Dans mes fantasmes éveillés, à l'heure de la douche, il y a celui-là. Mon téléphone sonne, je sors, nue et humide, de ma salle de bains. Je décroche précipitamment. Une voix me dit: «Bonjour, ici l'Élysée, le président souhaiterait vous rencontrer d'ici une heure.» Je réponds «ok». Je m'habille, je file au palais présidentiel. Et là, Emmanuel Macron me demande quelles mesures féministes il pourrait adopter tout de suite.
Dans la plupart des scénarios, je bafouille parce que, certes, je commence à maîtriser l'analyse des situations sous l'angle intellectuel du féminisme (qui met au service de notre pensée une foule d'outils remarquables), mais en vrai, il y a un truc dont je ne me suis jamais préoccupée, c'est le chiffrage. Prenons l'allongement du congé parental pour le deuxième parent. Je suis pour. Et même son obligation. Et concrètement? Eh bien, écoutez, je vais vous rediriger vers des collègues avec qui vous pourrez avoir ces ennuyeuses discussions financières. Pendant ce temps, mes théories et moi, nous savourerons une délicieuse tasse de thé.
En travaillant sur la question de l'argent pour mon podcast, j'ai été obligée de me confronter à ce défaut. Difficile d'analyser la question du fric sans parler de chiffres. Et l'épisode qui m'a véritablement débloquée sur ce sujet, c'est celui sur les impôts, celui qui a été mis en ligne cette semaine. En travaillant dessus, je me suis aperçue que je n'étais pas la seule féministe française dans ce cas. Majoritairement, nous avons déserté la question économique chiffrée. Nous parlons des violences, nous parlons des corps, nous sommes assez calées sur la question de la visibilité, nous interrogeons la maternité, l'hétérosexualité, le genre, la charge mentale, les tâches ménagères, mais l'argent, assez peu.
Le creux de la vague
Pourtant, nous vivons dans une société où l'argent, c'est le pouvoir. On peut le regretter mais c'est ainsi. On peut difficilement questionner les rapports de domination en passant sous silence l'aspect financier. J'en étais arrivée à cette conclusion quand j'avais travaillé sur la répartition des tâches domestiques dans les couples. Se jouait une question de qui rapporte le plus d'argent à la maison, donc qui est prioritaire en matière d'emploi, de besoin de disponibilité.
On peut se féliciter des avancées actuelles du féminisme. Mais ces avancées seront toujours fragiles tant que nous n'aurons pas gagné en pouvoir. Prenons mon secteur, la presse. Je vois depuis quelques années de plus en plus de femmes être nommées rédactrices en chef, et c'est très bien. Il y a une chose qui n'a pas changé: les médias appartiennent à des hommes. Ce sont eux qui les possèdent. Donc ce sont eux qui ont le véritable pouvoir, et cela fragilise tous nos acquis. Dans une dizaine d'années, le féminisme connaîtra un creux de la vague, un reflux, et si nous n'avons pas récupéré du pouvoir économique pour peser, nos avancées seront balayées.
Bien entendu, je n'exclus pas que nous aurons mené à bien notre révolution écolo-afro-féministe d'ici là mais disons que, dans le doute, anticipons un peu le backlash.
Prenons un point précis. Dans cet épisode de Rends l'argent, j'ai réalisé quelque chose qui m'avait toujours échappé, faute de m'y intéresser: le système d'imposition actuel est sexiste. L'impôt discrimine les femmes. Comme tout le reste de l'économie, me direz-vous. Mais il y a quelques points à changer immédiatement pour en limiter les effets: mettre fin à ce qu'on appelle la conjugalité de l'impôt, abolir le quotient conjugal, et, dans le cadre d'une fiscalité féministe, redistribuer autrement les sommes qui seraient ainsi dégagées. Les pensions alimentaires? Ah, là aussi, il y a des choses immédiates à faire pour alléger la vie de nombreuses femmes.
Mais ça, c'est dans les épisodes des semaines prochaines.
Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.