Égalités / Société

Assumer socialement la transidentité, une épreuve aussi pour le conjoint et l'enfant

Temps de lecture : 6 min

Le poids des préjugés sociaux joue encore un rôle prégnant dans l'acception de la transition d'un membre de la famille.

Malgré des évolutions sociétales importantes, de nombreux freins sociaux, moraux et légaux demeurent. | Delia Giandeini via Unsplash
Malgré des évolutions sociétales importantes, de nombreux freins sociaux, moraux et légaux demeurent. | Delia Giandeini via Unsplash

Charlie, 15 ans, est avec sa mère dans la salle d'attente d'une clinique. Ils attendent Alice, père de l'un, époux de l'autre, qui est en train de bénéficier d'une chirurgie génitale. Durant les cinq heures d'attente, Charlie se remémore les deux dernières années depuis le coming out d'Alice. Deux années de changements, de doutes, de rejets parfois mais aussi de petites euphories. En signant Mon père, ma mère, mes tremblements de terre, Julien Dufresne-Lamy se met dans la peau de Charlie et imagine les ressentis d'un ado face à la transidentité de son père.

«J'ai voulu faire parler l'entourage et montrer la transition comme un parcours compliqué mais qui peut être abordé avec bienveillance et tendresse. J'ai essayé de ne pas céder à la facilité du drama et des stéréotypes», explique l'auteur. «Étant moi-même cisgenre, il m'a semblé plus respectueux d'adopter le point de vue de l'adolescent et ai volontairement adopté un style romanesque très français, ancré au cœur de la famille.»

Son roman, infiniment sensible, est de fait, assez unique en son genre, explorant des sujets peu et mal abordés: la transparentalité et la transconjugalité.

Des années de réflexion

Pour Arnaud Alessandrin, docteur en sociologie et chargé de cours en sociologie du genre et des discriminations à l'université de Bordeaux, cette approche et ce thème permettent de «défocaliser la transition de l'individu seul. Quand une personne transitionne, c'est aussi un couple et une famille qui bougent. C'est tout l'ensemble des réseaux de la personne trans qui transitionne avec elle même si c'est sans commune mesure en termes de discrimination ou de rapport aux institutions.» Nathalie, responsable associative, insiste sur ce dernier point: «Ce qui change pour le ou la conjointe ou l'enfant, c'est l'image qu'il ou elle se fait de la personne. Mais, ce qui change pour la personne, c'est son identité, c'est sans comparaison.»

Il faut aussi bien comprendre que si la «révélation» à la famille semble immédiate, sinon brutale, pour la personne qui amorce sa transition, il y a, en amont, des années de réflexion voire d'effort pour se fondre dans le moule et se conformer aux rôles attribués aux époux ou épouses ou aux pères ou mères par une société hétéronormée.

Mais, si l'annonce est subite, la transition hormonale a –du moins pour les proches– le mérite de ne pas se faire du jour au lendemain. Elle est longue, au minimum deux ans, souvent plus. «Cette durée est positive pour les proches. C'est une nouvelle puberté, la personne qui accompagne a du temps pour faire sa propre transition, de manière progressive», explique Nathalie.

Reste qu'accepter cette transition n'est pas toujours évident pour les conjoint·es. Corinne Fortier, anthropologue, s'est intéressée spécifiquement au ressenti des femmes hétérosexuelles en couple avec une femme trans. Elle note différents cas de figure qu'elle a pu relever au cours des entretiens qu'elle a menés. «Il arrive que ces femmes éprouvent un véritable rejet. La femme ressent une trahison, le fait d'avoir vécu avec quelqu'un sans le ou la connaitre vraiment. Pour elle, il n'y a plus de confiance possible. Elle a le sentiment d'avoir vécu avec un inconnu et le coming out est un véritable séisme. Certaines veulent le divorce, refusent que le père voit le ou les enfants.»

Mais, cette situation extrême et violente n'est pas, loin s'en faut, la seule réponse. Corinne Fortier évoque ainsi le cas où le couple reste uni mais où chacune prend son indépendance amoureuse. Elle parle aussi des situations où la femme cis assume l'identité de son épouse trans en privé mais pas en public. Et puis, il y a celles qui vont cultiver leur amour. Le taux de séparation/divorce après l'annonce du désir de transition est extrêmement difficile à connaître car, comme le note Arnaud Alessandrin, «avant la loi mariage pour tous en 2013, les personnes en conjugalité hétéro qui souhaitaient le rester devaient divorcer pour que la personne trans puisse faire sa transition et pour pouvoir continuer à vivre ensemble. La preuve de l'amour était le divorce.»

De nombreuses personnes restent amoureuses et souhaitent que la relation perdure. La transition de leur conjoint·e les confronte alors, logiquement, à des interrogations sur leur orientation sexuelle. «Il y a effectivement de grosses interrogations du côté des conjoint·es. Ce qui remonte de nos groupes de parole, ce sont essentiellement des questions sur la poursuite du couple et sur l'orientation sexuelle», constate Nathalie.

