Mathieu* avait 18 ans lorsque ses parents ont cessé de financer ses études. Aux portes de l'université, avec un petit boulot qui lui permettait seulement de payer loyer et nourriture, il a dû faire un choix. Pour devenir éligible à l'aide financière aux études –équivalent des bourses du CROUS en France–, il s'est marié avec Laura*, sa copine de l'époque. «En tant que petite fille, ce n'était pas l'idée que je me faisais de mon mariage, raconte-t-elle. Mais on en avait parlé pendant des mois et, aujourd'hui, c'est une bonne histoire à raconter.»
Le couple s'est formé au lycée. Lui avait 16 ans, elle, 15. À l'époque, Laura vivait chez sa mère et occupait un emploi à temps partiel. Mathieu était plus en difficulté. «Il avait beaucoup de dépenses –loyer, nourriture, frais d'école– et son emploi ne lui suffisait plus. Son père faisait assez de revenus, trop pour les critères de bourses, mais il ne pouvait clairement pas l'aider», décrit Laura. L'idée du mariage étudiant leur a alors traversé l'esprit, sans pouvoir les quitter. «On s'aimait, mais ce n'était pas que pour ça qu'on s'est marié. Dans nos familles, on connaissait des personnes qui avaient fait pareil pour les bourses. Se marier, c'était simplement une des façons pour lui de continuer d'aller à l'école.»
En 2013, deux ans après le premier «Je t'aime», le couple s'unit devant la loi. «J'ai emprunté une robe blanche à une amie et lui avait mis sa plus belle chemise», se rappelle-t-elle. Un mariage simple et deux signatures qui leur ont permis de débloquer des milliers de dollars.
Mathieu et Laura, lors de leur mariage, en 2013. | DR
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La solidarité familiale, un préjugé dépassé?
Au Québec, comme en France, les critères d'attribution de bourses reposent sur un principe simple: la solidarité familiale. On suppose que les parents qui en ont les moyens vont participer aux frais d'études de leurs enfants. Or, ce n'est pas toujours le cas.
Mathieu n'était pas considéré autonome aux yeux du gouvernement. En effet, les programmes d'aide financière ne reconnaissent l'indépendance d'un élève que s'il répond à des critères précis:
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Avoir complété un baccalauréat –équivalent d'une licence en France
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Avoir un enfant
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Avoir travaillé pendant deux ans sans étudier à temps plein
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Avoir signé un contrat de mariage ou d'union civile
Grâce à cette autonomie administrative, les bourses sont déterminées en fonction des propres revenus de l'étudiant·e et non ceux de sa famille. Dans le cas de Mathieu et Laura, leur mariage leur a permis d'accéder aux prêts et bourses: entre 320 et 510 euros par mois selon le niveau universitaire de Laura, un peu moins pour Mathieu. «Les prêts l'ont vraiment aidé, ils lui ont permis de se rendre à l'université et mes bourses m'ont fait me concentrer sur mes études sans avoir à travailler à temps plein à côté», relate-t-elle. Selon Statistique Canada, en 2016, 12.560 Québécois et Québécoises de moins de 24 ans étaient mariées ou divorcées. Pour les moins de 19 ans, cela représente un jeune sur 1.000.
Aujourd'hui, environ 20% des boursières et boursiers sont mariés ou unis civilement.
Interrogé par Slate, le ministère de l'Enseignement supérieur du Québec rappelle que les critères d'autonomie ont été établis en 1990, lors de l'adoption de la Loi sur l'aide financière aux études. Selon eux, «les critères actuels ont été identifiés comme représentant les situations où normalement les étudiants ne sont plus sous la charge des parents». Mais pour Charles Fleury, professeur en sociologie à Québec et directeur du Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales de l'Université Laval, les critères d'autonomie de l'aide financière aux études peuvent être loin des réalités sociales. «Le problème est qu'on prend pour acquis que, si les parents ont les moyens, ils vont nécessairement aider, ce qui n'est pas le cas. Les parents ont un pouvoir: ils peuvent décider pour l'enfant, privilégier l'un de leurs enfants ou ils peuvent ne pas être en capacité d'aider. Dans leurs programmes sociaux, les pays nordiques se méfient de ces logiques familiales par leurs aspects inégalitaires et discrétionnaires.»
Pour l'heure, les critères ne sont pas sur le point de changer. En 2018, les prêts et bourses gouvernementaux au Québec ont été accordés à 73.113 étudiant·es autonomes. Mais ce chiffre serait bien plus élevé si les aides étaient plus accessibles, souligne Jade Marcil, présidente de l'Union étudiante du Québec. Elle rappelle qu'il existe d'autres moyens que le mariage pour obtenir l'aide financière aux études: la déclaration de situation familiale particulière ou la demande dérogatoire. Pour elle, le gouvernement pourrait facilement améliorer ses programmes de prêts et bourses en mettant en place «une déclaration de non-contribution du parent aux études, signée du parent et de l'étudiant. Cela pourrait éviter ces situations, sans parler des étudiants qui s'endettent auprès d'organismes privés».
Une stratégie ancienne
Se marier pour ne pas s'endetter était une stratégie bien connue au début du programme d'aide. Aujourd'hui, environ 20% des boursières et boursiers sont mariés ou unis civilement. En 2018, ils représentaient alors 33.753 étudiants, soit 40% de plus qu'en 2010. Selon Bryan St-Louis, responsable des relations de presse au ministère de l'Enseignement supérieur, cela est la conséquence de changements démographiques plus globaux: «Les étudiants mariés ou unis civilement ont un profil différent. Ils sont plus âgés et la majorité d'entre eux ont un enfant à charge.»
Jade Marcil, de l'Union étudiante du Québec, assure que le mariage pour les bourses est moins courant qu'auparavant. «Dans la majorité des cas, ce sont déjà des couples qui sont ensemble et qui décident de passer au mariage. Ce sont des personnes qui, dans les faits, sont indépendantes de leurs parents, et veulent obtenir cette autonomie administrative», analyse-t-elle.
«Ce qui a changé, c'est que les jeunes se marient véritablement.»
Le professeur et sociologue spécialiste de la jeunesse, Jacques Hamel, va dans son sens. «Le phénomène est loin d'être nouveau, explique-t-il, depuis l'université de Montréal. Il existait à mon époque. C'était surtout une stratégie en trompe-l'œil: les gens laissaient croire qu'ils étaient mariés pour obtenir le financement. Parfois, ils allaient jusqu'à mettre dans la garde-robe de la présumée conjointe des vêtements du mari pour faire diversion.» Prouver la véracité de l'union était primordial car, au Québec, un mariage feint est une fraude passible d'emprisonnement. Aujourd'hui, les faux mariages se font plus rares: «Ce qui a changé, c'est que les jeunes se marient véritablement, soutient Jacques Hamel. Ce n'est plus du faux-semblant, ils se disent “on ne sait pas trop si ça va durer, mais c'est une façon de financer les études”.»
En se mariant, Mathieu et Laura ont pensé à leur avenir, mais ont aussi anticipé la situation en cas de séparation. Chacun·e a gardé son compte en banque, ses dettes étudiantes et a promis une chose: «Si ça ne marche pas entre nous, on essayera de rester mariés jusqu'à la fin de nos programmes universitaires, si ça marche, on aimerait recélébrer ça quand on aura fini nos études, avec plus de temps et plus d'argent.»
*Les prénoms ont été changés.