Quatre types, l'air vaguement blasé, vautrés sur un canapé, regardent passer les RER. Il a beau pleuvoir à verse et faire un froid de canard, ils sont en bras de chemise. Ils n'ont aucune raison d'avoir froid, ils sont sur une affiche. Les Invincibles, en ces premiers jours de mars, squattent les quais du Transilien, mais aussi les grandes gares et le bus strasbourgeois, leur ville d'origine. Pour la première fois, Arte a décidé d'afficher une de ses fictions.
La campagne de pub de la chaîne ne s'arrête pas là: spots au cinéma, encarts dans la presse, bannières sur internet... la série soigne sa communication. Il y a encore deux ans, une telle stratégie aurait semblée révolutionnaire. Aujourd'hui, toutes les grandes chaînes communiquent autour des séries. Un phénomène encore balbutiant, à des années lumière des campagnes américaines, mais qui illustre, une fois de plus, l'impact croissant des séries.
Février 2008. En descendant dans le métro, les Parisiens se retrouvent nez à nez avec une Glen Close de trois mètres sur quatre, agressivement penchée vers eux. Damages arrive sur Canal+, et la chaîne compte bien le faire savoir. D'autres la suivront plus tard, notamment Dexter, omniprésent dans les abribus début 2010, mais aussi Braquo, Mafiosa et Engrenages, séries made in Canal+. «C'est une manière de littéralement afficher notre identité, explique-t-on chez la chaîne cryptée. Aujourd'hui, une part considérable de nos nouveaux abonnés vient pour les séries. On ne fait plus de pub autour du cinéma ou du foot.»
Séries et foot
L'affichage, c'est une question d'image. La série elle-même se met au service de la communication d'une chaîne. «C'est l'univers de la marque du diffuseur qui compte», confirme Stéphane Bondoux, directeur de la communication externe de France Télévisions, qui poursuit, «quand on opte pour l'affichage, c'est un signe de changements dans la chaîne». Exemple le plus récent, Le Chasseur, prise de risque de France 2 est une histoire de tueur en série qui... a fait un bide, après avoir squatté les abribus.
Les Invincibles marquent eux aussi un virage dans la stratégie d'Arte, et donc s'affichent. Braquo, affichée par Canal+, a elle servie à lancer la nouvelle politique de fiction française de la chaîne. Mais l'affichage n'est que le sommet de l'iceberg. «C'est la plus vieille forme de communication, le dernier maillon qui s'adresse avant tout à ceux qui passent entre les mailles du filet internet, radio, presse, bref de l'ensemble des moyens de com», rappelle Anne Richy, spécialiste médias chez IMCA (International media consultants associés).
«Délinéarisation.» Derrière ce mot barbare se cache toute l'ambition de la communication autour des séries télé, qui a encore beaucoup à inventer. «Il faut conquérir le téléspectateur dans sa vie quotidienne, au delà de son écran de télé, explique Anne Richy, donc via les réseaux sociaux, internet, ou même les affiches.» Premier visés par cette «délinéarisation», les jeunes, principaux consommateurs de séries. Tout est bon pour capter leur attention.
TF1, gagnante du concours de couv'
Pour Les Invincibles, Arte a organisé des flashmobs - performances de rue censée cueillir par surprise les passants... et finir par créer le buzz en ligne - multiplié les jeux, lancé un partenariat avec IDTGV, le TGV «jeune», etc. Les séries, qui étalent leur diffusion sur plusieurs semaines, sont un format inédit pour les communicants, qui cherchent la formule magique. France Télévisions a ainsi inventé un jeu de piste dans Paris pour sa série Nicolas Le Floch, avec des comédiens en costumes...
«Nous avons énormément développé nos relations avec la presse, se félicite-t-il. La place que laisse les magazines télé, en Une, aux séries, je la considère presque comme de l'affichage.» Les magazines télé seraient donc à la botte des chaînes ? «Absolument pas, c'est un combat permanent, corrige Frédéric Ivernel, mais nous avons tous à y gagner, puisque les séries sont populaires.»
TF1, championne des audiences, diffuseur des plus gros succès sériels - Les Experts, Dr House, Esprits Criminels - est évidemment la grande gagnante du concours de couvertures de la presse télé. C'est de bonne guerre, et même Stéphane Bondoux, responsable com de France Télés, un groupe qui s'est presque dépouillé de ses séries américaines, l'admet : «la presse fait d'elle même des couvertures sur ces séries, nous préférons donc nous concentrer sur les production françaises.»
Malgré ce lent réveil, les campagnes d'affichage de plus en plus nombreuses et une pub en ligne plus agressive, la communication autour des séries reste hésitante. «Nos moyens sont limités», explique Stéphane Bondoux. Et de constater : «La com d'une série aux Etats-Unis, où les campagnes sont très lourdes, c'est à peu près la moitié de notre budget annuel.» «Il aurait été incongru de lancer ces campagnes de pubs aussitôt le succès de 24 ou Desperate Housewives. Il a fallu du temps, nous ne faisons qu'accompagner un mouvement de démocratisation des séries», analyse-t-on chez Canal+. «La promotion des programmes télé en général est elle-même assez récente, remarque Frédéric Ivernel chez TF1. Cela date de l'arrivée de la TNT, il y a cinq ans. Avant, il n'y avait que 6 chaînes. Maintenant, avec la diversification des offres, chacun doit préciser son image, et c'est à ça que servent les campagnes de pubs.» Avec le passage au tout numérique dans deux ans et la multiplication des chaînes, il faut donc s'attendre à revoir Dexter ensanglanter nos abribus...
Pierre Langlais
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Photos: Glen Close et affiche de campagne de la série Les invicibles/Droits réservés