Santé / Sports

Commencer le yoga pendant le confinement, une fausse bonne idée?

Temps de lecture : 6 min

Ça semblait être l'activité incontournable du printemps. Depuis, les novices ont un peu déchanté...

Démarrer le yoga en période de confinement peut être une bonne chose –du moins sur le plan physique. | Anne Wu via Flickr
Démarrer le yoga en période de confinement peut être une bonne chose –du moins sur le plan physique. | Anne Wu via Flickr

«Je me suis accrochée à mon tapis comme une naufragée à son bout de bois. C'était de la survie. Et je sens que ça m'a sauvée.» Lucia a démarré le yoga en avril, après quelques jours de confinement. Cette Parisienne de 34 ans fait partie de ces personnes qui, dans les premiers moments de cette phase d'enfermement physique et psychologique, ont ressenti un besoin urgent de s'aérer l'esprit et de mobiliser leur corps.

Ce n'est pas un hasard si l'appli de méditation Petit Bambou a triplé son nombre d'inscriptions quotidiennes en début de confinement, passant de 5.000 à 15.000 par jour: entre peur du Covid-19, gestion compliquée des enfants éventuels et angoisses liées au télétravail ou à l'absence de travail, il semblait effectivement indispensable de trouver des façons de s'évader.

Mère de deux enfants, Rachel a démarré fin mars après avoir été inspirée par quelques publications Instagram. «Ça me donnait l'impression de quelque chose de facile et d'apaisant, qui ne demande aucun prérequis et aucun autre matériel qu'un tapis de sport. Je me suis rendu compte que ça n'était pas tout à fait vrai.»

Après s'être isolée avec son smartphone dans la chambre conjugale, Rachel a tenté d'enchaîner les postures... et sa première séance a été un fiasco total. «Je me suis basée sur une vidéo diffusée en accéléré. Je ne suis pas idiote, c'était tout à fait clair que la vidéo n'était pas en vitesse réelle, là n'est pas le problème. Mais je crois que ça m'a quand même perturbée dans l'exécution des enchaînements. Je n'ai pas assez ralenti la cadence par rapport à ce que la vidéo me montrait, j'ai essayé d'être dans la performance, et j'ai terminé avec le sentiment d'être nulle.»

Quelques recherches supplémentaires et des discussions avec des pratiquantes expérimentées lui ont heureusement permis de retenter l'expérience de façon plus satisfaisante. «J'ai compris qu'il fallait avant tout que je prenne mon temps, que j'écoute mon souffle et que je profite de ce moment passé avec moi-même. Je ne suis pas devenue la reine du yoga en quelques séances, mais ça tombe bien, car ce n'est absolument pas l'objectif.»

Mauvaises expériences

En mai 2019, un article publié par la revue Cosmos Magazine expliquait que pour un quart des personnes, la pratique de la méditation avait des résultats contraires aux effets recherchés. C'est le résultat d'une étude germano-slovène, à la méthodologie apparemment un peu floue, mais qui a permis à un certain nombre de participant·es de raconter les «expériences particulièrement déplaisantes» vécues en ayant tenté de méditer.

Si l'on en croit l'étude, de tels phénomènes toucheraient davantage les hommes (28,5% d'entre eux seraient concernés, contre 23% des femmes) et les personnes athées ou agnostiques (30,6%, contre 22% des croyantes). Au lieu d'enrayer les montées de stress et les crises d'angoisse, la méditation et le yoga pourraient donc jouer au contraire le rôle de tremplins.

«Ce n'est pas grave de ne pas être hyper souple: les bénéfices, on les a quand on a les bons alignements.»
Leslye Granaud, professeure de yoga indépendante

«Je pense effectivement que la méditation n'est pas forcément une bonne chose pour tout le monde», confirme Leslye Granaud. Prof de yoga indépendante, elle met en garde contre les conséquences d'une pratique non encadrée. «On a tendance à penser que le yoga, ce ne sont que des étirements, que c'est quelque chose de très léger. Sauf que non: c'est un vrai exercice d'alignement. Et quand on le pratique sans accompagnement, on ne fait pas forcément les choses comme on le devrait, et on n'en récolte pas les bienfaits. Ça peut même devenir contre-productif.»

Dans son livre Les belles choses, ce n'est pas que pour les autres, Leslye Granaud raconte son parcours de vie, jalonné de drames et de tragédies, ainsi que sa rencontre fortuite avec le yoga, qui l'aide désormais à traverser l'existence. Elle décrit des débuts difficiles («je n'avais ni le souffle ni la force musculaire pour suivre une heure de yoga sans me sentir épuisée») et une épiphanie progressive.

Photo de couverture: Aliénor Gasperi | First Éditions

Hybride dans sa forme, le livre propose également une dizaine de postures à essayer chez soi. «Ce n'est pas un livre de yoga à proprement parler», commente l'autrice, qui nous donne néanmoins quelques recommandations pour bien démarrer si l'on souhaite s'initier durant le confinement. «Avant tout, il est hyper important de pratiquer devant un miroir: ça permet d'observer ses alignements, de voir comment sont placées son ouverture de hanches, ses mains, ses genoux, son dos.»

