Société

Fractionné, inversé, annulé: Noël devra être réinventé à cause du Covid

Temps de lecture : 8 min

Partout en France, des familles planifient des festivités différentes, afin de minimiser les risques liés au virus. Pour mieux rattraper le temps perdu en 2021?

Les familles seront-elles séparées à Noël avec le Covid-19? | S&B Vonlanthen via Unsplash
Les familles seront-elles séparées à Noël avec le Covid-19? | S&B Vonlanthen via Unsplash

Il est fort probable que vous n'ayez pas vu Tout... sauf en famille, comédie de Noël sortie chez nous en douce le 31 décembre 2008. Même s'il est bizarrement fagoté, le titre français du film en résume mieux le contenu que le titre original, Four Christmases. Reese Witherspoon et Vince Vaughn y interprètent un couple ayant pris l'habitude de se tirer au soleil pour les fêtes de Noël afin d'éviter une quadruple corvée. Leurs parents respectifs ayant divorcé et refait leur vie avec fracas, célébrer les fêtes avec eux reviendrait en effet à enchaîner quatre repas en petit comité, dans quatre maisons différentes.

Cette année-là, les conditions météo ayant eu raison de leur vol vers les îles Fidji, Kate et Brad n'ont pas d'autre choix que d'accomplir leur devoir familial. Parfois très drôle et parfois très plat, le film montre à quel point il est difficile de se construire en tant qu'adulte lorsqu'on a dû composer très tôt avec un terreau familial totalement instable.

Foyers recomposés ou non, il semble qu'un nombre croissant de familles de France et de Navarre s'apprêtent à vivre ce genre de fêtes de fin d'année, en multipliant les visites fractionnées pour éviter les grandes tablées et transformer leur réveillon ou leur déjeuner de Noël en cluster géant. Pour celles et ceux –surtout celles– qui anticipent et préparent les festivités des mois à l'avance, la question est déjà en train de se poser. Pour une partie des familles, elle est même déjà réglée: cette année, puisqu'il n'est pas question de fêter Noël entassé·es à vingt dans la salle à manger de mamie, il va falloir redéfinir les règles.

«Le grand réveillon habituel va être remplacé par trois plus modestes.»
Doussouba, 38 ans

Doussouba a 38 ans et trois garçons âgés de 2 à 9 ans. Pour elle, l'important est de ne pas priver grands-parents et petits-enfants de souvenirs partagés. «Je le dis sans aigreur, mais cela fait des années que je ne prépare plus Noël pour moi. L'important, c'est que mes parents puissent profiter de mes fils et de leurs autres petits-enfants.»

Avec son frère et sa sœur, qui ont également des enfants, Doussouba est d'ores et déjà en train d'organiser un planning de Noël. «Le grand réveillon habituel va être remplacé par trois plus modestes, c'est-à-dire moins longs et avec moins d'invités à chaque fois. Tour à tour, chaque membre de la fratrie ira fêter son petit Noël avec ses enfants et nos parents. Dans le respect des gestes barrières.»

Mauvaise fortune, bon cœur

Même si elle a un peu le cœur serré, Doussouba sait qu'elle prend la bonne décision: «Je ne voudrais pas que ce Noël 2020 finisse par être celui au cours duquel tout le monde a attrapé le coronavirus parce qu'on aurait refusé de faire attention. C'est un peu triste, mais si tout va bien on se rattrapera l'an prochain.»

Niveau charge mentale, Doussouba a l'impression que cette réorganisation des fêtes de Noël ne sera pas plus lourde que lors d'une année classique. «C'est juste différent: mes parents vont devoir préparer trois dîners, mais ils sont à la retraite et ils adorent ça. Je dois penser à préparer des colis suffisamment tôt pour que mon frère et ma sœur aient leurs cadeaux de Noël à temps. Et puis ça nécessite de jongler un peu en termes de calendrier, parce qu'il faut aussi caser un autre Noël avec ma belle-famille, un peu sur le même principe.»

