Noël! Noël! Noël!
J'avoue: désormais, quand j'entends prononcer le mot de Noël, j'ai comme des envies de meurtre. De meurtre sauvage, même. De coups de sapin dans la tronche de celui qui, désespéré parmi les désespérés, en appelle à Noël comme si c'était la dernière chance accordée à l'humanité avant sa destruction finale. À les entendre pérorer, j'ai l'impression qu'on va tous crever si Noël passe à la trappe. Étouffés dans le jus de notre confinement. Et si las de cette pandémie et de ses ravages, qu'avant de mourir, on souhaiterait s'empiffrer encore une fois, une toute petite fois, une ultime fois.
Mais qu'est-ce qui a bien pu nous rendre aussi larmoyants et aussi victimaires? J'entends bien que la situation n'est pas rose; elle est même pour certains synonyme de chômage, de faillite, de maladie, de mort même. Oui, nous sommes fatigués, exaspérés, parfois même franchement déprimés. Pour autant, il faut savoir garder raison, non? Les Allemands ne sont pas aux portes de Paris. Il n'y a pas des snipers planqués sur les toits qui attendent de dégommer le premier qui se risquerait à sortir. Nous ne sommes pas frappés par une famine ou une invasion de sauterelles. Et si la mort frappe, c'est en nombre relativement limité.
Selon toute probabilité, nous allons survivre à ce virus. Demain, après-demain, dans un futur plus ou moins proche, nous retrouverons le confort de nos vies d'antan. Eh quoi, quel drame si nous passions ce Noël en catimini, en tête-à-tête avec son conjoint ou avec un couple d'amis, autour d'une bonne bouteille de vin ou d'une coupe de champagne? Serait-ce donc là la nouvelle définition de l'enfer, la tragédie absolue d'un monde si abîmé que de passer un Noël sans les festivités qui l'accompagnent –famille, dinde, foie gras, bûche, champagne, cadeaux, engueulades, maux de tête, retour des cadeaux– serait synonyme de désespoir absolu?
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On marche sur la tête. J'en viens à me demander si à force de vivre dans une société d'opulence, nous ne sommes pas devenus des enfants capricieux qui à la moindre contrariété se roulent par terre en exigeant de voir leurs désirs réalisés là, maintenant, à la seconde. N'avons-nous pas collectivement perdu le goût de l'effort, l'idée d'entraide, la nécessaire comparaison avec les époques qui nous ont précédés quand la vie était tout sauf rose? Sommes-nous devenus séniles au point de fondre en larmes à l'idée de sauter un Noël comme s'il s'agissait d'une question de vie ou de mort et que sans plateau de crevettes à partager avec toute la sainte famille, la vie ne vaudrait même plus la peine d'être vécue?
Pourtant, rien n'y fait, c'est devenu une obsession nationale: il faut sauver Noël comme naguère il fallait tenir bon sur la ligne Maginot. C'est devenu notre nouvel horizon, notre dernière raison de vivre. À juste titre, les commerçants se lamentent. Aux ministres on demande des comptes comme s'ils étaient sur le point de passer aux armes un individu que tout innocente. Sur les plateaux de télévision, on n'ose imaginer une fin d'année privée de ses réjouissances traditionnelles. Ce serait catastrophique et dans les complaintes des journalistes-experts, nos nouveaux démiurges, on croit entendre les sanglots d'une veuve qui vient d'apprendre que son fils ne rentrera pas du front pour venir l'embrasser.
Comme si Noël, en temps ordinaire, était une partie de plaisir. Les heures à passer dans des magasins bondés à trouver un cadeau qui aussitôt reçu sera aussitôt échangé, les retrouvailles familiales où, passé le temps des embrassades, on déterre les vieilles rancœurs d'autrefois –la réussite de l'un, le divorce de l'autre, l'héritage de la tante–, les cancanements à n'en plus finir, le repas lourd de plats dont le souvenir vous hantera jusqu'au Nouvel An, toute cette démonstration de joie forcée qui finit toujours par déboucher sur une déprime tenace où l'on se jure que l'année prochaine, on restera bien tranquillement... à la maison.
Oui, à la maison!
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