Elle poursuit: «Nous sommes dans une société qui met les gens dans les cases. De fait, les conjoints ou conjointes sont troublées de devenir homo ou hétéro du simple fait du changement de genre de leur conjoint ou conjointe. Ces questionnements sont simplement liés à ce besoin de catégoriser, alors que les liens romantiques, physiques et sensuels ne changent pas.» Anaïs reconnaît également que la transition et la transidentité de l'autre «peuvent être compliquées à assumer, notamment socialement».

Arnaud Alessandrin remarque que «les relations de couple, c'est aussi les relations sociales du couple. Les relations familiales et amicales du couple sont parfois disloquées: on perd des membres de la famille ou des proches…Celui ou celle qui ne transitionne pas doit aussi prendre sur lui ou elle ces ruptures familiales ou amicales.»

L'épanouissement des enfants

Dans un entretien mené par la sociologue Karine Espineira pour l'Observatoire des transidentités, Catherine en couple avec Marion témoigne: «Il est plus compliqué d'être en couple lorsque l'on est trans dans la mesure où il s'agit en fait de deux transitions. Je m'explique: la mienne d'une part, pas évidente, et la sienne qui consiste à suivre et à s'adapter sans cesse aux changements en constante augmentation. Les repères s'en trouvent perturbés et l'adaptation au nouveau genre ne se fait pas sans quelques arguments parfois caustiques… ou pris comme tels, question d'interprétation.» Elle conclut en affirmant qu'il faut au conjoint «du courage, du courage, du courage.» Et de belles histoires d'amour se dessinent.

Arnaud Alessandrin constate aujourd'hui «une plus grande acceptation intime et sociale de la transconjugalité. Autrefois, les personnes trans étaient en couple avec des personnes trans presque uniquement. Ce n'est plus le cas. Et, il existe désormais des thérapies de couple dédiées aux couples trangenres.»

En ce qui concerne les enfants, malgré des évolutions sociétales importantes (la stérilisation n'est plus une condition pour changer la mention de son sexe à l'état civil), de nombreux freins sociaux, moraux et légaux demeurent. «On reste du côté de l'idée que les personnes trans ne seraient pas en capacité d'élever un enfant», déplore Arnaud Alessandrin. La PMA n'est pas ouverte aux personnes trans (sauf hommes trans en couple avec une femme cis) et en cas de divorce, c'est toujours la personne cis qui a la garde de l'enfant.

Pourtant, l'étude Myosotis menée par David Cohen et Agnès Condat sur le développement psycho-affectif des enfants conçus par PMA dont le père est transgenre a montré que l'identité de genre des parents n'a aucun impact sur l'épanouissement des enfants. «Être trans n'est ni un choix, ni une contre-indication à la parentalité», affirme Raphaël Gérard, député LREM de la 4e circonscription de Charente-Maritime dans une tribune parue en septembre 2019.

«La notion de genre et d'expression de genre chez les ados n'est plus la même aujourd'hui.»
Nathalie, responsable associative

Reste une question: comment évoquer la transidentité d'un parent auprès de son enfant? Quel pourra être son ressenti? «Il existe un fantasme complet sur les enfants ayant un parent trans, explique Nathalie. Les gens se disent, “on ne va pas dire ça aux enfants, on va les préserver”. Mais, si la relation est conservée, ça se passe très bien! L'enfant peut avoir l'impression d'avoir été surprotégé et rejeter la situation davantage que si on lui avait dit.» Corinne Fortier abonde en ce sens: «L'enfant est surtout préoccupé par la peur de perdre l'amour de son parent. Or, le changement d'identité n'affecte pas le lien affectif avec l'enfant.» Pour elle, l'adolescence peut être un moment plus charnière dans la mesure où l'ado est très sensible au regard des autres: «Le regard social montre une forme d'anormalité», dit-elle.

Une position que ne partage pas Nathalie: «C'est une idée reçue que de penser que les autres vont mal comprendre, vont s'en rendre compte, vont stigmatiser: c'est faux, la plupart de temps, la transidentité du parent n'est pas un sujet, les choses se font par étapes.» Elle note qu'en outre «la notion de genre et d'expression de genre chez les ados n'est plus la même aujourd'hui, il y davantage de fluidité, le spectre est plus large, on accepte davantage de choses aujourd'hui». L'enfant ou l'ado, hors contexte social, accepte le plus souvent très bien la transidentité de son parent même si de petites questions demeurent: «Dois-je continuer de l'appeler maman/papa? Dois-je lui donner un autre nom?» Chacun·e trouvera sa solution.

Plus notre société ira vers une dépsychiatrisation complète de la transidentité, plus la question du genre sera décloisonnée, plus le vécu de la transconjugalité et de la transparentalité deviendra aisé car c'est bien le poids du social qui fait aujourd'hui frein.

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