Grandir, en pleine pandémie. Pour les enfants, la période actuelle est synonyme d'interdits, notamment dans le milieu scolaire. «Ne pas se toucher, ne pas se prêter les affaires, ne pas travailler en groupe», raconte Maeva, professeure des écoles dans l'Essonne. Avec ses élèves de CE1, la vie en communauté a radicalement changé depuis le mois de mai et la sortie du premier confinement.
«D'habitude, les élèves sont tous ensemble dans la cour de récré. Mais maintenant, on a plusieurs créneaux. Les élèves sont répartis par zones, pour éviter le brassage. En clair, un élève qui a un copain dans une autre classe ne pourra pas jouer avec pendant la récréation.»
À un moment de leur vie où ces enfants apprennent le vivre-ensemble, notamment par le jeu, il doivent aussi apprendre à vivre avec le virus. Cela pourrait avoir des conséquences, notamment sur leur développement psychosocial.
Comment parler de la mort à un enfant?
«Il ne faut pas négliger les enfants», insiste Catherine Verdier, psychologue pour enfants au Luxembourg. Là-bas, le port du masque est obligatoire pour les enfants de plus de 6 ans depuis plusieurs mois déjà. «Même s'ils ont tendance à respecter plutôt bien cette obligation, elle reste pour eux le signe d'un danger à l'extérieur. On porte un masque pour que l'autre ne meurt pas. Et les enfants se sentent comme de possibles vecteurs de mort.»
La période du Covid-19 aurait ainsi révélé des angoisses de mort chez de très jeunes enfants. «Comme chez les adultes, il y a chez les enfants de grands angoissés. Ces derniers ont beaucoup de questionnements par rapport à la santé et à la mort. Beaucoup de tics et de TOC sont par exemple réapparus après le premier confinement alors qu'ils étaient en train de disparaître.»
«Pendant le confinement, c'est arrivé une ou deux fois à ma fille d'avoir des crises de panique.»
Lyla, maman de 34 ans, a justement dû faire tout un travail de pédagogie avec sa fille. La petite s'apprête à fêter ses 6 ans le mois prochain. «Pendant le confinement, ça lui est arrivé une ou deux fois d'avoir des crises de panique car elle avait surpris une conversation qui parlait des morts ou qui évoquait les hospitalisations…»
Pour cette mère, les questionnements deviennent alors nombreux. Comment parler de la mort à une enfant d'à peine 6 ans, sans la brusquer? «On ne peut malheureusement pas mettre les enfants dans une bulle. Le Covid-19 est quand même là et on ne peut pas l'ignorer. Alors en tant que parents, on essaye de trouver le juste milieu pour en parler.»
Faire un travail de pédagogie
Dans les salles de classe, c'est aussi une tout autre organisation qui a dû être trouvée par les enseignants. «On est obligés de respecter une distanciation sociale d'un mètre entre les élèves et ça change énormément de choses dans le lien entre le professeur et l'élève, rapporte Maeva. Ça nous empêche par exemple de disposer la classe en blocs rectangulaires. Dans cette disposition, les enfants se font face et ça permet de créer une dynamique de groupe qu'on ne peut plus avoir aujourd'hui.»
Ce qu'apprennent finalement les élèves, c'est la vie avec le virus. Un virus qu'ils ont parfois du mal à appréhender, et que seuls les adultes peuvent leur expliquer. Encore faut-il que ces derniers soient eux-même capables d'y faire face.
«Si l'on n'explique pas clairement aux enfants ce qu'il se passe, et notamment qu'ils n'en sont pas responsables, on va laisser vivre les peurs.»
«Les enfants imitent les parents, ils sont en lien direct avec leurs émotions, explique Catherine Verdier. Quand les parents ont du mal à mettre des mots, les enfants restent avec leurs questionnements, qui sont des interrogations d'enfants. Et ils peuvent se retrouver complètement à côté de la plaque. Si l'on n'explique pas clairement aux enfants ce qu'il se passe, et notamment qu'ils n'en sont pas responsables, on va laisser vivre les peurs.»
Pour sa part, Lyla a préféré faire le travail de pédagogie auprès de sa fille avant même que le masque ne devienne obligatoire. «En leur expliquant avec un langage à leur niveau, ils le vivent bien. Ce masque, ma fille le voit au fond comme une protection. C'est quelque chose dont on parle tellement, entre les spots publicitaires, les personnes qui le portent dans la rue… Cette fois, elle se dit qu'elle se protège. Comme les grands!»
Apprendre au temps du Covid-19
Mais qu'en est-il des tout-petits, ceux dont le cerveau est en plein développement? D'après Anna Cognet, psychologue clinicienne et cosignataire d'une tribune intitulée «Ne jetons pas les besoins des bébés avec l'eau du bain», des répercussions pourraient se faire sentir chez les très jeunes enfants en âge d'aller à la crèche.
«Les enfants observent et apprennent par imitation, ce qui pourrait entraîner d'éventuels retards de langage, assure-t-elle. D'autre part, l'enfant pourrait ressentir un sentiment d'inconfort, de malaise au contact de personnes masquées qu'il va peiner à différencier les unes des autres et dont il peinera encore plus à décrypter les intentions.» Anna Cognet souligne que certains problèmes pourraient également se poser pour les enfants à partir du CP. «Ça risque de ne pas être simple non plus pour les enfants qui apprennent à lire, mais eux sont plus grands et ont des bases plus solides.»
Cette inquiétude, Maeva l'a tout de même ressentie à de multiples reprises depuis que le masque lui est devenu obligatoire pour enseigner à ses élèves de CE1. «Quand on s'adresse à un élève, ce n'est pas gênant. Ça le devient beaucoup plus quand ils sont vingt-cinq, regrette-t-elle. Je me pose notamment des questions pour ce qui est des cours de phonologie. L'apprentissage des sons est une partie importante des cours de CE1. Avec les masques, c'est très difficile pour eux d'entendre le son correctement ou même de repérer le mouvement de la bouche afin de le prononcer. Jusqu'ici, j'étais seule à porter le masque.» Mais elle le sait, cette rentrée est différente. «Cette fois, tout le monde le porte.»