Économie

Mercedes aussi doit faire des économies

Temps de lecture : 4 min

Le prestige de l'étoile et le «made in Germany» ne sont plus suffisants pour garantir les marges du constructeur de voitures de luxe.

Dans l'accord entre Daimler et Renault, le groupe allemand est celui des deux qui se remet le plus en question. De tous temps, sa division Mercedes a été convaincue que sa réputation de qualité et de robustesse auréolée du prestigieux «made in Germany» la protégerait des contre-performances. Car la qualité se paie. Et Mercedes pouvait ainsi pratiquer de belles marges sur les prix de vente. Fort de cette stratégie, le groupe a toujours marqué sa différence avec d'autres constructeurs généralistes. Certes, ses modèles couvrent toutes les segments ou presque, mais uniquement dans le haut de gamme — même pour les petites voitures. On ne brade pas l'étoile de la marque!

Au départ, des logiques symétriques et complémentaires

Tout cela est un peu dépassé. Les autres constructeurs proposent des modèles concurrents de plus en plus fiables et bien équipés à des prix plus compétitifs, obligeant Mercedes à répliquer sur le plan tarifaire pour que le prestige de l'étoile continue d'attirer la clientèle. Mais les marges s'en ressentent. Et voilà Mercedes obligé de rechercher des économies d'échelle comme tout constructeur généraliste... tel Renault.

C'est une des raisons de fond de l'accord noué par Dieter Zetsche, PDG de Daimler, et Carlos Ghosn, patron de Renault. Pour le groupe français et son allié japonais Nissan, la problématique est totalement symétrique. Renault est un spécialiste des modèles économiques et des productions de masse (2,3 millions de véhicules l'an dernier y compris les utilitaires légers, contre 1,1 million pour Mercedes) mais n'est jamais parvenu à percer dans le haut de gamme, comme l'ont encore montré ses déconvenues avec feu la Vel-Satis qui, dans sa version supérieure, était dotée d'un moteur Nissan.

Surtout, anticiper la pression chinoise

En se rapprochant, les deux constructeurs répliquent à la montée en puissance prévisible de leurs concurrents chinois qui, très vite, ne manqueront pas de porter leur offensive commerciale sur le marché européen avec des modèles aux prix forcément plus compétitifs. Pour Carlos Ghosn, avec sa vision mondiale de l'industrie automobile, ces concurrents ne resteront pas confinés à l'intérieur de leurs frontières, tout comme les Japonais partirent à la conquête des Etats-Unis voilà trente ans. En 2009, la Chine est devenue le premier marché automobile mondial avec 13,5 millions de véhicules vendus (en hausse de 45% sur un an!) distançant le marché nord-américain (10,4 millions d'immatriculations aux Etats-Unis et 1,5 million au Canada).

En Europe, la France a terminé l'année avec 2,3 millions d'immatriculations et l'Allemagne 3,8 millions. Certes, en additionnant les pays de l'Union européenne et ceux de l'AELE, on arrive à un totale de 14,5 millions d'unités en Europe. Mais les constructeurs sur ces marchés ne peuvent espérer au mieux que de très faibles progressions de leurs ventes, sans commune mesure avec l'explosion en cours en Asie. Les constructeurs chinois, eux, sont portés par une demande intérieure en progression permanente.

Nés de co-entreprises avec des Européens, ils peuvent maintenant, grâce au soutien des pouvoirs publics, produire leurs propres gammes de véhicules, les faire technologiquement évoluer plus vite que les constructeurs européens ou américains (ils disposent des capacités nécessaires en recherche et développement), et racheter d'anciennes gloires occidentales (comme Volvo vendu par Ford à Geely). Il faudra, dans les prochaines années, pouvoir relever les défis lancés par ces nouveaux venus, tant sur le plan des tarifs que de la technologie.

Avant tout, rechercher les gros volumes pour abaisser les coûts unitaires

Aussi, grâce à un rapprochement qui permettra aux trois marques (Renault, Daimler et Nissan) d'utiliser des composants communs, ils bénéficieront d'économies d'échelle pour abaisser les coûts de production par véhicule, et mettront éventuellement au point des plateformes communes à partir desquelles chaque marque pourra concevoir ses propres modèles. Mettre au point une plateforme nécessite un investissement aussi lourd que la construction d'une usine. Pour Mercedes qui souhaite améliorer la compétitivité des remplaçantes de ses actuelles Classe A et B, un accord de ce type s'imposait. Or, Renault était le mieux placé des partenaires potentiels.

D'abord, les deux groupes sont confrontés aux mêmes impératifs que leurs concurrents qui, eux-aussi, cherchent à améliorer leur productivité en réduisant les coûts de leurs composants. Renault, sur ce plan, a déjà obtenu de bons résultats avec Nissan, de nature à rassurer Mercedes. C'est aussi la stratégie mise en oeuvre par Volkswagen avec les autres marques Audi, Seat et Skoda du même groupe, ou PSA Peugeot-Citroën qui installe des moteurs à essence BMW sur certains modèles ou s'associe à Toyota pour produire ses voitures urbaines. La liste est longue.

Pour la Smart, une histoire mouvementée et une logique industrielle

Ensuite, Renault a une longue expérience des petits modèles économiques. Depuis la 4CV lancée en 1946 jusqu'aux actuelles Twingo en passant par les 4L et autres R5, la marque au losange a souvent innové sur ce segment. Elle fut même sollicitée dans les années 90 pour relever le défi de Nicolas Hayek, fondateur du groupe Swatch, qui voulait démontrer qu'il était possible de produire une mini-voiture bourrée d'électronique moins cher que toutes les voitures du marché. Mais Renault, qui venait de lancer la Twingo non sans hésitation tant les prix devaient être serrés, déclina la proposition.

Le français fut critiqué pour sa frilosité et Volkswagen s'engagea dans ce projet... avant de s'en retirer également, laissant l'avenir de la Swatchmobile aux mains de Mercedes en 1998. La Smart vit le jour, mais sans rapport avec l'inaccessible cahier des charges du patron de Swatch, qui se retira du projet. Renault avait vu juste: malgré son succès, la petite «For two» de Smart commercialisée à un prix bien supérieur à ce qu'avait imaginé Nicolas Hayek, n'est pas rentable pour Mercedes. Les volumes de vente sont trop limités, elle doit s'inscrire dans des économies d'échelle que Renault peut lui apporter.

Déjà, de timides coopérations entre les deux groupes

Enfin, côté recherche et développement, les deux groupes ont déjà travaillé ensemble dans le cadre du programme européen Prometheus qui, il y a une vingtaine d'années, visait à développer des systèmes électroniques devant permettre aux voitures de communiquer avec leur environnement. Pour mettre au point les véhicules électriques de demain, qui intègrent tous les paramètres de productivité uniquement accessibles à travers des fabrications de masse, les deux constructeurs ont besoin de se rapprocher. Et d'inclure Nissan qui a déjà développé un concept de batterie spécifique avec NEC, spécialiste japonais de l'électronique.

Gilles Bridier

LIRE EGALEMENT SUR L'INDUSTRIE AUTOMOBILE: Renault revient 25 ans en arrière, Ce qui est bon pour Renault n'est pas bon pour la France et Geely, le petit constructeur qui offre Volvo à la Chine.

Image de Une: la fameuse étoile Mercedes sur une berline de classe S Kai Pfaffenbach / Reuters

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