed Zwick, au sujet d'un commercial de Pfizer joué par Jake Gyllenhall qui tombe amoureux d'une femme souffrant de la maladie de Parkinson, jouée par Anne Hathaway; The Greatest, dans lequel Carey Mulligan, enceinte du bébé de son copain décédé, prend contact avec sa mère à lui, jouée par Sarah Sarandon; et The Kids are Alright de Lisa Cholodenko, dans lequel le donneur de sperme Mark Ruffalo est retrouvé par les enfants qu'il a engendrés avec deux mères lesbiennes, jouées par Julianne Moore et Annette Bening. Et pendant qu'on est dans le thème des parents volages, signalons The Descendents d'Alexandre Payne, dans lequel George Clooney joue un père récemment veuf qui entraîne ses deux filles rebelles à la recherche de l'amant de sa femme sur l'île de Kauai.

Chacun de ces films peut être considéré comme relevant de la pure sensiblerie: c'est pour ça que je serai le premier à aller les voir. Je suis déterminé à ne pas répéter les erreurs de l'année dernière, quand je fus un des premiers à faire l'éloge de Duplicity de Tony Gilroy ou de In the Air de Jason Reitman -les deux avec des scénarios branchés, intelligents et cultivés, de sorte qu'on est supposé vouloir les voir à tout prix- et finalement je les ai regardés avec une admiration modérée, mon ardeur restant décidément bien tiède. Dites ce que vous voulez des réalisateurs considérés comme les grands espoirs du cinéma américain -les frères Coen, David Fincher, Darren Aronofsky, Steven Soderbergh, Wes Anderson, Paul Thomas Anderson- ils évitent tous d'agir directement sur les émotions des spectateurs, ce qui est normalement la raison d'être de Hollywood. Leurs points forts, ce sont la distance, la dislocation, l'anomie, l'aliénation, la cautérisation émotionnelle, la mélancolie cosmique, avec une petite dose d'ironie. Le sentiment, pas trop non.

Souvenez-nous, la route de Madison

Même des films aussi différents que Avatar et (Les) Démineurs agissent non pas sur nos cœurs et nos cerveaux mais sur nos colonnes vertébrales. Il s'agit de films physiologiques, et leur incapacité commune à susciter auprès du public de l'enthousiasme pour leurs acteurs a ouvert un boulevard à The Blind Side et Crazy Heart aux Oscars. C'est ce qui se passe quand les réalisateurs de premier plan négligent les cœurs de la nation, les réalisateurs de second rang en profitent. C'est dommage, car lorsque nos meilleurs réalisateurs daignent générer un peu de chaleur émotionnelle, les résultats peuvent être magnifiques: Erin Brockovich, seule contre tous de Soderbergh et The Wrestler d'Aronofsky ont tous les deux flanqué une bonne claque à leur public. Il y a aussi, bien sûr, Clint Eastwood, dont Sur la route de Madison m'a fait sangloter devant les critiques de cinéma les plus cyniques de Londres. Que dire de plus: quand Dirty Harry se sent défaillir, tous les hommes le suivent dans un rayon de 150 kilomètres.

Le nouveau film d'Eastwood, Hereafter, avec Matt Damon jouant le rôle d'un ouvrier qui peut communiquer avec les morts, a l'air vaguement risible, mais le scénario est signé Peter Morgan (qui a notamment écrit The Queen), donc je ne suis pas encore prêt à renoncer. Nous avons le film de Peter Weir au sujet d'une fuite en Sibérie, A marche forcée, avec Ed Harris et Colin Farrell, qui promet de nous donner un bon coup au plexus solaire. Puis, bien sûr, il y a How Do You Know?, une comédie romantique qui se déroule dans le monde du baseball avec Reese Witherspoon, Owen Wilson, Jack Nicholson, et M. Empathie lui-même, James L. Brooks. Le plus énigmatique de tous, ceci dit, doit être le nouveau film de Scorsese, L'invention de Hugo Cabret, dont l'annonce a provoqué l'émotion de la blogosphère sur la possibilité d'un flop. Scorsese? L'adaptation d'un livre de jeunesse? Un jeune orphelin qui vit dans une station de métro parisien? Ce n'est pas plutôt un sujet pour Spielberg? Si oui, alors Scorsese témoigne d'instincts dignes d'un réalisateur de sa classe. Spielberg a passé la dernière décennie à imiter Scorsese. Peut-être le moment est-il venu de lui rendre le compliment.

Tom Shone

Traduit par Holly Pouquet

Photo: Leonardo DiCaprio dans Inception © Warner Bros

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