Afin de briser la vague épidémique de Covid-19 qui a déferlé sur la France en début d'année, le gouvernement a décrété des mesures de confinement strictes, appliquées du 17 mars au 11 mai 2020. Durant cette période, les médias se sont fait l'écho de l'initiative des personnels de certains établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), qui ont choisi de se confiner avec les résident·es, pendant plusieurs semaines.
En la matière, la première expérience fut celle de l'Ehpad Vilanova de Corbas, dans le Rhône. Le 18 mars, alors que le confinement venait d'être imposé et que les visites aux résident·es des Ehpad étaient interdites par le ministère de la Santé, la directrice et vingt-huit membres du personnel ont fait le choix de rester dans l'établissement 24 heures sur 24, 7 jours sur 7!
Intrigué·es par cette expérience, nous avons découvert qu'elle n'était pas restée isolée: seize autres Ehpad ont en effet suivi une démarche analogue. Nous avons alors contacté leurs responsables pour les interroger sur les caractéristiques de leur établissement, les modalités de leur autoconfinement, et le nombre de cas de Covid-19 survenus du 1er mars au 28 avril.
Notre équipe de gériatrie de l'hôpital universitaire Charles Foix a ainsi publié mi-août les faits marquants de ces initiatives hors du commun.
Des initiatives décidées par le personnel
Dans la mesure où le SARS-CoV-2, coronavirus responsable de la pandémie de Covid-19, se transmet entre êtres humains, la contamination des résidents et résidentes confinées dans un Ehpad exempt de virus ne survient que si des personnes infectées pénètrent dans l'établissement. Pour protéger les résident·es, décision fut donc prise par les autorités d'interdire les visites aux résident·es des Ehpad, particulièrement à risque de développer des formes sévères de la maladie. Cependant, cette mesure est insuffisante pour bloquer à coup sûr l'entrée du virus. En effet, les allées et venues du personnel sont, elles aussi, à risque. C'est pourquoi a germé, ici et là, l'idée de l'autoconfinement du personnel avec les résident·es.
En pratique, ces initiatives ont eu lieu sur une base volontaire, et elles incluaient les responsables d'établissement. Elles impliquaient, à chaque fois, une personne de l'administration, des infirmièr·es, des aide-soignant·es, une personne chargée de l'entretien, du personnel d'animation et le ou la cuisinière lorsque l'Ehpad avait sa propre cuisine. Quant à la durée, la première période d'autoconfinement avec les résident·es s'est étalée suivant les établissements sur deux, trois ou quatre semaines. Enfin, cinq Ehpad ont entrepris de s'autoconfiner une seconde fois (pour deux à trois semaines suivant les lieux), immédiatement après la fin du confinement, en renouvelant le personnel.
Durant ces temps d'autoconfinement, le personnel a dormi dans des lits d'appoint ou de camping installés dans les bureaux ou dans des locaux collectifs non utilisés (salle à manger, salle de kinésithérapie, locaux d'animation) –trois établissements ayant en outre installé des mobil-homes sur leur parking, pour le repos diurne des employé·es travaillant de nuit.
Les allées et venues de personnes extérieures ont été peu nombreuses. Bien sûr, les médecins ont pu rendre visite aux résident·es qui avaient besoin de consultations, et les ambulanciers venir chercher ceux et celles devant aller à l'hôpital ou en revenir. De plus, quelques visites de famille ont été autorisées dans des situations de fin de vie. Enfin, le personnel des pompes funèbres a pu pénétrer dans les établissements pour la levée de corps. Dans toutes ces situations, les précautions classiques ont été appliquées.
Vingt fois moins de cas de Covid-19, cinq fois moins de décès
Ces dix-sept Ehpad dont le personnel s'est confiné avec les résident·es avaient des statuts juridiques et des capacités d'accueil variées, et se situant dans diverses régions françaises. Neuf d'entre eux (55%) se trouvaient dans des régions où le taux de Covid-19 était important parmi les résident·es d'établissements de ce type. Et la plupart ont connu des difficultés pour fournir du matériel de protection et d'hygiène au personnel (les difficultés les plus fréquemment rapportées dans onze maisons de retraite concernant, pendant deux à six semaines, la disponibilité de masques médicaux).
