La crise du Covid-19 n'est pas seulement une crise sanitaire, elle est également une catastrophe sociale et psychologique. Avec le confinement, les restrictions sanitaires nous empêchent notamment de continuer à voir nos proches, ce qui sape notre moral. Des recherches ont d'ailleurs montré à quel point la santé mentale de la population française avait été fragilisée par le premier confinement.
Quid des personnes SDF? La période actuelle touche intensément cette partie vulnérable de la population. Parfois qualifiées de «grands exclus», les personnes SDF rencontrent actuellement des difficultés et souffrent d'un isolement social accru.
Face à ce constat morose, Elina Dumont, ancienne SDF devenue comédienne, confie: «Tous les jours depuis le début de la crise du Covid-19, je me dis: “Heureusement que je n'ai pas été sans-abri à cette époque!” Cela doit être horrible. C'est difficilement imaginable.»
L'identité des personnes sans domicile fixe
Il convient tout d'abord de différencier l'identité d'une personne sans-abri et d'une personne SDF. Comme son nom le suggère, une personne sans-abri est un individu qui, le soir, dort dans un lieu qui n'est pas initialement destiné à cette activité, tels que la rue, les parkings ou l'intérieur d'une voiture. Si une personne sans-abri est une personne SDF, c'est-à-dire sans domicile fixe, l'inverse n'est pas nécessairement vrai. En effet, une personne est considérée SDF si elle dort dans un lieu non prévu pour l'habitation (elle est alors sans-abri), ou si elle a recours à un service d'hébergement.
D'après les récents chiffres publiés par la Fondation Abbé Pierre, il y a 300.000 personnes SDF en France. Un nombre qui a doublé depuis le dernier décompte officiel de 2012. Comme l'explique Claire Duizabo, directrice de la communication de l'association Entourage, beaucoup de personnes SDF sont invisibles dans l'espace public.
Parmi elles, une part croissante de personnes migrantes, de familles, et de femmes. Une population que Claire Duizabo explique être bien différente de l'image d'Épinal qui associe les personnes SDF à «des hommes de 70 ans alcoolisés sur un banc». Selon elle, malgré la diversité des profils des personnes SDF, «elles ont toutes le point commun d'avoir des ruptures de lien», aggravées depuis le début de la crise du Covid-19.
Le quotidien des personnes SDF changé par l'épidémie
L'épidémie a changé le quotidien des personnes sans-abri et sans domicile fixe. Le premier confinement a été une réelle surprise à laquelle n'était pas initialement préparé le secteur associatif, explique la directrice de la communication d'Entourage.
«C'était vraiment, vraiment horrible.»
Du jour au lendemain, la majorité des distributions alimentaires s'était arrêtée et les associations manquaient de bénévoles. En effet, celles-ci comptent souvent sur l'aide de personnes retraitées qui ne voulaient pas prendre le risque d'être contaminées. «C'était vraiment, vraiment horrible», décrit-elle, avant de préciser que les associations ont néanmoins rapidement réussi à travailler entre elles et à s'adapter aux recommandations sanitaires.
Les associations étaient mieux préparées au second confinement. | Christophe Archambault / AFP
Pour ce deuxième confinement, les structures d'accueil et les associations, davantage préparées, ont toutefois dû se conformer à certaines règles contraignantes pour les personnes SDF. Les accueils de jour, par exemple, ne peuvent plus recevoir autant d'individus qu'à l'accoutumée pour maintenir les distanciations physiques. Il n'est également plus possible de rester sur place aussi longtemps qu'on le souhaite, afin qu'un plus grand nombre de personnes puisse profiter des services proposés.
Or, Elina Dumont se rappelle l'importance de ces lieux qui lui permettaient de récupérer, boire un café et discuter lorsqu'elle était sans-abri. Un répit qui, une fois les centres fermés en fin de journée, laissait place à l'angoisse de trouver où dormir.
Impossible aussi pour les personnes sans-abri d'accéder aux toilettes des bars et des restaurants, comme elles le faisaient avant, ou de s'accorder un moment de repos dans un fast-food ou une bibliothèque. Difficile également pour celles qui font la manche de continuer à mendier lorsque les rues sont vidées et qu'une partie de la population française est touchée économiquement par la crise.