Leslye Granaud rappelle aussi que le yoga est principalement une pratique de respiration. «Pas besoin de faire un enchaînement ultra-rapide, on n'est pas en train de faire du cardio: il faut prendre le temps nécessaire pour ralentir sa respiration au maximum, pour que nos mouvements accompagnent notre respiration...»

«Le plus important, conclut-elle, c'est de chercher à faire les choses consciencieusement. Ce n'est pas grave de ne pas être hyper souple: les bénéfices, on les a quand on a les bons alignements.»

À chaque public ses pratiques

Pratiquer en couple peut être une bonne idée, afin d'être le miroir de l'autre et de profiter ensemble d'un moment apaisant. Les enfants peuvent également être intégrés aux séances, mêmes si celles-ci doivent être adaptées, donc plus courtes et plus pédagogiques. «Pour qu'ils y trouvent leur compte, il faut leur expliquer le pourquoi de chaque chose, souligne Leslye Granaud. Plus que les adultes, les enfants ont besoin de comprendre pourquoi on leur donne telle consigne. Sinon ils décrochent.»

La spécialiste en profite d'ailleurs pour rappeler qu'en Inde, le yoga est loin d'être aussi doux que ce que notre vision occidentale nous laisse croire: «C'est une discipline militaire, où la notion de douleur est très présente.» De tels rappels permettent d'ailleurs de nous remettre les pieds sur terre: car si derrière chaque posture du yoga pratiqué chez nous se cache une intention (affronter l'insécurité, se pardonner, sortir de sa zone de confort...), tout cela est une invention purement occidentale.

«Non seulement je n'étais pas parvenu à faire le vide, mais en plus, toutes mes idées noires et mes angoisses ne m'ont jamais semblé aussi palpables.»
Frank, patron d'une petite entreprise

«C'est de la réappropriation culturelle», assure Leslye Granaud en décrivant le yoga à l'occidentale. «En Inde, dans les ashrams, ces notions sont très peu présentes. En tout cas, chaque posture n'est pas dédiée à une intention précise, comme c'est le cas chez nous. Tout cela a été créé de toutes pièces par le monde occidental.»

Leslye Granaud pratique le yoga ashtanga, dans lequel on réalise des enchaînements en boucle, les vertus naissant justement des répétitions: «Le yoga est un ensemble de postures qui, imbriquées l'une dans l'autre, donnent un certain type de bienfaits.» Autrement dit, une posture effectuée indépendamment des autres n'est pas censée apporter de grandes et belles choses à elle seule.

Méditation partout

Patron d'une petite entreprise, Frank télétravaille depuis le mois de mars. Dans ce contexte de stress et d'incertitude, il a tenté de trouver refuge dans le yoga et la méditation, disciplines qu'il n'avait jamais pratiquées auparavant. «J'ai parcouru quelques pages sur internet et je me suis lancé. Je l'ai joué très cliché: position du lotus, silence absolu, yeux fermés, et j'ai attendu que quelque chose se passe. Je suis sorti de là encore plus angoissé qu'au début. Non seulement je n'étais pas parvenu à faire le vide, mais en plus, toutes mes idées noires et mes angoisses ne m'ont jamais semblé aussi palpables.»

Ce type de bilan, assez répandu, n'étonne pas Leslye Granaud: «Je connais des gens très angoissés à qui ce genre de méthode de méditation va très bien, mais ils ont des années de pratique. Ils ont été accompagnés, on leur a appris à le faire et je trouve ça très fort. Mais moi, par exemple, comme je suis plutôt très angoissée, j'ai besoin d'avoir une méditation active.»

Cette activité, elle la trouve dans les enchaînements de yoga: «Pour moi, c'est une méditation active. Tu te focalises sur ta respiration, sur tes mouvements, le vide se fait assez rapidement... ça peut être aussi bénéfique qu'en étant assis en lotus sur son tapis. En fait, on peut tout à fait méditer en faisant une activité. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise manière de méditer.»

Si Leslye Granaud estime que démarrer le yoga en confinement peut être une bonne chose, c'est avant tout sur un plan physique. Faire des étirements, prendre conscience de son corps: cela peut être assez essentiel en cette période où l'on a tendance à ne pas prendre assez soin de soi.

L'aspect méditation, lui, peut être trouvé dans tout un tas d'autres activités, y compris la cuisine ou la peinture, à condition de pouvoir prendre le temps de bien faire les choses et d'essayer d'y trouver une certaine harmonie. Devenir pro en yoga attendra. Mais certain·es ont réellement trouvé leur compte en plongeant à corps perdu dans la discipline, comme le confie Lucia: «Sans ça, je n'imagine pas comment j'aurais pu ne pas devenir folle cette année.»

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