L'euro, retombé de 1,50 dollar en novembre autour de 1,33 actuellement pour le bien de l'économie européenne, va-t-il repartir à la hausse? Et jusqu'où? La visite non prévue de Tim Geithner, le secrétaire au Trésor américain, à Pékin va déboucher sur «un grand accord» monétaire entre les deux puissances laissant l'Europe hors jeu. L'euro va devenir la variable d'ajustement des grandes monnaies sans que les Européens aient leur mot à dire, les décideurs étant à Washington et à Pékin.
Tandis que le G20 peine toujours à trouver des terrains d'entente sur l'architecture du monde post-crise, notamment sur la régulation bancaire, le G2 va sceller son entente. Dans un souci diplomatique, l'administration américaine a étouffé un rapport qui accuse la Chine de «manipuler» sa monnaie. Dans le même esprit, Barack Obama repousse toutes les tentatives de sénateurs ou de représentants qui veulent «punir la Chine» par des tarifs douaniers. Il y aurait de quoi: le yuan est sous-évalué de 25 à 40% selon les estimations, rappelle l'économiste américain Fred Bergsten. Mais cette politique accommodante fait aussi le jeu américain: les Etats-Unis vont devoir emprunter des milliards pour combler leur déficit budgétaire, Pékin est appelé à acheter des tonnes de T-Bonds.
Menace de surchauffe
L'intérêt chinois a, lui, varié. Avant la crise, le yuan avait été réévalué vis-à-vis du dollar par petites marches successives puis, en juillet 2008, de peur de voir les exportations reculer, les autorités avaient rattaché le yuan au billet vert. Aujourd'hui, la croissance est de retour, et la Chine est à nouveau plutôt sous la menace de surchauffe. Le plan de relance a fait flamber la masse monétaire. Il est plus que temps de mettre un pied sur le frein, la réévaluation en est un des moyens. La Chine a laissé fuiter ces dernières semaines qu'elle allait revenir au régime monétaire précédent d'une hausse du yuan par petites marches.
Subtilement dosée de mois en mois, cette politique va convenir aux intérêts bien compris des deux partenaires. La Chine va réévaluer ce qui va enrichir ses habitants et les pousser à consommer plus, et elle va en parallèle diversifier ses avoirs de change. En conséquence, la monnaie américaine va doucement reculer, assez vite pour aider les exportateurs américains, mais pas trop pour ne pas effondrer le dollar en faisant peur aux marchés. Cette phase de baisse structurelle organisée du dollar ne sera pas une mince victoire pour Barack Obama sur le front économique. Bien entendu, ce système monétaire peut échapper à ses créateurs mais, en matière de change, les grands politiques ont encore des voix plus fortes que les marchés.
Des voix fortes? On est renvoyé à l'absence européenne. Pour l'heure, merci aux Grecs et aux déficits: l'euro a piqué du nez. La faiblesse confirmée de la reprise en Europe, tandis qu'elle boume en Asie et se consolide aux Etats-Unis, va également refroidir l'euro. Mais, quoi qu'il en soit, le fait est que l'Europe est l'observatrice de la valeur de sa monnaie unique. Et rien ne va changer à cause de dissensions internes apparues à l'occasion de la crise grecque et du jeu désormais solitaire de l'Allemagne. Qui peut aller à Pékin chercher un grand accord avec la Chine comme Tim Geithner?
Il le faudrait pourtant. Car l'Europe a exactement le même problème chinois que l'Amérique. Elle ne dépend certes pas des achats de bons du Trésor par Pékin, mais son déficit commercial avec la Chine est du même ordre que l'américain. L'Allemagne est excédentaire, mais tous les autres pays sont gravement déficitaires. L'Europe représente encore 20% de l'économie mondiale, elle a voix au chapitre. Le nouveau système monétaire international devrait se jouer à trois.
Surtout, ce serait, comme le souligne Jean-Pisani Ferry, le signe que le monde neuf sera d'ordre multilatéral et non bilatéral. Le signe que la gouvernance mondiale de demain restera conforme à la tradition européenne post-westphalienne faite de discussions diplomatiques, de compromis où les petits pays ne sont pas écartés. Les empires américain et chinois voient le monde autrement, ils ont la force pour habitude. L'affaire du yuan est essentielle: le G2 va-t-il imposer son régime monétaire comme il s'apprête à régimenter le monde?
Eric Le Boucher
Photo: A l'extérieur du New York Stock Exchange, le 5 avril 2010. REUTERS/Lucas Jackson
Cette chronique est également parue dans Les Echos du 9 avril 2010