Au printemps dernier, le guide rouge a indiqué l'intention de ses dirigeant·es, dont Gwendal Poullennec, nouveau patron des éditions éponymes, de mener une politique d'entraide en direction des restaurants, bistrots et brasseries soumises à la fermeture exigée le soir dès 21 heures sous peine de contravention.
Nombre d'établissements cotés, étoilés, réputés vont fermer pour le dîner. On voit mal la clientèle française s'y pointer à 18h30 ou 19 heures comme les mangeurs anglais, allemands ou américains.
En France, l'heure cardinale du dîner s'étale de 20 heures à 21 heures: plus le restaurant est luxueux, gastronomique, étoilé, plus le début de service est tardif.
Un service sous cloche
«Ce sont des mesures punitives à l'égard du secteur de la restauration», soulignent les syndicats professionnels. «C'est une fermeture déguisée», ajoute-t-on. «La restauration va payer l'addition. Bien des tables ne pourront ouvrir le soir. Les aides ne suffiront pas à éviter les faillites», indique quant à lui Roland Héguy, président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH). Pour ce syndicat très suivi par les professionnel·les de la restauration, il faut s'attendre à 30.000 défaillances de cafés, hôtels et restaurants, et 200.000 salarié·es en arrêt de travail.
L'extinction des feux à 21 heures signe un coup d'arrêt de l'activité après le déjeuner: un service sur deux n'est pas viable. Les charges de loyer, de salaires, de taxes sont trop importantes.
Olivier Bertrand, patron d'un énorme groupe de 1.000 restaurants et burgers, a suggéré une baisse de la TVA à 5%, ce qui n'a déclenché aucune réaction des pouvoirs publics.
La colère monte dans les cuisines et les salles de restaurants: la profession de métiers de bouche si française se sent incomprise et stigmatisée. Au pays de Marie-Antoine Carême, premier chef historique de notre pays (1784-1833), d'Auguste Escoffier (Le Guide culinaire, 1902) père de la cuisine moderne, de Fernand Point, premier trois étoiles à Vienne aux côtés de la Mère Brazier à Lyon en 1933, de Paul Bocuse son élève, des frères Troisgros et de Michael Lhéritier à Ouches, d'Alain Ducasse (110 millions de chiffre d'affaires), de Joël Robuchon, 32 étoiles sur le globe, de l'École Ferrandi à Paris, où l'on forme les chef·fes, et de la suprématie culinaire des trois étoiles dans l'Hexagone, ces mesures coercitives visant un secteur quasi sinistré sont très mal vécues.
Elles minent le moral et l'énergie des professionnels de la restauration: «Servir est notre métier pour régaler les clients et l'on nous empêche de vivre de notre savoir-faire», entend-on ici et là dans la France des gourmets.
Le Michelin en renfort?
On comprend que le Michelin, organe de référence de la restauration et de l'hôtellerie depuis 1902, soit du côté des tables étoilées ou non (29 trois étoiles), des hôtels de toutes catégories, des bistrots titulaires d'un Bib et des adresses de bonne chère perdues dans la France profonde, comme Régis et Jacques Marcon à Saint-Bonnet-le-Froid, et Gilles Goujon à Fontjoncouse (180 habitant·es dans l'Aude): il fallait les découvrir, et sans le guide ces trois étoiles en puissance n'auraient sans doute jamais été connus, visités et célébrés –on refuse du monde à Fonjoncouse le weekend.
Dans un communiqué publié au début du mois d'octobre, le Michelin maintient la présentation et la sélection annuelle des restaurants et hôtels en janvier 2021 non pas à Cognac comme prévu, mais à Paris (Salle Gaveau?).
Le guide signale «l'éclosion de nouveaux talents sur la scène gastronomique française et un très beau dynamisme des adresses déjà installées. Face à ces défis considérables, la profession continue de démontrer un niveau de combativité et de créativité exceptionnels. Il y aura de nouvelles tables dénichées par le corpus des inspecteurs et inspectrices et de belles expériences gastronomiques.»
Tout cela est bel et bon: le guide doit vivre en dépit de la terrible crise liée aux menaces du coronavirus, il est dans le même bateau que les restaurants et les hôtels cités. Pas de tables, pas de guide Michelin.
