Il est 7h du matin et Léa est réveillée par la sonnerie de son téléphone. Il y a encore quelques mois, c'est la radio qui s'en chargeait. Mais refusant de commencer sa journée avec une avalanche de mauvaises nouvelles, la jeune femme de 26 ans a fait le choix de se couper des médias qui relaient l'actualité.
À la place, cette chargée de production de films écoute de la musique, des podcasts sur des sujets qu'elle choisit, ou lit un livre. Parce qu'elle a fait une overdose. Une overdose d'infos.
«C'est trop déprimant, donc maintenant j'arrête de les regarder. Toutes ces mauvaises nouvelles, ça te rajoute une charge mentale et te tire vers le bas. Tu dois vaincre cette déprime des infos en plus de tout ce qu'il se passe dans ta journée à toi. C'est dur», explique-t-elle.
Covid-19, confinement, attentats, crise économique, politique et écologique partout dans le monde… Il est vrai que pour suivre les informations en ce moment, il faut avoir le cœur bien accroché. Trouvant que le climat médiatique actuel leur fait plus de mal que de bien, ils sont plusieurs, comme Léa, à s'être déconnectés.
Des médias fautifs?
Ils le reconnaissent, le mal-être qu'ils ressentent –comme bon nombre de Français– est avant tout dû à l'actualité en elle-même. Et il est du devoir des médias de tenir la population informée.
On sait cependant que la presse n'est pas qu'un simple relai. Certains lui reprochent en effet de mal traiter l'information, créant un climat très anxiogène. Pas responsable, mais coupable?
«J'ai l'impression qu'il n'y a que des nouvelles angoissantes. On manque cruellement de positivité.»
Si la télévision de Luc reste désormais éteinte à l'heure du journal télévisé, c'est parce que les médias ont selon lui tendance à se focaliser sur un seul sujet par période, oubliant tout le reste: «En ce moment il n'y a plus que le Covid-19, se plaint-il. Ça me gêne, parce qu'il n'y a pas que ça qu'il se passe dans le monde... Donc voir toujours la même chose, ça ne m'apporte rien», explique le quinquagénaire, responsable administratif.
Il ajoute, désabusé: «Parfois ce n'est même pas de l'info, juste des journalistes qui font des supputations sur ce qui pourrait arriver, les mesures qui pourraient peut-être être prises... Ça, on s'en fiche.»
Pour Justine, assistante maternelle âgée de 24 ans, c'est l'écrasante majorité d'informations négatives qui l'éloigne de l'actu: «Si j'ai tendance à changer vite de chaîne quand je tombe sur les infos, c'est parce que j'ai l'impression qu'il n'y a que des nouvelles angoissantes. Peut-être qu'il faudrait y intercaler des infos qui donnent le sourire ou qui nous sortent un peu de ces temps assez déprimants… On manque cruellement de positivité.»
Une info façonnée par l'argent
Et ce n'est pas Emmanuel Marty, enseignant-chercheur en sciences de l'information et de la communication à l'université Grenoble Alpes et à l'École de Journalisme de Grenoble, qui les contredira. «Il est vrai qu'il y a une concentration sur un tout petit nombre de sujets, avec des cadrages, des angles et des discours qui sont assez similaires», complète-t-il.
«La logique est de maximiser les profits et de réduire les coûts. Donc les journalistes ont moins de temps, moins de ressources.»
Si certains médias se comportent de la sorte, c'est à cause de leur modèle économique, le spécialiste explique: «On est sur une logique concurrentielle et de rentabilité, basée sur une valorisation publicitaire de l'audience.» Autrement dit, il faut faire du chiffre, donc attirer à tout prix les spectateurs et spectatrices. Pas étonnant, donc, que les journalistes ne cessent de faire des pronostics –les fameuses spéculations que Luc ne supporte plus.
«On joue sur la peur, qui est elle aussi un ressort important, déclare Emmanuel Marty. La logique est de maximiser les profits et de réduire les coûts. Donc les journalistes ont moins de temps, moins de ressources, moins d'effectifs, et doivent produire plus vite, beaucoup, générer du flux… Cela explique qu'en bout de chaîne, on peut avoir une information de piètre qualité.»
En ces temps compliqués, une information brute et redondante, sans grande analyse, peut être difficile à supporter.
Des risques pour la santé mentale
Assurément désagréable, cette exposition aux médias pourrait-elle être même nocive pour la santé mentale? Myriam, trentenaire travaillant dans les affaires publiques, en a bien l'impression: «J'ai tout coupé pour me protéger. Le soir de l'annonce du reconfinement par exemple, je suis allée au cinéma pour être sûre de ne pas regarder les infos, qui provoquent en moi de grandes angoisses.»
La psychologue et doctorante en neurosciences Anne-Hélène Clair le confirme: «Les études montrent que l'exposition aux médias peut être anxiogène. Ce qui est particulièrement difficile à gérer, c'est de voir une information –de nature angoissante– de manière répétée. Il suffit que vous soyez légèrement anxieux pour que cela vous impacte.»
«Ce qui est stressant, c'est le côté imprévisible des notifications.»
Et c'est la télévision, avec ses chaînes d'info en continu, qui remporte la palme du média le plus anxiogène. «C'est le plus impressionnant car une image est associée. Regarder BFM TV en continu, ça peut être très angoissant», développe la psychologue.
Elle évoque aussi les infos auxquelles on a accès via son smartphone: «Ce qui est stressant, c'est le côté imprévisible. À n'importe quel moment on peut recevoir des notifications qui vont nous rappeler sans arrêt à l'information…» De quoi nous donner envie de tout couper.
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Un déni de réalité?
Ceux qui l'ont fait ont l'air de mieux se porter: moins de stress, moins de peur, c'est un peu comme des vacances bien méritées. Mais n'est-il pas risqué, voire irresponsable de se déconnecter de la réalité?
Pour Didier Courbet, professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université d'Aix-Marseille et auteur de Connectés et Heureux! Du stress digital au bien-être numérique, cette démarche peut-être plutôt saine: «C'est ce qu'on appelle une stratégie de “coping”: la personne sent qu'elle est en excès de stress et elle arrive à le gérer en coupant l'actualité. On essaie de supprimer l'éventuelle rumination mentale créée par un excès d'actualités, qui fait qu'on vit en permanence avec de l'anxiété.»
«Il ne faut pas non plus tomber dans un processus d'évitement.»
Attention cependant à ne pas tomber dans l'extrême en se déconnectant trop longtemps. «S'il peut être bénéfique de s'éloigner quelques jours des médias pour relâcher la pression et calmer son angoisse, il ne faut pas non plus tomber dans un processus d'évitement», prévient la psychologue Anne-Hélène Clair.
En effet, arrêter de se confronter à ce qui nous angoisse de façon à éviter tout sentiment désagréable n'est pas forcément la solution. «Avoir envie de se couper à tout prix peut être le signe que quelque chose ne va pas. Il faut peut-être demander de l'aide», précise-t-elle en conseillant par exemple les sites Covid-Out et Covid Écoute.
Il est en effet préférable de chercher du soutien, car nous finirons toujours par être confrontés à nouveau à l'actualité. «Ce sera d'une autre façon, par une autre source d'information, ou votre entourage vous parlera ce qu'il se passe», rappelle la psychologue. En effet, la réalité nous rattrape toujours.