Politique / Société

Perquisition au domicile d'Olivier Véran: que cherche l'autorité judiciaire?

Temps de lecture : 4 min

[TRIBUNE] François Fillon, Éric Dupont-Moretti... L'acharnement dans les affaires visant des responsables publics pose des questions sur l'état d'esprit d'une partie de la magistrature.

L'autorité judiciaire trouve-t-elle son compte dans l'inversion de la maxime: «Selon que vous serez puissant ou misérable …»? | Tingey Injury Law Firm via Unsplash
L'autorité judiciaire trouve-t-elle son compte dans l'inversion de la maxime: «Selon que vous serez puissant ou misérable …»? | Tingey Injury Law Firm via Unsplash

Beaucoup des recours introduits au sujet du coronavirus visent à punir les responsables politiques, administratifs et économiques pour ne pas avoir su anticiper et combattre le fléau. Le juge pénal –et, pour ce qui concerne les ministres, la Cour de justice de la République– sont saisis de multiples plaintes à l'encontre des dirigeants publics ou privés qui, par leurs défaillances fautives, auraient mis en danger la vie d'autrui. La justice est ainsi appelée, nouveau tribunal de l'Inquisition, à châtier ces empoisonneurs des temps modernes que sont les pouvoirs publics, les employeurs et les directeurs d'Ehpad.

L'actualité montre qu'elle ne reste pas sourde à cet appel.

Un collectif a porté plainte contre Agnès Buzyn, Édouard Philippe et Olivier Véran, au motif qu'ils «avaient conscience du péril et disposaient des moyens d'action, qu'ils ont toutefois choisi de ne pas exercer». La commission des requêtes de la Cour de justice de la République, censée filtrer les plaintes, a jugé que neuf d'entre elles étaient recevables. Cette décision n'est pas restée sans conséquence puisque, le 15 octobre, alors que la lutte contre la seconde vague de la pandémie requiert, dans l'intérêt supérieur de la Nation, l'entière disponibilité du ministre de la Santé, la commission de l'instruction de la même Cour de justice de la République envoie une escouade d'enquêteurs perquisitionner son domicile. Il faut une singulière grandeur d'âme à Olivier Véran pour se battre sur tous les fronts, y compris lorsqu'il est surpris, sur son flanc arrière, par cette partie de l'État qui semble s'acharner contre l'État.

Par son caractère symptomatique, cette affaire pose une série de questions sur l'état d'esprit qui, depuis une cinquantaine d'années, a gagné une bonne partie de la magistrature, y compris au sommet de la hiérarchie judiciaire. Que cherche l'autorité judiciaire en multipliant les actions tonitruantes contre les responsables publics? À affirmer son pouvoir? À prendre une revanche sociologique sur ses conditions de travail (il est vrai, indécentes) ou sur la dégradation de son image?

Tant au stade de l'enquête qu'à celui de l'instruction, puis du jugement, la rigueur des solutions retenues contre les détenteurs de l'autorité légitime contraste avec la mesure dont bénéficient les auteurs d'infractions lorsqu'ils appartiennent aux couches modestes de la société. Tandis qu'un ancien président de la République est mis en examen pour la énième fois (les précédentes ayant tourné court en raison de la vacuité des charges), sur la foi d'affirmations proférées par un aventurier dans l'affaire dite du financement libyen, on découvre que le meurtrier de Victorine Dartois, bien que condamné à une dizaine de reprises, a toujours bénéficié d'aménagements de peine. La justice et la société trouvent-elles leur compte dans l'inversion de la maxime: «Selon que vous serez puissant ou misérable …»?

Comment ne pas lire, dans la sévérité manifestée par le tribunal correctionnel à l'égard de François Fillon, l'exaspération d'une corporation qui refuse de répondre de ses biais idéologiques et de ses pratiques, après l'émotion déclenchée par les propos d'Eliane Houlette (ancienne procureure de la République financière) et la révélation, dans l'«affaire Bismuth», d'une collecte prolongée, par le parquet financier, des «fadettes» relatives aux communications téléphoniques de nombreux avocats?

Comment comprendre que les deux principaux syndicats de magistrats, professant une conception fort extensive du conflit d'intérêts, boycottent publiquement le garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti, au motif que, dans cette affaire de fadettes, celui-ci a attendu que soit menée à son terme une enquête administrative? Celle-ci est pourtant justifiée et présente toutes garanties d'impartialité. Le garde des Sceaux a par ailleurs précisé que, si décision disciplinaire il y avait ultérieurement à prendre, il en laisserait le soin au Premier ministre… Que peut-il faire d'autre sinon enterrer cette enquête pour la seule et étrange raison qu'il a été victime des agissements sur lesquels elle porte?

Les dysfonctionnements des pouvoirs publics ne doivent bénéficier d'aucune immunité.

Quel message veulent émettre les membres de la commission de l'instruction de la Cour de justice de la République en dépêchant au domicile de ministres et d'anciens ministres, 80 enquêteurs de l'office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP) et de l'office de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF)? On aurait aimé que le quart de la moitié de ce déploiement de force publique ait protégé Samuel Paty de la barbarie islamiste.

Le projet de loi constitutionnelle déposé par le gouvernement en 2018 prévoyait de rapprocher du droit commun la mise en cause de la responsabilité pénale des ministres dans l'exercice de leurs fonctions, au motif que les dispositions actuelles, relatives à la Cour de justice de la République, seraient trop favorables à l'exécutif. Quand on voit à quelle brutalité, à quelle indifférence à l'égard du bon fonctionnement des pouvoirs publics, conduit l'application des actuelles dispositions, on n'ose imaginer ce que produiraient des dispositions moins complaisantes.

Les dysfonctionnements des pouvoirs publics, patents dans la genèse de la crise sanitaire actuelle, ne doivent bénéficier d'aucune immunité. Ils engagent la responsabilité politique des dirigeants dans la mesure où des erreurs graves d'arbitrage seraient identifiées par les enquêtes parlementaires en cours. Ils sont connus de l'électorat qui pourra en tirer, le jour venu, les conséquences dans le secret de l'isoloir.

Ils mettent peut-être en jeu la responsabilité pécuniaire de l'État. Ils commandent surtout des réformes des circuits décisionnels, tant ces dysfonctionnements sont en réalité imputables, non au mauvais vouloir de tel ou tel, mais à la dilution des prérogatives. On ne voit pas en revanche en quoi serait engagée la responsabilité pénale des titulaires récents des fonctions ministérielles concernées, sauf à faire de la répression pénale, la garante d'une illusoire obligation de résultat et à donner une portée abusive, contraire à la volonté du législateur, aux dispositions du Code pénal relatives aux infractions non intentionnelles.

La justice veut affirmer son indépendance. Fort bien, mais a-t-elle besoin pour autant de camper médiatiquement un contre-pouvoir purificateur et d'alimenter la crise de confiance qu'éprouve notre pays envers ses institutions?

L'indépendance de la justice est aujourd'hui entière. Après le «Mur des cons», c'est son impartialité qu'elle devrait manifester. Quel bénéfice peut trouver l'institution judiciaire à concourir au discrédit des institutions, au moment où celles-ci devraient se montrer solidaires face à la crise sanitaire, économique et sociale, comme face au communautarisme et au djihadisme?

Jean-Éric Schoettl est l'ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.

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