«Il y a des gens qui, spontanément, ont commencé à faire des dons à l'association.»
À l'heure où il nous est demandé de rester à domicile, certaines personnes SDF sont confinées dehors, isolées dans le froid hivernal et incapables de suivre toutes les recommandations sanitaires. Elina Dumont donne l'exemple d'une personne SDF qui lui a confié avoir peur d'être mise en télétravail. En effet, comment serait-il possible pour les personnes SDF de télétravailler, si elles n'ont pas de domicile fixe?
Avec la crise actuelle, la santé mentale des personnes SDF, déjà fragilisée, s'est davantage détériorée. Elina Dumont le répète: «La rue, ça abîme vraiment. Toutes les personnes qui se retrouvent à la rue, à coucher dehors, forcément, elles sont abîmées dans leur tête.» Cela est notamment dû aux ruptures relationnelles qu'elles cumulent, et qui les mènent souvent à une extrême solitude. L'isolement et l'absence de lien social déshumanisent. Ainsi, 83% des personnes SDF disent ressentir le rejet des passants.
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Un élan de générosité
Pourtant, depuis le début de la crise sanitaire, un nombre croissant d'habitants se disent prêts à aider les personnes les plus démunies. Claire Duizabo explique avoir remarqué «un énorme élan de solidarité» lors du premier confinement: «Il y a des gens qui, spontanément, ont commencé à faire des dons à l'association. Généralement, jamais personne ne nous en fait en mars, mais plutôt pour les fêtes de fin d'année.»
Entourage a d'ailleurs connu un pic de téléchargements de son application, qui a dépassé la barre des 100.000 utilisateurs pendant le premier confinement. De plus, les bénévoles de l'association recevaient une centaine de messages par jour de personnes désireuses de conseils pour aller à la rencontre de celles plus démunies.
Des opérations sont davantage organisées dans les quartiers avec des volontaires. | Georges Gobet / AFP
L'association Entourage a pour mission de restaurer un lien social entre les riverains et les personnes SDF partout en France. Grâce à une carte interactive disponible sur son application, il est possible de proposer son aide ou d'exprimer un besoin. Claire Duizabo explique: «On est super heureux que les personnes SDF se soient emparées de notre application. Pour nous, c'est un vrai outil d'empowerment. Pour une fois, elles arrêtent de subir notre aide.» La première recommandation de Claire Duizabo est donc de consulter régulièrement l'application pour connaître les actions solidaires en cours dans son quartier.
Par ailleurs, Elina Dumont et Claire Duizabo encouragent les riverains à aller parler spontanément aux personnes SDF, à prendre de leurs nouvelles, toujours en se mettant à leur hauteur et en respectant les gestes barrières. Quelques mots échangés permettent de maintenir un lien social primordial pour la santé mentale de tous. Lors de rencontres avec des personnes SDF, n'hésitez pas à leur fournir des masques et du gel hydroalcoolique si elles n'en ont pas.
Demandez-leur si elles ont besoin de quelque chose, tenez-les informées de l'actualité sanitaire, et indiquez-leur les structures d'accueil ouvertes répertoriées sur le Soliguide. Claire Duizabo explique aussi qu'il peut être judicieux d'inverser la relation d'aide, en demandant l'heure ou un chemin par exemple.
Elle met également en lumière deux dispositifs créés par l'association. Pendant le premier confinement, Entourage a mis en place l'opération Les Bonnes Ondes qui permet d'appeler des personnes isolées pendant le confinement. «L'idée est de faire un matching entre trois et quatre voisins localement qui se relaient tous les jours pour appeler une personne en précarité. Comme ils sont dans le même quartier, ils pourront ensuite se rencontrer en vrai à la fin du confinement.»
Enfin, elle explique la possibilité d'aider les personnes SDF grâce à LinkedOut, «un programme de retour à l'emploi pour les personnes qui n'ont ni le bon profil, ni le bon réseau». Sur le site sont mis «les CV de candidats en précarité, mais qui sont aptes et motivé·es à travailler. On demande d'aller sur le site et de partager massivement leur CV sur les réseaux sociaux.»