En fait, le Michelin 2021 doit se montrer plus généreux dans ses verdicts, ne pas mégoter, favoriser des tables en vue, des chef·fes d'avenir et distribuer plus d'étoiles, car ce sont elles qui font venir les meilleurs mangeurs et mangeuses, qui recherchent des émotions, de la sensualité et l'éblouissement tant attendu. «De la joie», dit Guy Savoy avec raison, quatre fois Meilleur restaurateur du monde.
Voici des suggestions susceptibles d'élargir le nombre de récompenses: c'est le seul moyen pour le guide centenaire de drainer de nouvelles couches de clientèle en quête d'adresses incontournables.
Tables trois étoiles pour 2021
- Taillevent, le grand restaurant ne saurait rester à deux étoiles
Au restaurant Taillevent, les zakouskis. | Mathieu Garçon
- Stéphanie Le Quellec, la magnifique cuisinière a atteint l'excellence à Paris.
- Paul Bocuse, la haute cuisine a été renouvelée par les trois chefs meilleurs ouvriers de France choisis par le grand maître.
- Marc Veyrat à Manigod, le chef savoyard a été injustement sanctionné et rétrogradé à deux étoiles.
À La Maison des Bois de Marc Veyrat, la langoustine. | Richard Haughton
- Bruno Oger à La Villa Archange au Cannet, meilleur chef de Cannes.
- Christian Sinicropi à La Palme d'Or du Martinez à Cannes, un récital d'exception sur la Croisette.
- David Toutain, le meilleur élève d'Alain Passard au sommet à Paris (75007), il a rejoint son maître.
Au restaurant David Toutain, la lotte au curcuma, courgette et verveine citron. | Restaurant David Toutain
- L'Astrance, Pascal Barbot s'installe à l'ex-Jamin avec sa troisième étoile, espérons-le.
Au restaurant L'Astrance, le foie gras mariné au verjus, millefeuille de champignons de Paris, pâte de citron confit. | Richard Haughton
Tables deux étoiles
Il faut plus de capés que cinq tables par an à ce niveau!
- Le Carré des Feuillants, tout près de la place Vendôme, Alain Dutournier grand chef landais.
Au Carré des Feuillants, les asperges vertes au caviar et un œuf frit . | Carré des Feuillants
- Le Chiberta, un nouveau chef Irwin Durand ex-second de Guy Savoy, talent éblouissant.
- La Tour d'Argent, l'étoile unique ne tient pas compte du monument historique, c'est le plus ancien restaurant de France (1480).
- Les Climats, la cuisine personnelle d'Emmanuel Kouri, jolis menus.
Au restaurant Les Climats, les girolles et petits pois à la verveine, fine raviole de faisselle et amande fraîche. | Les Climats
- La Grande Cascade, sous les frondaisons du Bois de Boulogne les plats stylés de Frédéric Robert méritent la seconde absolument.
À La Grande Cascade, le tourteau, chou-fleur et caviar Prunier. | La Grande Cascade
- Loiseau Rive Gauche, de quatre à neuf services. C'est la délicieuse partition d'Omar Dhiab que le Michelin doit distinguer.
- Mori Venice Bar, l'un des trois meilleurs italiens à Paris. Superbe dîner.
- Anne du Pavillon de la Reine, place des Vosges. Régal royal chez Anne d'Autriche.
Au restaurant Anne du Pavillon de la Reine, la chair de tourteau et l'asperge blanche. | Michel Tanguy
- Marcore, Marc Favier enchante ses client·es. Menus tentants.
Au restaurant Marcore, la tarte feuilletée aux quetsches, crème d'amande et sorbet Perrier-menthe. | Marcore
- Penati al Baretto, le prince du risotto aux cèpes et des pâtes à la sicilienne. Exemplaire.
Au restaurant Penati al Baretto, la côtelette à la milanaise et truffe noire de Norcie. | Alberico Penati al Baretto
- Le Jules Verne à la Tour Eiffel par l'ascenseur à 120 mètres. Un repas magistral, unique en France. Déjeuner et dîner, le souvenir d'une vie.
En un mot, le guide France doit démocratiser les tables étoilées, enrichir la sélection si attendue en 2021. Le Michelin n'est pas un annuaire, mais le reflet bien senti de la gastronomie française.