D'après les données fournies par les directeurs et directrices des dix-sept Ehpad, parmi les 1.250 résident·es, seuls cinq avaient contracté le Covid-19 entre mars et avril –diagnostic déclaré et confirmé par un prélèvement nasal. Or, une enquête nationale menée le 7 mai 2020 auprès de quelques 695.060 résident·es de maisons de retraite faisait état de 62.368 cas, c'est-à-dire vingt-deux fois plus en proportion que les cas constatés dans les Ehpad où le personnel s'est autoconfiné (9% contre 0,4%).
Ces initiatives se sont parfois heurtées à la réglementation du travail.
Qui plus est, les cinq cas en question ne se rapportent qu'à un seul établissement, un Ehpad situé dans une région fortement touchée par la pandémie. Le premier cas y a été diagnostiqué plusieurs jours avant le début de la période d'autoconfinement. Quatre autres cas se sont déclarés par la suite: ils concernaient des résident·es dont la chambre était située non loin de celle du premier cas. Étant donné que le virus était déjà dans la place, on peut comprendre que l'autoconfinement du personnel n'ait pas suffi à empêcher des cas de Covid-19 dans cet Ehpad… Cependant, in fine le taux de mortalité par Covid-19 dans ces dix-sept Ehpad autoconfinés était au 28 avril de 0,4%, contre 1,8% à l'échelon national.
Les données sont également positives côté personnel. Parmi les 794 employé·es de ces dix-sept établissements, à la date du 28 avril, douze seulement avaient contracté le Covid-19 (1,6%), soit un taux près de cinq fois moindre que le taux national établi le 7 mai (29.451 cas, soit 7,6% du personnel des Ehpad). Autant dire que ces initiatives d'autoconfinement ont été couronnées de succès…
Au cours de notre enquête, tous les directeurs et directrices ont souligné l'exceptionnel investissement du personnel de leur Ehpad. N'hésitant pas à mettre de côté leur vie familiale, ces salarié·es ont forcé l'admiration de l'entourage des résident·es, de leurs collègues, ou encore des citoyen·nes ayant eu connaissance de leur action. Et ces expériences ont par ailleurs renforcé la cohésion des équipes, y compris avec le personnel qui n'ayant pas participé à l'autoconfinement, a apporté son aide de l'extérieur.
Des initiatives à encourager
Ces aspects positifs ne doivent pas faire oublier que ces initiatives se sont parfois heurtées à la réglementation du travail: un des établissements a ainsi reçu l'injonction administrative d'interrompre son expérience après onze jours, un autre s'est vu interdire une seconde période d'autoconfinement du personnel par les autorités.
Elles ont par ailleurs été confrontées à des difficultés budgétaires, le paiement des heures supplémentaires du personnel confiné s'ajoutant au paiement de tous les salaires. On peut regretter qu'elles n'aient pas été accompagnées et soutenues par les autorités de santé: on eut pu, par exemple, faciliter le dépistage au sein du personnel en amont de l'autoconfinement, pour ne pas laisser le loup entrer dans la bergerie. En effet, on sait que certaines personnes totalement asymptomatiques peuvent être porteuses du coronavirus responsable du Covid-19 dans leurs voies respiratoires, et s'avérer contagieuses malgré l'absence de symptômes. Le seul moyen de les identifier parmi les personnels volontaires pour se confiner avec les résident·es aurait été de faire le test virologique RT-PCR.
Pour conclure, saluons l'initiative et l'investissement de ces équipes, et le remarquable travail de gestion et d'organisation des responsables de ces établissements. Ces expériences se sont montrées efficaces, quand chacun sait les terribles conséquences du Covid-19 sur les résident·es des Ehpad.
Certes, elles ne peuvent pas constituer un modèle généralisable, notamment en raison de la réglementation du droit du travail et des conséquences sur la vie familiale du personnel. Mais dans un contexte de pandémie, et dans des établissements exempts de cas de Covid-19, il ne faudrait pas décourager le personnel de s'engager dans ce type d'action.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.