En revanche, le voyage en voiture sera moins compliqué («Ça fait beaucoup moins de cadeaux à mettre dans le coffre, à l'aller comme au retour»), tout le stress lié à la préparation d'un repas pour dix-sept personnes («C'est bien plus simple de bricoler un apéro dînatoire pour six»). Bref, Doussouba et son clan ont décidé de se montrer pragmatiques et de jouer la carte de la positivité, pour que malgré la situation sanitaire, Noël 2020 reste un cru de qualité.

«C'est une fête très importante dans nos deux familles, et on tient à ce que personne ne soit triste ou jaloux.»
David, 37 ans

La refonte des fêtes s'avère cependant plus difficile chez certaines familles que pour celle de Doussouba (de classe moyenne voire supérieure, où aucune séparation ni divorce n'est à mentionner, et où tout le monde vit à moins de 120 kilomètres des grands-parents). C'est d'ailleurs pour cette raison que Clothilde* et David*, la trentaine, ont d'ores et déjà prévu de ne pas se déplacer pour les fêtes, et de vivre Noël en confiné·es volontaires en compagnie de leurs enfants de 18 mois et 4 ans.

Installé à Martigues (Bouches-du-Rhône) depuis près de dix ans, le couple avait pris l'habitude de rendre visite aux parents de l'une et de l'autre à chaque Noël. «C'est une fête très importante dans nos deux familles, et on tient à ce que personne ne soit triste ou jaloux, explique David. À chaque fois, c'est le périple: ma mère est à Dijon, mes beaux-parents à Angers, et on s'arrange toujours pour passer voir tout le monde. Depuis qu'on a des enfants, c'est devenu plus compliqué, mais jusque-là on s'y tenait.»

À chaque Noël, le couple en profite pour rendre visite à autant de frères, sœurs, cousin·es et ami·es d'enfance que possible. «Elle et moi, on vient de familles nombreuses, et on n'est pas loin d'être les seuls à avoir déménagé loin. Alors forcément, quand on rentre, il faut faire la tournée des grands ducs. Ça fait plaisir, et en même temps c'est contraignant et crevant.» Cette année, Clothilde et David ont tout simplement décidé d'annuler leur voyage traditionnel.

«Sur place il aurait été impossible de se protéger et de protéger tout le monde, explique David. C'est particulièrement le cas dans ma famille, où tout le monde a tendance à passer à l'improviste, à s'inviter pour l'apéro, à décider au dernier moment que tel ou tel enfant peut rester dormir chez son oncle ou ses grands-parents... C'est un gros foutoir dans lequel j'ai toujours vécu, mais qui ne me semble pas concevable cette année. Or je n'ai pas l'impression que mes frères et sœurs aient changé quoi que ce soit à leur façon de vivre...»

Le 24 à quatre

Pour éviter les incidents diplomatiques et les vexations, le couple restera à Martigues, en vase clos. «On va se faire un petit Noël intime, avec nos mômes. On aura bien le temps d'aller voir la famille et les potes quand tout ça sera fini. Et puis j'avoue que ça va être sacrément plus reposant, et après cette année horrible, ça ne nous fera pas de mal de finir 2020 au calme.»

Mais quelle a été la réaction des parents de Clothilde et David? La pilule a-t-elle été facile à avaler? David bafouille: «En fait, ça fait dix jours qu'on doit leur dire, et pour l'instant on n'y arrive pas. J'entends d'avance ma mère me faire du chantage affectif, et l'idée de devoir lui expliquer que je fais ça pour son bien, comme si je parlais à une gosse, ça ne me réjouit pas du tout. On va finir par prendre le taureau par les cornes, il n'y a pas d'urgence absolue...»

«On n'est plus des enfants: un Noël décalé ou pas de Noël du tout, ça ne va pas nous tuer.»
Ange, 28 ans

Proches de la trentaine, Ange et Hugo ont également décidé de ne pas rendre visite à leur famille pour Noël. «La santé de ma mère est fragile et la femme de mon frère doit accoucher en novembre, explique Ange. Avec Hugo, ça nous a vite semblé normal de renoncer à aller leur rendre visite pour ce Noël. Mes parents vont juste inviter mon frère, ma belle-sœur et leurs deux enfants, ça fera six personnes, c'est raisonnable et assez gérable, d'autant que ce sont des gens qui ne boivent pas ou plus d'alcool. Nous, on ira sans doute voir mes parents en janvier... On n'est plus des enfants: un Noël décalé ou pas de Noël du tout, ça ne va pas nous tuer.»

Hugo, lui, est fils unique et n'a plus que son père. «Je lui ai proposé de venir dîner avec nous pour le réveillon et de dormir sur le canapé, explique-t-il, mais Noël, il s'en fout, alors il a gentiment décliné.» Résultat: le 24 au soir, Ange et Hugo trinqueront à distance, sur Zoom ou sur Skype, puis passeront une soirée presque normale. «Un cadeau, une séance de Love Actually avec des Ferrero Rocher, et puis basta... de toute façon on vient de déménager, on n'aurait pas vraiment eu le budget pour offrir plein de cadeaux et pour multiplier les pleins d'essence.»

Un Noël sans chausse-pied

Les jeunes adultes n'ont pas été les seuls à réagir au quart de tour. Jacqueline et Bernard, qui viennent de fêter leurs noces d'émeraude (quarante ans de mariage, rien que ça), ont trois enfants et cinq petits-enfants. Parce que son pavillon de banlieue est souvent juste assez grand pour accueillir tout le monde («Il faut un chausse-pied pour s'asseoir à table, et faire dormir tout le monde est toujours un peu folkorique», explique Jacqueline), le couple a décidé que cette année, il allait falloir procéder autrement.

«Cette année, c'est nous qui allons nous déplacer, résume la jeune retraitée. On va prendre la voiture, pour éviter d'avoir des voisins dans le train, et on va rendre visite à tout le monde, les uns après les autres. On gardera bien nos masques, on plongera dans des piscines de gel hydro-alcoolique s'il le faut, et on dormira à l'hôtel pour ne pas encombrer et pour limiter les risques au maximum.»

«On va débarquer avec des carrot cakes et du champagne, en deux heures c'est fait, on plie les gaules et on rentre à l'hôtel.»
Jacqueline, retraitée

Passer ainsi d'un foyer à l'autre n'est pas sans risque, mais Jacqueline et Bernard semblent déterminés à faire preuve d'une vigilance accrue. «Cadeaux dématérialisés quand c'est possible, ou désinfection des paquets sinon, pas de câlins ni d'embrassades, et pas de repas à rallonge! On va débarquer avec des carrot cakes et du champagne, en deux heures c'est fait, on plie les gaules et on rentre à l'hôtel. On a juste envie de voir tout le monde, même sur peu de temps, et de pouvoir gâter ceux qu'on aime malgré tout.»

Le budget de Jacqueline et Bernard n'a rien de mirobolant, mais afin de pouvoir s'offrir l'hôtel en plus des cadeaux à acheter, le couple a pioché dans ses économies («Elles devaient servir pour faire un petit voyage au Portugal, mais ce n'est pas près d'arriver»). Je me risque à une dernière question: et si, à la mi-décembre, Emmanuel Macron annonçait la fin inattendue de l'épidémie, et que toutes les règles sanitaires étaient soudain supprimées?

«Vous croyez au père Noël, me dit Jacqueline en ricanant. Et puis de toute façon, vous savez quoi? On ne leur fait plus confiance. Notre santé, ils s'en foutent, pour eux il n'y a que l'économie qui compte. Donc même avec une telle annonce, je crois qu'on ne changerait plus nos plans pour cette année.» Et joyeux Noël.

* Les prénoms ont été changés.

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